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Mémoires/TFE

L'illusion ordinaire.

Acteur social et dispositif d'enchantement.


Pour ce travail, nous nous proposions de faire quelque chose avec la notion de spectacle (introduite) pour la rapporter à notre pratique professionnelle – à savoir alors en tant qu’acteurs dans le "domaine" de la santé mentale. En voici les conclusions.

Le choix du terme "domaine" se voulait surprenant, puisqu’un domaine a une frontière bien établie et est une propriété. Rien de tel pour la santé mentale ? Si elle est affaire de spécialistes techniciens et d’industries pharmaceutiques, on pourrait au contraire considérer qu’elle n’est pas unique affaire d’experts et que tout un chacun – quelle que soit sa pratique, quelle que soit sa discipline – peut exercer une activité dite thérapeutique par la relation à l’Autre qu’elle permet. La santé mentale se définit souvent par un critère de normalité mais cette conception se doit d’être problématisée. En accord avec nos choix de travail nous reprendrons plutôt une définition de l’anormalité psychique (BLANKENBURG) en tant qu’un ne-pas-pouvoir-se-comporter-autrement et aussi un ne-pas-pouvoir-éprouver-autrement. Celle-ci fait appel à une notion de liberté « inutilisable pour une psychiatrie centrée sur le symptôme et la description (…) qui n’est que l’inventaire des places assignées à l’être humain par la langue de la société dont il est membre » (TATOSSIAN) : une psychiatrie qui établirait des domaines, en quelques sortes. Ces places assignées se constituent pourtant autrement en prenant leur sens dans l’histoire d’une relation, et cela est valable pour chacun des interactants – l’observation est toujours participante (même s’il s’agit d’entrer sur la pointe des pieds et d’écouter comment les gens ronflent, selon GOFFMAN) et la prétendue objectivité extérieure est due aux outils de mesure, pas à leur usage – il n’y pas d’un côté un sujet et de l’autre un objet selon une frontière stricte.

Se comporter et éprouver autrement c’est, pour nous, agir en tant qu’acteurs, à défaut d’être agi : c’est alors pouvoir se défaire de certaines stratégies émotionnelles propres à notre personnalité, et en construire d’autres. C’est donc aller au-delà des routines, des réponses immédiates, de valeurs pré-établies, et insuffler, autant faire se peut, de la créativité dans nos pratiques ; trouver d’autres moyens, d’autres explications, réinventer les gestes. Cette attitude créative semble être la seule qui permette ce que BELIN (2001, sociologie des espaces potentiels) appelait le sujet historique identitaire non-dissocié (c’est-à-dire qui s’oppose à l’adaptation sur base de la soumission). Par elle peut se développer un projet de connaissance, voire une analyse, pour concilier nos rôles, statuts, fonctions et fantasmes dont parlait GOLDSZTAUB (2004) ; c’est-à-dire alors maintenir un équilibre dynamique, un creux, un espace, entre notre identité de rôle social et notre identité personnelle égoïque, selon TATOSSIAN (1994) : une marge non négligeable d’initiative, d’invention, en somme de jeu, dont parlait GAUDIN (2001).

L’enjeu pour l’acteur nous semble être de faire venir, et d’en rester, à la surface de l’être. [Qu’on pourrait accuser de superficialité donc, mais l’exhorter de par sa superficie.] Ainsi de la conviction qui se situe pour GOFFMAN (1973) entre le cynisme et la crédulité : conviction qu’en général les choses sont bien ce qu’elles ont l’apparence d’être. Mais avec DUMOUCHEL (1995) si on établissait que l’expression est affaire de compétence et de règles d’inférences pour que lui soit accordé du sens, souvent l’acteur ignore effectivement ce qu’il veut et ce qu’il exprime affectivement : cette détermination dépend alors aussi de la situation, de l’histoire de la relation, mais surtout de la réponse de l’autre. Et un décalage créatif est possible pour fuir les stéréotypes. Les émotions que joue l’acteur, non celles par lesquelles il est joué, seront donc consciemment non pas des passions du corps mais des effets de théâtre, des illusions liées à des conventions selon des anticipations stabilisées – sinon fluentes pour ce qui relèverait de l’improvisation, ce jeu idéal. En fait, l’enjeu serait cet entre-deux dont parlait DIDEROT (paradoxe sur le comédien): entre absorbement et théâtralité.

