Sur les traces d’une infirmière en soins palliatifs : “C’est autant vivre que mourir dignement”

À l’occasion de la Journée mondiale des soins palliatifs, célébrée ce 11 octobre, le Guide Social est allé à la rencontre de Christine, infirmière depuis 35 ans. Après un long parcours en psychiatrie et en gériatrie, elle a choisi, en pleine pandémie de Covid, de se tourner vers les soins palliatifs. Une orientation née d’un profond besoin de redonner sens à son métier et de placer la relation humaine au cœur du soin. Aujourd’hui, à la tête de son unité — autrefois appelée Le Lotus, désormais Le Colibri — Christine raconte comment elle a trouvé, dans l’accompagnement de la fin de vie, une voie en parfaite résonance avec ses valeurs : bienveillance, écoute et dignité.
A l’occasion de la Journée Internationale des soins palliatifs, le Guide Social a souhaité mettre en lumière ce moment parfois un peu tabou et méconnu qu’est la fin de vie et ces professionnels qui nous y accompagnent, avec douceur, bienveillance et dévouement.
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Derrière les clichés, une autre réalité des soins palliatifs
Le Guide Social : Qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler en soins palliatifs ?
Christine : J’ai toujours eu à cœur la prise en charge globale du patient. Les soins palliatifs m’ont permis de retrouver cette dimension humaine et relationnelle, avec du temps pour être réellement aux côtés du patient et de ses proches. Ce qui m’a motivée, c’est aussi la possibilité de travailler en équipe pluridisciplinaire. Seul, on fait un bout de chemin, mais ensemble, en réunissant nos forces et nos compétences, on va beaucoup plus loin, pour le bien-être du patient, de ses proches, mais aussi de l’équipe.
Le Guide Social : Les soins palliatifs restent souvent mal compris. Encore aujourd’hui, ils traînent leur lot de clichés et d’idées reçues.
Christine : Beaucoup associent encore soins palliatifs avec fin de vie immédiate et douleur. Qu’une fois dans notre service, il n’y aurait "plus rien à faire". C’est faux. Au contraire, il y a tout à faire : ajuster les traitements, soulager la douleur, améliorer le confort, soutenir psychologiquement, accompagner les proches. Certains patients poursuivent même encore des traitements actifs, comme la chimiothérapie ou la radiothérapie. Notre rôle est d’élargir cette vision : les soins palliatifs, c’est autant vivre que mourir dignement.
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Les joies et les épreuves du quotidien en soins palliatifs
Le Guide Social : Quelles sont vos plus grandes satisfactions humaines ?
Christine : La force de notre équipe. Nous travaillons avec deux mots clés : l’essentiel et la bienveillance. Aller à l’essentiel, c’est aller à la rencontre des vrais besoins du patient et de son entourage. La bienveillance, c’est veiller à ce que chacun se sente respecté et soutenu — le patient bien sûr, mais aussi les proches et les soignants. Car prendre soin de ceux qui soignent est indispensable.
Le Guide Social : Et les plus grandes difficultés ?
Christine : Certaines situations délicates, comme la mise en place d’une sédation ou l’accompagnement d’un patient demandant l’euthanasie. Il est essentiel de distinguer clairement les deux, d’accompagner les familles et aussi de soutenir les soignants, qui peuvent vivre cela avec intensité. Nous avons instauré des temps de supervision mensuels, avec un intervenant extérieur, pour parler librement, déposer nos émotions, garder un équilibre, travailler sur des situations complexes. Je suis fière d’avoir obtenu ces moments, qui permettent à l’équipe d’aller de l’avant, d’évoluer dans sa pratique. Une autre difficulté est la gestion de familles très présentes, parfois nombreuses, ce qui demande beaucoup de dialogue et d’organisation, tout en veillant à l’intimité de chacun.
"Les soins palliatifs m’ont appris à apprivoiser la mort, à respecter les choix de chacun"
Le Guide Social : Comment ce métier a-t-il transformé votre regard sur la vie et la fin de vie ?
Christine : Je dirais que je suis aujourd’hui tout à fait sereine. Les soins palliatifs m’ont appris à apprivoiser la mort, à respecter les choix de chacun. Et surtout à voir que la fin de vie fait partie de la vie. Elle mérite autant de dignité que le début. Et puis, les soins palliatifs ne s’arrêtent pas au décès. Nous rencontrons souvent les familles après, parfois elles reviennent nous dire merci, partager un souvenir. C’est une continuité très précieuse, pour elles comme pour nous.
Le Guide Social : Racontez-nous une histoire qui vous a particulièrement marquée.
Christine : Il y en a plusieurs ! Une des dernières est celle d’un patient qui a vécu six mois dans notre unité. Il est resté longtemps autonome, puis son état s’est dégradé. À un moment, il a demandé l’euthanasie. Sa décision a surpris même son épouse, qui nous a dit : "Mon mari n’a jamais pris de grandes décisions dans sa vie… et là, il a choisi sa date de départ." On est toujours surpris, dans ce métier. On vit de grands moments, mais aussi beaucoup de tendresse et d’humour.
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"On ne vient pas en soins palliatifs pour réparer ses propres blessures"
Le Guide Social : Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui voudrait travailler en soins palliatifs ?
Christine : Je dirais qu’il faut avant tout bien se connaître. On ne vient pas en soins palliatifs pour réparer ses propres blessures. Il faut un certain équilibre, de l’expérience et une vraie solidité intérieure. Ce n’est pas forcément un service pour débuter sa carrière, mais avec le temps, on peut y trouver un accomplissement humain profond.
Le Guide Social : Quelle est pour vous la "vraie image" des soins palliatifs ?
Christine : C’est travailler sur l’essentiel, avec bienveillance. Accompagner l’humain dans toutes ses dimensions. Le faire en équipe, dans la douceur mais aussi avec humour et joie, car oui, on rit beaucoup dans notre service. Notre unité s’appelait autrefois Le Lotus. Aujourd’hui, elle s’appelle Le Colibri. Le colibri symbolise la fragilité, mais aussi la force, la diversité des cultures et des couleurs. Comme dans la légende, chacun apporte sa goutte d’eau. Si chacun fait sa part, ensemble, nous accomplissons de grandes et belles choses.
Propos recueillis par MF, travailleuse sociale
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