"Quand je suis témoin d’une naissance, j’ai des papillons dans le ventre"
Anne-Laure Durand avait seulement 19 ans quand elle est arrivée en Belgique pour devenir sage-femme. Aujourd’hui, elle travaille au Cocon, un « gîte de naissance » intra-hospitalier à Erasme. Après près de 20 ans de vie bruxelloise, elle revient sur son parcours teinté d’émotions et de bienveillance.
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Au 4ème étage de l’Hôpital Erasme, à Bruxelles, il y a une structure qui porte bien son nom : Le Cocon. Ici, les femmes peuvent accoucher de manière naturelle et démédicalisée, en toute sécurité. Anne-Laure Durand a rejoint Le Cocon en 2018 en tant que sage-femme. Arrivée en Belgique il y a presque 20 ans, cette Française de 38 ans n’a plus jamais quitté le pays. C’est avec beaucoup d’émotions qu’elle nous raconte son parcours, ses plus belles expériences mais aussi les plus douloureuses.
"Au sein du Cocon, j’accompagne des couples qui souhaitent donner naissance de façon libre et la plus physiologique possible"
Le Guide Social : En quoi constitue le métier de sage-femme ?
Anne-Laure Durand : Les sage-femmes sont aptes à suivre les couples et les mamans du préconceptionnel jusqu’au post-partum. Cela inclut donc la médecine fœtale, la PMA, les consultations préconceptionnelles, prénatales, etc.
Au sein du Cocon, j’accompagne des couples qui souhaitent donner naissance de façon libre et la plus physiologique possible. On entend par physiologique la façon d’accoucher comme on pourrait le faire à la maison et libre parce que ce ne sont pas des patients mais des partenaires. Ils font le choix du suivi et sont à l’écoute de leur besoin.
Le Guide Social : Pourquoi avoir voulu faire ce métier ?
Anne-Laure Durand : Depuis que je suis petite, je sais que je veux travailler avec l’humain. Quand j’ai découvert la profession de sage-femme, grâce à une amie, ça a été une évidence. Je devais avoir environ 15 ans.
Avant ça, je n’ai aucun souvenir qu’on m’ait parlé de ce métier. C’est seulement après avoir commencé les études que les gens autour de moi m’ont partagé spontanément leurs expériences. C’est comme s’il y avait une espèce de pudeur.
Le Guide Social : Est-ce que vous saviez précisément ce que vous vouliez faire ?
Anne-Laure Durand : Au cœur de mon désir d’être sage-femme, il y avait la volonté d’être témoin de naissances. Quand j’accompagne les familles dans la naissance j’ai des papillons dans le ventre.
Toutefois, toutes les facettes du métier sont très intéressantes. Ça irait même si je ne devais plus assister aux naissances, tant que je trouve du sens à ce que je fais.
"Cette prof nous a inculqué la profession, le respect des familles et le fait de trouver des solutions quand les institutions n’en proposent pas"
Le Guide Social : Où avez-vous fait vos études ?
Anne-Laure Durand : J’ai grandi en France, à Angers, et après avoir fait une filière technologique au lycée, j’ai fait une année de remise à niveau pour avoir une équivalence de baccalauréat scientifique. A ce moment-là, j’ai rencontré une amie qui partait en Belgique pour faire ergothérapeute. J’ai décidé de quitter aussi la France pour aller étudier à la Haute Ecole Libre de Bruxelles, à Erasme, et je ne suis plus repartie. Je venais à peine d’avoir 19 ans.
Les études ont duré quatre ans. A l’époque, en 1ère année on suivait les mêmes cours que les infirmiers, en 2ème année on avait plus de cours spécifiques et les deux dernières années on était dans le bain. C’était assez frustrant la première année de ne pas être imprégné directement dans le sujet.
Le Guide Social : Qu’est-ce que vous avez appris pendant vos études qui vous sert encore aujourd’hui ?
Anne-Laure Durand : Je me souviens d’une de mes professeurs qui n’était vraiment pas tendre mais qui nous a donné une autre vision de la naissance très médicalisée avec la femme couchée sur le dos et la sage-femme qui suit.
Elle nous a inculqué la profession, le respect des familles et le fait de trouver des solutions quand les institutions n’en proposent pas. Je me souviens qu’une de ces questions d’examen était : « Qu’est-ce que vous pourriez imaginer qu’on fasse dans une institution pour qu’il n’y ait pas de séparation entre la mère et le bébé après une césarienne ? »
Elle ne demandait pas comment suturer ou poser une perfusion, ces actes on les apprend sur le terrain. En revanche, ce qu’elle nous a enseigné je ne l’ai jamais trouvé ailleurs. Ça m’a donné envie de réfléchir à ce qu’on peut faire de mieux pour respecter les familles, la physiologie, etc.
