Un site de l'Agence pour le Non-Marchand
Informations, conseils et services pour le secteur associatif

Evidence Based Practice et Psychothérapie : pour quel débat ?

05/12/17
Evidence Based Practice et Psychothérapie : pour quel débat?

En regard des divergences qui émergent autour des termes Evidence Based et psychothérapie ces derniers mois, il y a lieu de se demander ce qui sous-tend de tels conflits. Et si la science et la psychothérapie étaient, en fait, destinées à ne pas faire bon ménage ?

C’est à n’y rien comprendre. Voilà plusieurs mois que les termes « Evidence Based Practice » fleurissent dans la presse aux côtés du mot « psychothérapie ». La nouvelle loi de la ministre de la santé publique n’y est, évidemment, pas pour rien. Certains disent que cette pratique à valeur scientifique (scientifiste ?...) représente un danger pour la psychothérapie parce qu’elle ôte au domaine son caractère humain et volontairement subjectivé. D’autres y voient une méthode imparable pour offrir à la psychothérapie un caractère légitime et reconnu. Dans les deux camps toutefois, on élève la voix pour le bien-être du patient (et peut-être un peu pour sa propre chapelle, mais ça c’est le jeu, dira-t-on).

Réflexion.

Retour aux sources…

Reprenons à la base (c’est le cas de le dire !) : La ministre des Affaires sociales et de la Santé publique s’attèle à entériner en Belgique un système de soins développé depuis longtemps : « l’Evidence-Based Practice ». Pour rappel, le principe de cette pratique repose sur l’idée selon laquelle « le prestataire de soins doit tenir compte des preuves scientifiques, de ses propres expériences en plus des valeurs et préférences du patient en question ». Pour être crédible, cette approche promeut une systématisation des processus de soins qui deviendraient alors le fruit d’une évaluation schématisée et divisée en étapes, toutes plus « scientifiques » les unes que les autres (la validation, l’implémentation, la diffusion, etc.)

« Les valeurs de préférence du… Patient »

L’Evidence Based Practice tendrait vers l’idée de prendre en compte le désir du patient… Voilà qui rassurant ! Cela dit, dans le cadre de la psychothérapie, que faire si ce « malheureux patient », ignare qu’il est sur ce qui est vraiment de qualité, formule le souhait de suivre une thérapie auprès d’un… Assistant en Psychologie par exemple ?
En soi, le patient pourrait le faire, pour peu que son thérapeute soit supervisé (pendant la séance ou en « méta » séance, la loi n’est pas forcément claire). Vraisemblablement, c’est le seul setting susceptible d’accorder un peu de crédit au thérapeute concerné. Une méthodologie qui pose la question du coût de la séance (si le thérapeute se doit de travailler sous la supervision directe d’une « vrai » spécialiste), mais qui entache aussi la réputation de thérapeutes compétents parce que la Loi ne les reconnaît pas. Dans pareilles circonstances, difficile de donner envie au patient de suivre son « feeling » relationnel… A en lire la Loi en vigueur, la dimension du patient fait, en réalité, plutôt pâle copie à côté de la Reine Science.

A toute bonne idée son risque

On peut reconnaître la noblesse d’une démarche qui cherche à « coordonner, harmoniser et renforcer ce processus afin que les prestataires de soins adaptent réellement leur comportement en faveur des patients » (comme le dit la ministre). Cela dit, le schéma auquel ce principe est réduit semble s’éloigner grandement de l’intérêt du patient pour qui, rappelons-le, il est parfois très difficile de pousser la porte d’un aidant. Aujourd’hui, la manière dont la fragilité psychique est traitée implique qu’elle soit analysée selon une grille de lecture réductrice et stigmatisante, comme le propose notamment la grille d’analyse du DSM V.

On s’est connu, on s’est reconnu…

L’enjeu est de taille : à l’heure actuelle, il n’y a que par la science « universitaire » qu’un domaine peut être reconnu. En s’attelant au psychisme humain, la psychothérapie a, malgré les nombreuses recherches existantes, encore du boulot pour conquérir la reconnaissance du monde scientifique ! C’est en tout cas ce vers quoi elle tend en se rapprochant de plus en plus des méthodes médicales... Au risque peut-être de s’éloigner de la finalité d’une pratique vouée à rendre à l’individu sa spécificité et à explorer, à ses côtés, sa complexité particulière. Le problème, c’est que l’art de la parole et de ses médias est, de fait, moins évaluable que les effets d’un médicament sur le cerveau humain… Alors en attendant, autant faire passer la « pilule » en parlant de psychothérapie comme d’un acte mécanique…

Où en est-on ?