Pour l’acteur du quotidien, se maintenir à la surface revient à savoir garder la face. Cela implique des conduites en accord avec les standards moraux, à savoir surtout un principe de non-contradiction entre ce à quoi il prétend, ce qu’il est, ainsi que ce qu’il pense devoir. C’et alors une comédie de la disponibilité (GOFFMAN, 1987, façons de parler) qui se joue pour ses activités sociales ; l’enjeu en est la maîtrise des effets produits pour assurer l’intégrité de sa personne envers autrui. [Voire aussi une comédie de l’indisponibilité, pour (se) persuader des faiblesses de sa personne] Cependant, des ruptures de représentations – semblables à cette effraction dont parlait DIDEROT – se produisent quand les apparences sont rompues, quand le doute et le discrédit s’installent ou quand l’incompétence est divulguée : c’est-à-dire quand l’illusion cesse. Relèvent de ces ruptures le cas du lapsus ; les échecs de la coordination aussi, ou quand un émoi reste sans réponse et l’échange social inachevé, dont parle DUMOUCHEL (1995). En tous ces cas, l’acteur se montre divisé par un regard Autre, et face à cela, il peut garder son sang-froid de surface, ou alors être plongé dans ses tourments intérieurs, honte et confusion. Deux issues du jeu de l’acteur seront le rire ou les larmes, et son enjeu, une variation relative de la distance à soi, entre l’ironie et la tragédie.

Tout est soumis à une question de définition, sauf ce qui va de soi : selon un principe de réalité strict, le doute méthodique devrait s’appliquer à tout ce sur quoi la représentation prend appui ; mais à force, une fatigue s’installe. Nos activités quotidiennes sont situées : elles résultent de dispositions acquises, de dispositifs dans lesquels elles prennent place. Participons-nous à la définition de ceux-ci ? [enjeu du premier chapitre.] Définir une activité, c’est lui attribuer réflexivement un sens, une rationalité, un but : c’est donner raison à nos actes [bien que les modalités de l’accord ne soient pas forcément rationnelles, mais alors affectives]. Nombre d’actions quotidiennes se dispensent d’un tel contrôle conscient et sont réflexes ; par contre, nombre d’actions au quotidien sont soumises à un tel contrôle conscient et en resteront à l’état d’ébauche ou de geste : il y’a là une sorte de division du sujet. Mais si les situations sont des ambiances unitaires, ce sont alors des espaces intermédiaires, voire potentiels, où est faite l’expérience d’une indistinction entre intériorité individuelle et extériorité collective, où prend place l’action.

Une définition de situation s’opère au niveau individuel selon certains critères (et motifs) d’évaluation cognitive : tout organisme procéderait à la perception de son environnement en rapport à ses motivations, besoins, et un souci de conformité. N’est alors conscient que le sentiment identifié de cette évaluation. L’écart entre l’évaluation subjective et la nature objective de la situation est à la base des désordres affectifs. L’intervention psychologique y supplée. Pour les activités sociales, chacun des interactants procède à une définition de sa propre situation – sa présentation – et identifie la situation dans laquelle il doit agir, selon des symboles communs, pour anticiper ce qu’il doit répondre et ce qu’il peut attendre des autres, selon des consensus normatifs relatifs à des groupes particuliers, qui établissent les règles de l’activité collective ; des règles du jeu.

Il est une erreur classique en psychologie, celle de surévaluer les facteurs dispositionnels et de sous-évaluer les facteurs situationnels : cette constatation revient à relativiser l’émergence de certains comportements avec leur contexte d’apparition, plutôt que d’en faire une règle générale. Ainsi nous tendions à dire que l’attribution d’un moi n’est que le produit d’une représentation (et non sa cause). C’est la notion d’ACTANT, cette instance supposée du langage qui ne se déduit que de ses performances, qui sert à faire l’hypothèse d’une structure sous-jacente ne se confirmant que dans les faits qui viennent modifier les présupposés... Pour DUMOUCHEL, les sciences humaines ne seront jamais aussi dures que les sciences positives parce qu’elles ne peuvent donner sens que rétrospectivement. Nous disions que la seule liberté qui reste à l’homme est le fait qu'il ne puisse pas être entièrement calculé : c'est l’informe, sa part absurde, sa faille, son imprévisibilité… En tant qu’observateurs, nous procédons à une mise en scène, une disposition ou encore une mise en place selon des modèles de lecture pré-établis, à établir voire à réfectionner. Une liberté se situe là aussi, dans les choix de ces dispositifs qui permettent d’établir des correspondances avec le réel : mais il ne s’agit toujours que d’une rencontre à un certain niveau d’incertitude.

Quatrième de couverture :
L'illusion est un état de conscience particulier : celui d'une indistinction entre réalité subjective et objective. Ordinaire, c'est l’expérience de ce qui nous semble normal et ordonné, allant de soi. Ludique, c'est l'expérience de l'intermédiaire dont l'enjeu insouciant sera de surface, selon une distance à soi : entre ennui et angoisse, sollicitation et mobilisation, crédulité et cynisme, regard narcissien et regard du dehors, absorbement et théâtralité, ironie et tragédie, indéterminisme et surdétermination, fusion et différenciation… Les émotions y sont des issues de jeu. Théâtrale, c’est une performance de représentation de soi, par des conventions de situations. Acteur sera le sujet qui définit les illusions par lesquelles il se situe et réinvente les médiations qu’il utilise.




Auteur

Renaud GRANDJEAN

Email :
Etudes : assistant en psychologie (clinique)
Etablissement : Institut Libre Marie Haps
2005, 142p.

Thème : Affaires sociales
(enregistrement le 21/06/06)

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