"C’était incroyable dans le positif, car je découvrais le monde dans lequel j’allais travailler, et dans le négatif car c’était assez violent"
Le Guide Social : Vous souvenez-vous de votre première expérience sur le terrain ?
Anne-Laure Durand : J’étais en 2e année lorsque j’ai fait mon premier stage à la maternité. Je suis allée en salle de naissance à Saint-Pierre et j’ai été témoin de naissance pour la première fois.
C’était incroyable dans le positif, car je découvrais le monde dans lequel j’allais travailler, et dans le négatif car c’était assez violent. On ne m’avait pas du tout expliqué comme ça allait se passer, je n’étais pas bien accompagnée par rapport à ce que je voyais, à la position à avoir dans cette intimité avec la famille.
Le Guide Social : Où avez-vous travaillé après vos études ?
Anne-Laure Durand : Après avoir été diplômée en 2007 j’ai commencé à travailler à Erasme et j’y suis restée quasiment tout le temps jusqu’en 2018.
J’ai travaillé en salle de naissance, puis je me suis mise aussi à mon compte pour faire du suivi post-partum. J’ai fait aussi quelques missions en France mais j’ai vite déchanté. C’était paradoxale car en France les sage-femmes étaient plus autonomes, mais n’étaient pas tournées vers le physiologique comme ici.
Puis j’ai fait un remplacement au Cocon. Ça a tout de suite matché avec l’équipe et les accompagnements, alors j’y suis restée.
Le Guide Social : Comment s’organisent vos journées ?
Anne-Laure Durand : Cela dépend si on est en consultation ou de garde. Dans le premier cas, on commence soit très tôt, soit on finit plus tard dans la soirée et notre journée s’articule autour de consultations prénatales et de préparations à la naissance. On rend aussi visite à des mamans à la maternité. Avant le Covid, on organisait des lunchs partagés avec les couples pour pouvoir discuter de façon libre. Maintenant, c’est plus difficile.
En ce qui concerne les gardes, elles sont de 12h ou 24h. On est appelées quand la maman se met en travail actif et on la rejoint au Cocon pour l’accompagner pour la naissance.
"Il faut se lever tôt, se coucher tard, faire les nuits et les weekends"
Le Guide Social : Vous travaillez en équipe ?
Anne-Laure Durand : Oui, nous sommes une équipe de neuf sage-femmes, on se partage les consultations, les gardes et on procède toutes de la même manière.
On fait aussi en sorte que les mamans rencontrent les autres sage-femmes du Cocon avant le travail. Cela permet de centraliser les informations, de créer du lien et de ne pas devoir être disponible 24h/24.
A côté de notre équipe, nous avons aussi des partenaires, d’autres professionnels, pour s’assurer que tout se passe bien. Ainsi, on travaille avec des gynécologues référents avec qui on se réunit chaque jeudi. Pendant ces réunions, on consacre une heure pour parler des situations plus délicates au niveau médical.
Nous travaillons aussi avec des pédopsychiatres, des reflexologues, des ostéopathes, des assistants sociaux, des psychologues... C’est très vaste.
Il y a également des sage-femmes indépendantes qui ont un plateau technique au Cocon, c’est une pièce dont elles peuvent jouir.
Le Guide Social : Quels sont les inconvénients de votre profession ?
Anne-Laure Durand : Je dirais les horaires. Il faut se lever tôt, se coucher tard, faire les nuits et les weekends.
Dans notre équipe, personne n’est à temps plein. Moi, je suis à mi-temps - ce qui correspond à peu près à deux consultations et une à deux gardes par semaine – mais dans les faits je fais généralement plus. C’est difficile de faire un mi-temps sachant qu’on ne peut pas prévoir comment vont se dérouler les gardes.
C’est aussi un métier qui demande beaucoup d’investissement et même quand on est en repos on travaille un peu car on suit les naissances sur notre groupe.
On peut aussi être confronté à des situations difficiles, qui vont nous mettre face à nos propres limites physiques et émotionnelles.
"Elle a donné naissance dans les rires et dans la joie. C’est un moment qui restera gravé toute ma vie"
Le Guide Social : Effectivement, il y a aussi une partie plus sombre de votre travail à laquelle on pense peut-être moins. Comment est-ce que vous l’affrontez ?
Anne-Laure Durand : On n’est jamais préparé. J’essaie de ne pas le partager en famille. J’en parle à mon compagnon seulement si ça m’a vraiment affecté. C’est une personne sensible mais je sais qu’il va savoir se protéger par rapport à ce que je lui raconte.
