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Leslie, l’éducateur spécialisé qui utilise les arts martiaux pour aider l’autre

Leslie, l'éducateur spécialisé qui utilise les arts martiaux pour aider l'autre

En alliant sa passion des arts martiaux à son métier d’éducateur spécialisé, Leslie Neufcoeur n’a même plus l’impression de travailler. Fort d’une formation en activités socio-sportives, ce professionnel de 31 ans aux multiples casquettes nous explique comment il utilise les arts martiaux dans son travail au sein de l’ASBL Amarrage et de sa propre association Peach Pack.

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À seulement 31 ans, Leslie Neufcoeur cumule déjà les casquettes  : éducateur spécialisé au sein de l’ASBL Amarrage, professeur à la Haute Ecole Léonard de Vinci, professeur d’arts martiaux et fondateur de l’ASBL Peach Pack. Cette association a pour but de sensibiliser sur les vertus éducatives, thérapeutiques et de restructuration sociale de la pratique des arts martiaux. «  J’aime bien l’action. Je ne me voyais pas faire un boulot derrière mon ordinateur  », nous assure-t-il. On veut bien le croire.

Cette volonté d’être sur le terrain et d’aider les autres, c’est ce qui l’a motivé à se tourner vers le métier d’éducateur spécialisé. Mais l’histoire de Leslie Neufcoeur remonte encore plus loin. Lorsqu’il était encore adolescent, il a vécu dans un internat à Floreffe. Là-bas, il a rencontré un éducateur avec qui il faisait du sport pendant les pauses déjeuner. «  C’était un moment où j’aurais pu basculer du côté de la délinquance. Je boxais beaucoup avec lui et ça m’a aidé à être plus zen. Il a semé une petite graine en moi et je me suis dit qu’est-ce que je pourrais bien en faire  ?  ».

«  Associer sa passion avec le fait d’aider les autres  »

Après une année d’étude pour devenir professeur de sport, Leslie Neufcoeur bifurque vers une formation d’éducateur spécialisé à la Haute Ecole Léonard de Vinci – où il enseigne aujourd’hui. «  Je n’ai pas aimé l’idée de suivre un programme en tant que professeur. Je voulais aller plus loin  ». Le métier d’éducateur spécialisé en activités socio-sportives est la combinaison parfaite  : «  Je pouvais associer ma passion avec le fait d’aider les autres  ».

Dès le début de ses études, Leslie Neufcoeur a développé un intérêt particulier pour l’aide à la jeunesse. Son premier stage en tant qu’éducateur de rue à Schaerbeek le conforte dans son idée. «  On avait des activités avec la maison de quartier mais on partait aussi à la rencontre des jeunes dans la rue. J’ai beaucoup aimé ce côté pro-actif  ».

Rapidement, Leslie Neufcoeur comprend qu’il peut utiliser les arts martiaux – qu’il pratique depuis ses 13 ans – dans le cadre de son travail. «  Je remarquais que si on faisait un peu de boxe avant un match de foot, les jeunes étaient beaucoup moins agressifs. Il y avait moins de bagarres ».

Des jeux de rôles avec des jeunes d’IPPJ

Il décide ainsi de consacrer son TFE au rôle que peuvent avoir les arts martiaux dans le développement de l’empathie et de la confiance en soi. Pour cela, il va mettre en place des jeux de rôles avec les jeunes de l’Institution publique de protection de la jeunesse (IPPJ) de Wauthier-Braine, où il fait son stage de 3e année.

«  Là-bas on retrouve les jeunes les plus dangereux de Belgique. Ils sont là pour des faits assez graves  », raconte l’éducateur. Pour ces mises en situation, il utilise le Yoseikan Budo. «  C’est un peu de l’escrime japonaise, mais avec des armes en mousse. C’était parfait car ils pouvaient entrer en contact sans se faire mal, cela rassurait les institutions et comme les jeunes ne connaissaient pas ce sport, ils étaient sur un pied d’égalité et l’égo ne pouvait pas entrer en jeu  », explique-t-il. Lors des jeux de rôles, Leslie Neufcoeur demande à trois jeunes d’attaquer un quatrième qui doit alors essayer de s’en sortir. «  Ils se sont rendu compte de ce que ça fait d’être agressés. De mon côté, j’ai vu que c’étaient des jeunes qui avaient peur et qui n’avaient pas confiance en eux. Ils se cachent derrière le masque du délinquant  ».