La nouvelle loi n’a retenu que les termes scientifiques pour s’établir. Ainsi, la psychothérapie devient :

 Un traitement : elle est prescrite comme médicament, ce qui sous-tend l’existence obligatoire d’une « maladie » et annihile ainsi des années de définition de la complexité du psychisme (l’homme n’est pas juste « sain » ou « malade », en fait…). Aujourd’hui, il faut savoir de quoi on souffre pour oser consulter…
 L’acte dispensé par un psychologue, un médecin spécialisé ou un orthopédagogue (« ortho », en grec, ça veut dire « droit, dressé », …)
 Un paradoxe : prétendant se fier à l’Evidence Based Practice, elle ne retient en fait qu’une des trois données de l’équation précédemment exposée : celle des « preuves scientifiques ».

Eh là-bas !

Au risque de taper sur un clou déjà bien enfoncé, je ne peux m’empêcher de nommer mon inquiétude : face à la complexité du psychisme humain, la particularité de chaque rencontre entre le thérapeute et ses patients, leurs lots d’interactions transférentielles ou de résonances, j’ai beaucoup de mal à envisager l’idée qu’on puisse procéder à des évaluations schématisées et s’enfermer ainsi dans un carcan très procédurier.
Non loin des lanternes rouges qui s’allument dans mon esprit en imaginant un tel fonctionnement, il y a la notion de diagnostic. Car, quand on y pense, si on suit la logique de l’Evidence Based Practice, c’est bien à un diagnostic que devrait aboutir la procédure.
Un définition du mal-être qui, a elle seule, aurait plutôt tendance à réduire le patient au rang de « malade » à traiter. Pas sûr que cela rejoigne les fondements philosophiques de la psychothérapie.

Qui fait la science ?

Et si la science n’était plus l’objet des seules universités et leurs chercheurs ? Je pense notamment à des auteurs, comme Guy Hardy qui, dans ma pratique m’ont réellement aidée à y voir plus clair dans mon approche de terrain. Pourtant, le savant en question est assistant social de formation…

C’est vrai au fond, si l’on s’autorisait à changer de paradigme, alors le fameux « prestataire de soins », tel que le nomme la ministre, pourrait recouvrir tout professionnel formé à la psychothérapie et à même de mener une recherche étayée et vérifiable…
Sauf que cette modification de la pensée commune apparaît aujourd’hui comme inimaginable, tant d’un point de vue éthique, que d’un point de vue… Économique.

Économie vous avez dit ?

Ne négligeons pas le caractère financier qui anime le débat : derrière la loi en vigueur, il y a vraisemblablement une volonté de légiférer autour des processus de soin en général. Ces processus touchent immanquablement à la question de l’accessibilité financière des patients concernés. De plus en plus, les mutuelles remboursent un certain nombre de séances de psychothérapie. Si celles-ci étaient dispensées par l’entièreté des psychothérapeutes exerçant avant la loi, les mutuelles pourraient difficilement suivre le rythme… Alors on réduit, on coupe, on exclue d’emblée, sans tenir compte de l’essence-même du métier.

Mise au point

Il est difficile de remettre en question le caractère essentiel d’une démarche scientifique. Celle-ci permet, par le biais de l’observation, de l’expérience et de son analyse, d’établir l’adéquation d’une méthode et de prouver son efficacité.

La volonté de permettre à la psychothérapie de devenir une pratique reconnue et de qualité rencontre l’assentiment de tous.
In fine, le bât ne blesse sans doute pas sur le principe de régir et modéliser la psychothérapie, mais davantage sur le parti pris par la Ministre d’exclure certains corps de métier du débat.
Ainsi, si l’histoire de la polémique trouve son origine dans la volonté de sortir du charlatanisme, elle mène de facto les exclus d’aujourd’hui à la conclusion qu’ils sont considérés comme escrocs ou comme incapables de dispenser un accompagnement de qualité.

Je fais partie de ces exclus. Parce que j’ai choisi de devenir assistante en psychologie, et bien qu’une université ait certifié ma compétence à pratiquer comme psychothérapeute, je me retrouve à devoir quémander la supervision d’un médecin ou psychologue entrant dans les cases déterminées par la loi. Rien de plus décourageant en somme… Pire, une telle tournure fait courir le risque, comme pour toute minorité qui se sent mise en danger, de pousser au retranchement des uns contre les autres. La différenciation, sage aînée de la division, mène au risque de cliver des professionnels dévoués pour des enjeux de survie personnelle.

Note pour plus tard

Sciences, médecine et psychothérapie, au-delà d’une loi qui les force au mariage, peinent encore à se trouver. Il revient aux acteurs de terrains, de tous bords, de veiller à ce que l’art de la psychothérapie (quels qu’en soient les termes) restent un soin au bénéfice des sujets, plutôt que l’instrument d’un conflit d’orgueil et de reconnaissance. CQFD.

Une professionnelle de la santé mentale



Ajouter un commentaire à l'article





« Retour