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Lettre à Maggie De Block

09/02/17
Lettre à Maggie De Block

Olivier Bury est psychologue clinicien hospitalier et écrit à la ministre des Affaires sociales et de la Santé publique.

Madame la Ministre Maggie De Block,

Ces derniers mois ont été l’occasion d’événements législatifs majeurs dans le domaine de la psychologie clinique et de la psychothérapie. Depuis, mon quotidien est empreint d’un questionnement, voire d’un profond désarroi. Je suis inquiet pour ma profession, pour son avenir. Par la présente, Madame la Ministre Maggie De Block, je souhaite vous en faire part.

Je suis psychologue clinicien en institutions hospitalières depuis plus de dix années. Pendant ces années, les diverses rencontres, les supervisions avec les collègues, les lectures, les formations et mon travail personnel ont été des moyens pour penser mon approche des patients, des familles et des équipes. Avec l’expérience, je me suis forgé une bonne connaissance de ce que je peux apporter au patient en tant que psychologue clinicien. Il y a aussi l’aide aux professions classiques de la santé dans l’approche de la personne malade, ce qui touche le patient de manière indirecte. En effet, dans un système où la norme est le « quantitatif », où il faut aller vite et parler technique, les soignants sont souvent démunis lorsque le patient partage ou vit des émotions. Pourtant, la personne malade n’attend aucune attitude exceptionnelle, la simple sollicitude et la bienveillante disponibilité suffisent bien souvent. Mais cela ne va pas de soi, cela est si éloigné du domaine technique que cela paraît étonnamment complexe, le psychologue est alors une aide.

Ce système hospitalier a apporté et continue à fournir aux patients des soins techniques de qualité, mais qui hélas les réduisent souvent aussi à des mécaniques dénuées de subjectivité. Il y a évidemment une conscience de ces limites et il existe un souci d’ « humanisation » des soins. Certains changements sont alors annoncés mais ils sont souvent teintés de technicisation, ce qui ne fait alors que renforcer une mécanique aliénante. Puis, il y a ce qui prend forme et qui « fait son chemin » dans le milieu hospitalier, tant bien que mal. C’est le cas du psychologue clinicien, porte-étendard (malgré lui) de « l’hôpital plus humain ». Il est cependant souvent réduit à n’être, par sa présence, qu’une légitimation du « toujours plus technique » puisque de toute façon il est là pour gérer « ce qui dépasse ».

Pour quelle raison est-il là ? Offrir une écoute et une aide psychologique aux patients ? Pour aider dans la prise en charge médicale et s’intégrer dans une équipe pluridisciplinaire ? Pour maîtriser d’une autre manière ce qui échappe au discours médical classique ?

La pratique du psychologue hospitalier reste très dépendante du service dans lequel il est engagé, des missions qu’on attend de lui, de la latitude qui lui est laissée pour organiser son travail, de sa manière de penser sa fonction mais aussi des collègues médecins et autres avec qui il va pouvoir construire une culture commune du travail (ou pas). Cette fonction est donc difficile à appréhender sans s’intéresser au particulier. On ne peut la comprendre d’une manière globale et simpliste, il faut s’intéresser au travail de terrain, à ce qui se dit et ce qui se fait concrètement.

Dans mes fonctions hospitalières, je travaille principalement en oncologie et en soins palliatifs. Ma pratique actuelle est de rencontrer le patient, de me présenter comme psychologue et de proposer mon passage régulier. Le patient peut ainsi expérimenter la rencontre avec un soignant dont la tâche est différente de celle des autres soignants. Je ne viens avec aucun prérequis, je n’attends rien de lui, je ne tente pas de comparer son comportement et/ou discours à une norme, je ne vise pas une correction ou une meilleure adaptation à une réalité. Je me présente et s’il le souhaite, je repasse régulièrement pour être à son écoute, pour lui offrir un espace différent, un espace où il peut parler, sans risque. Le seul objectif est alors de lui donner cette possibilité de mieux se comprendre parce qu’il a justement pu dire quelque chose à quelqu’un n’attendant rien de convenu. Un patient m’a dit un jour : « En fait, vous me proposez un espace de liberté, on ne sait pas ce qui va se dire mais on dit et cela aide… c’est un art en fait. » Je n’ai proposé ni plan de soins psychologiques ni cadre très technique ; pourtant, le patient a absolument compris qui j’étais et ce qu’il pouvait attendre de moi.

