Devenir un travailleur social indépendant
C’est un phénomène qui m’interpelle depuis un certain temps : je vois autour de moi de nombreux éducateurs spécialisés et assistants sociaux devenir des travailleurs sociaux indépendants. Au-delà du fait qu’il s’agisse d’un choix audacieux et d’une profession indépendante peu commune, je m’interroge sur les causes et conséquences sociétales de tels choix.
Qu’on ne se méprenne pas, il ne s’agit pas ici d’un jugement sur le choix d’une telle orientation professionnelle, j’en salue au contraire l’audace. Au-delà d’une inclinaison personnelle pour le travail indépendant ayant guidé ces choix, je m’interroge sur la responsabilité de notre société dans le développement de ces services sociaux indépendants et sur les conséquences que cela pourrait avoir au niveau social et sociétal.
Les failles du système de sécurité sociale
Notre société est basée sur un principe de solidarité, qui est supposé garantir à chacun un minimum de moyens d’existence. Notre système de sécurité sociale, auquel chacun participe financièrement, ne devrait laisser personne passer à travers les mailles de son filet. Sans-abrisme, précarité galopante, grande pauvreté … notre système a de grandes failles et nos politiques le vident peu à peu de sa substance.
Institutions en souffrance, travailleurs sous pression
Nos institutions souffrent également de cette désertion : moyens limités, gendarmisation des travailleurs sociaux transformés en dresseurs de pauvres, déresponsabilisation du système, lenteurs administratives inexpliquées et inexplicables, il y a de quoi en dégoûter plus d’un ! Devoir refuser de l’aide, ou expliquer des refus, à longueur de journée, être confronté à de la violence institutionnelle totalement normalisée, essayer de faire un travail correct avec du bric et du broc, voir son association peiner à nouer les deux bouts et devoir restreindre ses activités … Il faut avoir le cœur bien accroché pour rester, et surtout pour ne pas devenir blasé.
Le choix de l’indépendance
Certains d’entre nous ont choisi d’exercer une profession indépendante. C’était déjà une pratique courante chez les psychologues, logopèdes, ergothérapeutes, et voilà que cela se répand chez les assistants sociaux et éducateurs. Le développement des pratiques de coaching y est sans doute pour quelque chose, en ayant montré qu’il existait une potentialité. Pour autant, être indépendant n’est pas fait pour tout le monde : il faut un certain courage et une grande rigueur, en même temps qu’une aptitude à coiffer plusieurs casquettes. Et surtout, il ne faut pas avoir peur de sauter dans le vide, car en Belgique, ils ne sont pas aidés ! Notre pays ne favorise pas l’entrepreneuriat … du moins celui des petits : un ostéopathe indépendant payera plus d’impôts qu’AB Inbev et Exxon réunis.
Quelles raisons ?
Mais alors, qu’est-ce qui peut donc pousser des professionnels à quitter le confort relatif de leur emploi pour prendre de tels risques ? Il y a le goût de l’indépendance, l’envie de travailler selon ses valeurs et principes, le fait d’être arrivé à un point de rupture avec les institutions traditionnelles, mais aussi le besoin de compléter son salaire, ou encore le fait de ne pas trouver de travail salarié. Malgré tout, il faut une bonne dose d’audace pour lancer un service social ou éducatif indépendant, alors que notre pays est saturé d’institutions connues et reconnues, employant des travailleurs sociaux pour mener à bien ces missions.
Détricotage en cours
Nos décideurs pourraient ironiquement se réjouir : un travailleur social indépendant est une personne dont ils n’auront pas à financer le salaire, et ses bénéficiaires ne feront pas la queue dans les salles d’attente des institutions financées par l’Etat, pas plus qu’ils n’occuperont le temps des travailleurs sociaux y exerçant. Sauf que … Au-delà du fait que des personnes formées, motivées, compétentes et courageuses quittent le navire, elles viennent leur faire concurrence. Et elles doivent manger … Elles ne vont donc pas offrir leurs services à leurs bénéficiaires. Ces derniers devront les payer. En d’autres termes, les bénéficiaires en question vont financer eux-mêmes leur service social en direct. Détricotage du filet de sécurité sociale, quand tu nous tiens …
MF Travailleuse sociale
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