Son expérience au sein de l’IPPJ s’est poursuivie pendant deux ans après ses études. «  J’étais dans une équipe bienveillante, on me laissait faire mes projets d’arts martiaux et j’avais un champ d’actions assez large  », se souvient-il. Toutefois, le jeune homme alors âgé de 24 ans se rend vite compte des limites notamment éducatives. «  Souvent le juge dit au jeune qu’il est temps de se responsabiliser mais en IPPJ ils sont placés dans des cellules, c’est nous qui les ouvrons, ils ne font pas à manger... Les jeunes eux-mêmes me disaient que quand ils rentraient chez eux ils ne savaient même plus ouvrir une porte  ».

Le tour du monde des arts martiaux

En 2016, Leslie Neufcoeur, alors fraichement marié, décide d’accompagner sa femme qui a reçu une opportunité de travail en Australie et quitte son emploi. Le jour du départ est fixé au 22 mars. Leslie et Stéphanie sont à l’aéroport de Zaventem le jour des attentats. «  La bombe a explosé à côté de nous, on a été soufflés par l’explosion. Ça a été traumatisant  », se remémore-t-il. Finalement, ils décident de partir quand même en Australie. Six mois plus tard, ils rentrent en Belgique avec un bébé en route et un projet fou  : celui de faire le tour du monde des arts martiaux.

Le couple établit un plan sur deux ans. Ils créent l’ASBL Peach Pack, partent à la recherche de fonds et lancent un crowdfunding grâce auquel ils récoltent près de 12.000 euros. Pendant ce temps, Leslie Neufcoeur reprend son activité d’éducateur spécialisé mais cette fois-ci au sein de l’ASBL Amarrage, où il travaille encore aujourd’hui. «  Je ne voulais pas retourner à l’IPPJ car je voulais avoir une meilleure qualité de vie, ne pas devoir travailler les soirs et weekends pour voir mon enfant. J’ai d’ailleurs refusé d’autres emplois à cause du travail de nuit  ».

Engagé d’abord au sein d’un projet d’autonomie, l’éducateur découvre une tout autre approche que celle qu’il a connue. «  Ici, tu es obligé de créer un lien avec le jeune sinon c’est difficile pour le suivi car s’il ne veut pas te voir il t’envoie balader alors qu’en IPPJ tu le mets en cellule ou en chambre ».

Après sa période de remplacement, il enchaine avec un mi-temps au centre de jour pour les enfants et adolescents déscolarisés et en rupture, où il exerce toujours. Parallèlement, il commence à enseigner à la Haute Ecole de Leonard de Vinci. C’est alors que l’échéance des deux ans arrive. Leslie Neufcoeur prend une pause-carrière. Sa femme, son fils et lui sont prêts à partir. Pendant sept mois, la famille traverse la Thaïlande, la Malaisie, l’Australie, Bali, le Japon... et observe comment les arts martiaux sont utilisés de manières éducatives et thérapeutiques dans ces pays.

Les arts martiaux, un outil socio-sportif

De retour en Belgique, Leslie Neufcoeur reprend ses emplois et lance les activités de l’ASBL Peach Pack. «  J’ai commencé à envoyer des mails pour proposer mes services et c’est allé assez vite  ». L’éducateur intervient dans tous types d’institutions, «  comme une sorte de consultant  ». Sur la base d’un objectif déterminé au préalable – le dépassement de soi, l’estime de soi... – il propose un programme adapté. Les arts martiaux son appréhendés comme un outil socio-sportif.

Aujourd’hui, l’ASBL Peach Pack s’adresse à tous les publics. Il a mis en place des activités avec des personnes sourdes et aveugles ou encore des personnes trisomiques, des réfugiés. Il intervient également une fois par semaine dans un centre de jour pour toxicomanes. «  En tant qu’intervenant je prends du plaisir auprès de tous les publics et je sens qu’il y a un impact  », confie-t-il. Toutefois, dans le quotidien, il garde une affection particulière pour l’aide à la jeunesse. «  C’est surement lié à mon parcours personnel  ».

Désormais, les semaines de l’éducateur sont réglées comme du papier à musique. Le lundi, mercredi et jeudi jusqu’à 15h on peut le trouver au Service d’accueil d’urgence (SRU) de l’Amarrage. Le mardi et vendredi à la Haute Ecole Léonard de Vinci. Le reste du temps est consacré à son ASBL. «  C’est intéressant car je suis partout mais pour prendre des vacances c’est un peu compliqué de réussir à combiner  ».

Adaptation n’est pas improvisation

Doit-il prévoir aussi un temps de préparation ? «  Pour mes interventions avec Peach Pack je prépare des dossiers, je mets tout sur papier. Pour le SRU, je prépare moins. J’ai toujours une idée de ce que je veux faire, j’ai un objectif éducatif et puis j’adapte selon la situation car c’est possible que j’arrive et qu’un jeune soit en fugue par exemple  ». Toutefois, l’éducateur précise  : adaptation ne veut pas dire improvisation.

