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Harcèlement moral, un poison de tous les instants !

19/06/18
Harcèlement moral, un poison de tous les instants !

Comme chaque après-midi, je m’organise avec mes collègues animatrices afin que toute animation se passe bien, sans courir, sans imprévus possibles (du moins, nous essayons), au calme et à l’aise. Le but est de mener nos résidents dans un état de totale quiétude, mais également pour neutraliser notre propre stress. Travailler dans la course et la confusion, c’est le bordel total ! Et quand les familles viennent pour s’en prendre au personnel afin de décharger en public leur émotivité, nous avons de quoi être complètement désemparés, même en tant que professionnels. Le harcèlement moral, c’est horrible...

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Tout a commencé un lundi après-midi. Nous recevons une petite chorale de la ville, qui vient tous les trimestres depuis deux ans. Cette activité est donc planifiée et rappelée. Certes, ces chanteurs bénévoles ne chantent pas toujours juste, mais les regards brillants et les sourires des résidents nous font plus craquer que la douleur de nos oreilles. Les chanteurs arrivent, se placent, s’installent et s’apprêtent à chanter. Nous sommes trois encadrantes pour l’animation : l’ergothérapeute, la stagiaire, et moi, l’éducatrice. La cérémonie des cordes vocales peut commencer.

À peine les premières notes, une famille arrive pour « visiter » une résidente. Dans ces circonstances, nous sommes donc obligés de manipuler, de faire du bruit afin d’amener la personne vers sa famille. L’ergothérapeute prend l’initiative de proposer à la famille d’attendre jusqu’à la pause, que la résidente savoure la chorale, surtout qu’elle adore la musique. Tout se passe dans le calme, dans le couloir juste à côté. Quand subitement, des cris surgissent. L’appareil photo en main, je jette un regard à ma stagiaire qui se précipite dans le couloir. Toute paniquée, elle me rapporte que l’ergothérapeute est en conflit. Et non pas avec un résident, mais avec la famille. Depuis la salle, nous entendons gros mots, injures, humiliation malgré le chant des choristes. Le seul à aboyer est l’homme de la famille face à ma collègue qui tente de calmer le conflit et d’éloigner la famille. Mais pas moyen. L’homme finit par entrer dans la salle jusqu’à bousculer les chaises roulantes et prendre en charge la résidente qui est sa mère. Tout en manipulant, l’homme continue à nous injurier et à humilier le personnel entier. Je n’ai pas pu résister à vous partager ses propos.

En résumé, « nous » sommes des incapables. « Nous » travaillons dans les maisons de repos pour le fric et nous ne foutons rien. « Nous » sommes des « parasites » de la société. Des études et un diplôme ne sont pas nécessaires pour faire découper du papier, pour faire chanter, pour faire de la gymnastique « qui leur casse le dos ». Ce sont des gestes maternels qui rabaissent les personnes âgées. Tout le monde peut nous remplacer. Surtout que, de l’animation n’est pas nécessaire. Les personnes âgées ont trop travaillé dans leur vie, « nous » devons leur foutre la paix et arrêter de les « faire chier ». « Notre » tâche consiste uniquement à les servir, les soigner et à veiller à ce qu’elles vivent jusqu’à la fin.

L’homme s’en va avec sa mère gênée devant toute une assemblée scotchée. L’ergothérapeute tente une nouvelle fois de calmer la famille alors que mon sang commence à bouillir. Par respect et parce que le spectacle offert est assez infernal, je me retiens et j’invite la chorale à reprendre tout en me mettant au jeu du chant pour détourner l’attention des résidents. Une épreuve difficile lorsque la colère est en vous et qu’il vous faut montrer le sourire. Heureusement, la stagiaire m’emboîte le pas et nous tenons jusqu’à la pause où le café et un morceau de gâteau nous accueillent. Néanmoins, je suis inquiète car l’ergothérapeute n’est pas revenue. Je demande donc à mes collègues soignantes et infirmières où elle se trouve, sans succès. D’instinct, je me dirige vers le bureau de l’animation... où je la retrouve, en larmes et complètement dépassée. Ma collègue n’est jamais retournée auprès des résidents, trop effondrée et gênée d’un tel carnage. La chef de service a pris le relais des réconforts pour l’autoriser à rentrer chez elle. Le lendemain, elle remettait un certificat médical pour la semaine. Aujourd’hui, j’apprends qu’elle sera absente tout le mois. La mère de l’homme est renfermée sur elle-même, culpabilisant sur le comportement de son fils. Quant à cet homme, pas de nouvelles pour l’instant. Tout cela pour une demi-heure d’attente...