Cette place nécessite que mes collègues soignants, médecins principalement, m’en laissent la liberté (l’hôpital n’est-il pas le royaume des médecins ?). Ils savent alors que ce qui sera apporté au patient est justement ce cadre d’écoute différent et extérieur, indépendamment du cadre médical et du projet de soins concret. Les entretiens avec le psychologue n’ont pas l’objectif de compléter ce projet, la parole du patient ne doit pas à tout prix être connue et intégrée au dossier. Cet espace de confidentialité (différent de l’espace du secret médical) et ce cadre d’écoute permettent l’aide psychologique, qui pourra alors être un plus pour le soin.

Évidemment, cette fonction a des répercussions souvent positives sur le soin classique, mais cela ne peut être l’intention première. Si le passage du psychologue clinicien se justifiait par ses apports au projet de soin, il risquerait d’être réduit à celui-ci et de ne plus proposer cet espace de parole différent. L’aide du psychologue serait alors résumée à une logique de contrôle et de planification du soin où l’on sait où on va, techniquement et rationnellement.

Il y a ainsi une fonction à l’hôpital qui a toute son importance, notamment celle de permettre « un autre chose », un espace de liberté et d’expression personnelle de la souffrance et des vécus psychiques. Cette fonction aide par sa différence, les patients l’expérimentent tous les jours.

Les équipes doivent alors accepter qu’un de ses membres soit à la fois dedans et dehors. Dans un « entre-deux ». Elles doivent valoriser un travail non réductible à une logique multidisciplinaire classique considérée de manière paramédicale.

J’ai cette formidable chance de travailler dans et avec des services où cette vision est acceptée, comprise et attendue, je remercie mes collègues pour la confiance qu’ils ont en moi. Néanmoins, c’est un travail de tous les jours de rappeler l’essence-même de cette fonction, comme je la pratique.

Vous comprendrez, Madame la Ministre Maggie De Block, que lorsque je me suis intéressé à la loi, j’ai été inquiet. L’esprit de cette loi menace directement ce que je tente d’apporter comme aide particulière aux patients. Le modèle principal et valorisé dans la loi est celui de la médecine technoscientifique. Or, ce modèle n’est pas adapté pour dire quelque chose de définitif et de suffisant sur la souffrance d’un être humain dans toute sa complexité. Malgré cela, je ne trouve pas de diversité dans la loi.

Pourtant, il me paraît absolument essentiel que tout patient puisse s’adresser à des intervenants de diverses théories, chacune appropriée pour dire quelque chose de cette souffrance. Elle est appropriée si elle convient au patient, si elle tient compte de sa demande et si une relation de confiance se construit. Certains patients attendent une lecture plus médicale, adaptatrice voire même biologique tandis que d’autres s’accommodent de leurs difficultés et ne souhaitent jamais en parler ni tenter d’y trouver une solution (c’est aussi essentiel à respecter). Il y a aussi des patients qui préfèrent éviter une approche médicale (voire paramédicale) et trouver un espace d’élaboration qui leur permettrait de mieux comprendre ce qu’ils vivent. Ce qu’ils y diraient ne peut être inscrit dans un dossier commun. Il serait dommage que cette possibilité ne trouve pas de reconnaissance dans la loi.

Mes craintes concernent l’avenir. Si la loi n’encourage pas une diversité et ne laisse pas de place au « non-quantitatif », c’est alors le soin du patient qui sera amputé. Nous y aurons tous perdu quelque chose : la prise en compte de la part de mystère propre à tout être humain, jamais quantifiable. Mais peut-être est-ce justement cela, qu’aujourd’hui, nous ne voulons plus reconnaître. Chacun devra alors prendre ses responsabilités devant cette terrible œuvre qui lentement s’élabore.

J’espère vivement, Madame la Ministre Maggie De Block, que vous aurez pris le temps de me lire et que vous serez interpellée par mon propos. Je me tiens à votre entière disposition.

Olivier Bury, psychologue clinicien hospitalier



Commentaires - 1 message
  • Bonjour,
    Merci pour ce témoignage de présence auprès de personnes atteintes de maladies organiques. Pour elles, parler Í  ceux/celles qui sont responsables de leur traitement est impossible ou alors Í  hauts risques de perturber les soignants déjÍ  assez surmenés comme cela. Avec le psychologue clinicien orienté par la psychanalyse ce risque-lÍ  est éliminé, cqfd.

    ngl jeudi 9 février 2017 17:16

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