Cette capacité d’adaptation est d’ailleurs une qualité indispensable pour exercer ce métier, selon lui. Tout comme l’ouverture d’esprit. Leslie Neufcoeur rappelle également qu’il est important d’avoir en tête le postulat de l’éducabilité, le fait que son intervention a un impact, tout en gardant la distance émotionnelle si cela ne fonctionne pas. Cette protection nécessaire, Leslie Neufcoeur en a pris conscience lors de son passage en IPPJ. En effet, il se souvient de ce jeune à qui il avait tout donné et qui a fini en prison. «  Si on fait ce métier c’est qu’on veut aider mais si on ne prend pas conscience des limites éducatives, ça peut nous bouffer. Parfois c’est aussi une question d’égo, on pense qu’on est Superman. C’est important de dissocier l’égo avec la posture professionnelle  ».

Gérer l’agressivité et ses émotions, aussi

Depuis quelques mois, Leslie Neufcoeur propose également une formation dans laquelle il aborde justement cette question de l’égo. Dans ce métier, les professionnelles et professionnels sont très souvent confrontés à la violence. «  Quand un jeune dit fils de... on se sent attaqué en tant que personne. L’émotionnel et un jeu de pouvoir se mettent en place  », explique-t-il. Ces dynamiques peuvent alors porter à des situations où l’éducateur ou l’éducatrice ne réussit plus à gérer l’agressivité «  et fait plus de mal qu’autre chose parce qu’elle ou il n’est pas formé  ». Dans ces formations de «  self defense éducative  », il explique alors comment maitriser un jeune sans lui faire mal.

Toutefois, Leslie Neufcoeur insiste  : «  C’est un métier difficile. On est face à la violence, à des gens en crise  ». Les éducatrices et éducateurs se retrouvent souvent confrontés à des situations de grande détresse. «  Des parents qui font du mal aux enfants, des abus sexuels, des meurtres, j’ai travaillé avec des djihadistes... Si on ne se protège pas et si on ne le dépose pas, ça peut nous bouffer  ». Selon lui, il est important de pouvoir en discuter en équipe, avoir une personne ressource à qui se confier, se consacrer un moment pour extérioriser sans jugement.

Au-delà des émotions, les difficultés sont également structurelles. Il pointe le manque de reconnaissance au sein de la société. «  Quand j’ai commencé, on nous prenait pour des pions dans les écoles. Ça a un peu changé maintenant  ». Toutefois, il assure que les conditions doivent encore être améliorées. Les conditions de salaire notamment mais aussi au niveau des moyens à disposition. «  Je suis intervenu dans des institutions où il y avait un éducateur ou une éducatrice pour 15 jeunes. Il ne peut pas y avoir de qualité éducative dans ces conditions  ». Pour lui, une meilleure reconnaissance et plus de ressources permettraient d’éviter que les travailleurs et travailleuses soient à bout de souffle et que toute l’équipe en pâtisse avec des heures supplémentaires.

«  Donner une alternative à la vie qu’ils connaissent  »

Malgré ces difficultés, Leslie Neufcoeur ne cesse de le répéter  : il adore son métier. «  C’est une manière de donner d’autres perspectives aux jeunes, une alternative à la vie qu’ils connaissent. Je leur dis souvent qu’on peut être fort en restant positif  ». Et si les mercis ne coulent pas à flot, il y a des exceptions. Comme ce jeune qui a contacté Leslie Neufcoeur des années plus tard pour le remercier. «  Il avait fait de la prison et maintenant il fait du rap. Ce retour-là était très positif  ».

Si son impact est difficilement mesurable, il assure vivre des moments privilégiés presque tous les jours. «  L’éducateur vit dans le moment. Même quelques minutes en voiture peuvent être positives ou encore quand je dois intervenir physiquement pour les apaiser il y a un lien, le jeune peut se lâcher, il n’est plus derrière le regard des autres. C’est unique  ». Sans parler des séances d’arts martiaux pendant lesquelles les jeunes sortent de leur zone de confort et peuvent déposer quelque chose. Il se souvient notamment de cette fille, ancienne prostituée et victime de viol. «  Elle a pleuré pendant toute la séance car jusque-là elle avait coupé son corps avec ses émotions  ».

Enfin, si aujourd’hui Leslie Neufcoeur dit ne pas avoir l’impression de travailler, c’est surtout parce qu’il peut exercer son métier en y intégrant sa passion pour les arts martiaux. Comme il le répète souvent à ces élèves, «  l’outil socio-sportif peut se faire avec tout  : le skateboard, le ski, la planche à voile...  ». Il faut être malin, assure-t-il. Enfin, il partage un dernier conseil  : il ne faut pas être obsédé par la performance. Car dans ce métier aussi «  les erreurs font partie de la vie  ».

Caroline Bordecq

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