Sinon, il y a beaucoup d’entraide entre collègues. On peut aussi être accompagnés par les psychologues. Des formations sont parfois proposées autour du deuil périnatal et de l’accompagnement des familles en deuil.
On essaie de mettre en place des choses pour que le deuil se fasse aussi pour nous. On accompagne les bébés avec beaucoup de grâce et on essaie de voir le projet des parents : s’ils veulent l’avoir sur eux, prendre des photos, prendre les empreintes...
Un de mes souvenirs les plus frappants remonte à mon stage en maternité. Je suis entrée dans la chambre et j’ai vu que le nouveau-né, qui était né quelques heures avant, était mort dans son lit. Je me souviens qu’on a été très bien accompagnés en tant qu’étudiants. On a eu un feedback sur le long terme, on a sur pourquoi il était décédé.
Puis j’ai connu des situations tragiques lorsque j’ai travaillé en milieu hospitalier, en salle de naissance. Je me souviens avoir beaucoup pleuré pour beaucoup de situations.
Au Cocon, on est un peu plus préservées car les grossesses qu’on suit sont physiologiques et se passent bien par principe. Il y a parfois des frayeurs mais on peut transférer vers la salle de naissance de l’hôpital si besoin. Ça nous arrive d’accompagner des mamans dans les fausses couches ou de faire des IVG quand il y a des malformations graves, que le bébé n’est pas viable. A ce moment-là, on travaille en multidisciplinarité et on les accompagne. Ce n’est pas parce qu’elles perdent le bébé qu’elles perdent le droit à l’accompagnement.
Le Guide Social : Est-ce qu’il y a d’autres moments, peut-être positifs, qui vous ont marquée ?
Anne-Laure Durand : Il y en a beaucoup... Je me souviens d’un accouchement où la maman et le papa étaient dans le bain et elle est venue chercher son bébé seule. Elle l’a sorti de l’eau doucement et lui a chanté des chansons. Elle a donné naissance dans les rires et dans la joie. C’est un moment qui restera gravé toute ma vie.
"Il faut aimer les humains. Très fort. Sinon il faut faire autre chose"
Le Guide Social : C’est un métier qui vous fait vivre des moments très forts. Quelles sont les qualités nécessaires pour l’exercer ?
Anne-Laure Durand : La première c’est la patience. Ce n’est pas toujours facile de rester à rien faire, d’observer et de faire confiance à la mère et au bébé. Le but au Cocon c’est de proposer un accompagnement one-to-one : une sage-femme pour une maman. Ainsi, si les familles veulent qu’on soit là on est là.
A l’époque la sage-femme n’était pas une personne qui avait étudié mais une femme qui avait l’expérience de la maternité. Quand il y avait une naissance, elle prenait soin de la maman mais elle tricotait aussi. Elle faisait autre chose. Parfois juste de tenir sa place, de faire comme un rituel, observer, attendre, ça change tout.
Il faut aussi être ancrée dans l’instant. C’est tellement important ce qui se passe en consultation et pendant la naissance que les gens le sentent quand on n’est pas là.
Enfin, il faut aimer les humains. Très fort. Sinon il faut faire autre chose.
Le Guide Social : Comment avez-vous vu évoluer votre métier ?
Anne-Laure Durand : Je pense qu’il y a eu un virage quand j’ai été diplômée en 2007. Les sage-femmes ont revendiqué leur profession et n’étaient plus des assistantes. D’ailleurs on a changé de dénomination : on est passé d’accoucheuses, à sage-femmes. On a gagné en autonomie tout en gardant l’importance de la physiologie.
Toutefois, j’ai conscience que je suis chanceuse de travailler au Cocon et que ma situation est exceptionnelle. Il y a encore du travail à faire dans la reconnaissance des sage-femmes mais aussi dans la compétence des mères, des familles, des bébés dans le processus de mise au monde.
Les femmes ne sont pas des corps stupides qui mettent au monde des bébés et on n’a pas besoin de les accompagner de façon dominante. Au contraire quand les femmes sont enceintes elles ont toute leur conscience pour donner naissance de manière saine et sécuritaire. Bien sûr, dans la limite du raisonnable. Certaines femmes doivent être accompagnées et heureusement que la science existe.
Il faudrait aussi qu’on augmente les effectifs : dans un monde parfait il faudrait une sage-femme pour une femme, même dans les unités plus traditionnelles. D’ailleurs, je vois qu’il y a de plus en plus d’étudiants et étudiantes mais j’en vois aussi plein qui galèrent car ils ne trouvent pas d’emploi ou bien ils sont mal accueillis car il n’y a pas les moyens pour les accompagner. C’est dommage.
Caroline Bordecq
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