Nous n’avons pas de conseiller ou de psychologue pour ce genre de situation. Nous sommes obligés de nous réconforter mutuellement face aux conflits. Ce n’est pas la première fois que cela arrive. En général, ce sont les aides-soignantes qui sont visées. Je n’ai jamais été victime. Mais je peux certifier, voyant mes collègues dans un tel état émotionnel : le harcèlement moral fait mal. Car oui, pour moi, c’est du harcèlement moral pur et dur ! En public, c’est encore plus honteux ! Il est vrai que la colère n’est pas toujours contrôlable, mais ceci n’est pas une raison pour se lâcher. Je garde toujours de la haine envers ces propos bas, infondés, alors que l’incident s’est produit il y a plus d’une semaine.

L’animation est primordiale, une thérapie contre le vieillissement et l’abattement ! Découper permet la praxie, le chant ravive des souvenirs, la gym permet de prendre conscience des limites et d’exercer les parties motrices entravées. Être animatrice, c’est être capable de se servir de tous ses petits gestes quotidiens et de leur donner un sens, un intérêt !

L’éduc Touche-à-tout

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Commentaires - 2 messages
  • Bonjour,

    J'imagine ou essaie d'imaginer combien cela a du être dur Í  vivre pour vous et vos collègues. Néanmoins, je ne résiste pas Í  vous suggérer de ne pas trop vite entrer dans la logique du harcèlement. Dans une situation pareille, ce que je proposerais serait d'envisager une médiation avec un tiers neutre (psychologue superviseur),les collègues qui ont vécu cela de près et la famille en question. Certes, ce monsieur a débordé et ce n'est pas excusable mais qu'y a-t-il derrière ce comportement? De la culpabilité d'avoir placé sa maman en MRS? La crainte qu'elle ne soit pas bien prise en charge? Le sentiment d'être relégué et non considéré en devant attendre? Le débordement de ce monsieur peut vous apprendre beaucoup de choses en tant qu'équipe. Les familles vivent aussi les choses difficilement et il est important de pouvoir les comprendre, cela pour le bien être des résidents. Et inversément, il est important que vous puissiez partager Í  la famille pourquoi cela est dur pour vous, comment vous vous sentez impliqués pour ces résidents...
    Bonne continuation Í  vous et votre équipe!

    cedan jeudi 21 juin 2018 09:38
  • Bonjour,
    J'irais tout Í  fait dans le même sens que le commentaire précédent.
    Malgré la grande difficulté et le choc ressenti par votre collègue ergothérapeute et peut-être toute l'équipe des intervenants, sans compter les résidents et la maman de ce Monsieur, ce comportement semble disproportionné par rapport Í  "cette demi-heure d'attente"; Il y a certainement quelque chose de plus profond chez ce Monsieur et cette petite frustration a été un élément déclencheur. Tout le monde serait gagnant et bien dans sa peau si un tiers neutre formé Í  la médiation professionnelle pouvait permettre un dialogue et l'expression des besoins et des ressentis; Le coût de la médiation reste très abordable et permet un mieux être sur le long terme.
    Pour tous renseignements n'hésitez pas Í  me contacter via mon mail : bubucalewa@gmail.com

    Bibi004 jeudi 21 juin 2018 10:55

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