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Professionnelles et usagères, ensemble pour des maternités respectueuses et égalitaires

21/05/25
Professionnelles et usagères, ensemble pour des maternités respectueuses et égalitaires

Les choses bougent pour avancer vers des naissances plus justes pour les patientes et les soignant·es. L’occasion pour Le Guide Social d’interroger les relations de soins et de mettre en lumière les pratiques qui garantissent les droits et les choix des familles. Des sages-femmes aux gynécologues, en passant par les doulas, cette enquête donne la parole aux professionnel·les du secteur. Car derrière les violences obstétricales, c’est aussi le quotidien d’un personnel soignant sous tension qui est mis en lumière. Dans ce contexte, certain·es réinventent leur pratique et défendent une approche plus humaine et collaborative.

Mars 2025, locaux de Bruxelles Laïque. Festival des maternités féministes pour une justice reproductive, co-organisé par la Plateforme citoyenne pour une naissance respectée et Femmes et santé.. Devant une salle remplie de professionnel·les de la naissance et d’usagères, les prises de parole s’enchaînent. La Française Claudine Schalck, sage-femme, psychologue clinicienne et coautrice de l’ouvrage Quand déclencher l’accouchement, c’est confisquer la maternité aux femmes, introduit la discussion : « Les violences obstétricales impactent la santé des femmes, mais aussi celle des soignants et des soignant·es. À savoir, le burn-out trouve sa source dans des réalités paradoxales : par exemple devoir exécuter beaucoup d’actes techniques et ne plus pouvoir accompagner humainement les patient·es. C’est terriblement violent pour les soignant·es de ne pas être reconnu·es comme faisant bien leur travail. »

Si cette première édition du festival s’est révélée un succès, le chemin vers une justice reproductive reste long. En effet, d’après la récente enquête sur les conditions d’accouchement en Belgique réalisée par la Plateforme citoyenne pour une naissance respectée, on estime qu’une femme sur cinq est victime de violences gynécologiques et obstétricales (VGO)[1]. Ces situations, loin d’être des cas isolés, trouvent leur origine dans les failles structurelles du système. Nous avons cherché à en savoir plus…

Donner accès à l’information

Face aux constats, l’une des revendications de la Plateforme est de garantir aux femmes l’accès à l’information concernant les différent·es professionnel·les qui peuvent les accompagner (gynécologues, médecins généralistes et sages-femmes), mais aussi les options de lieux où accoucher (maternité hospitalière, gîte intrahospitalier, maison de naissance, domicile).

Michèle Warnimont a travaillé toute sa carrière comme sage-femme et cofondé il y a onze ans Le Cocon, gîte de naissance intrahospitalier au cœur de l’hôpital Erasme. Aujourd’hui retraitée, elle observe l’évolution de la prise en charge des futures mères. « On vient de loin ! Après la Seconde Guerre mondiale, les femmes ont été invitées à accoucher à l’hôpital. La médecine technique et déshumanisante a alors pris de l’ampleur et la sage-femme a été de plus en plus cantonnée à un rôle d’assistante. C’est seulement à partir des années 2000 et du mouvement "Hôpital ami des bébés" que l’on a commencé à s’interroger sur ce qu’il fallait mettre en place pour favoriser l’allaitement maternel, et ce faisant, on a remis en question les pratiques qui ne respectaient pas le lien d’attachement, car jusque-là on séparait les bébés de leur mère… Dans ce sillon, les réflexions sur la juste place de la médicalisation se sont multipliées et des initiatives ont émergé… »

Et parmi les projets novateurs, la création notamment du Cocon, conçu et géré par des sages-femmes. Une nouvelle approche qui a fait grand bruit : selon une étude menée par l’hôpital Erasme, en comparant des populations à risques égaux, il y aurait deux fois moins de césariennes et d’épisiotomies dans une structure comme celle-là que dans une structure classique au sein du même hôpital. « Si on arrive à travailler ensemble, il y a une complémentarité entre les professions qui est enrichissante et bénéfique pour les familles. Quoi qu’il arrive, il faut fournir toutes les informations aux patientes pour leur permettre d’opérer un choix libre et éclairé sur les conditions dans lesquelles elles souhaitent accoucher », insiste Michèle Warnimont.

#metoo, le réveil des consciences

Pour l’année 2023, le Centre d’Epidemiologie Perinatale a comptabilisé à Bruxelles 20.134 accouchements à l’hôpital et seulement 73 accouchements en extrahospitalier. Charlotte de Gélas est gynécologue au service d’obstétrique de l’hôpital Saint-Pierre. Sensible à la réalité des VGO, elle tente de faire bouger les choses à son niveau. « J’ai été diplômée en 2018, juste après la vague #metoo. Quand les témoignages de violences gynécologiques se sont multipliés sur les réseaux et dans la presse, j’ai ressenti un grand décalage entre l’investissement que demandait mon métier et le fait que les premières concernées, les patientes, ne semblaient pas satisfaites… Je me suis dit que je ne pouvais pas mener toute ma carrière avec un tel décalage et j’ai commencé à me former à ces questions. »

Comme frein à des solutions collectives et politiques, la médecin pointe notamment la non-existence de recensement systématique des VGO en Belgique. « Aussi, il y a un peu cette idée reçue qu’il n’y a que les gynécos qui sont maltraitant·es, mais les VGO peuvent être commises par chaque membre du personnel, et ce involontairement. Parfois, les professionnel·les semblent s’étonner que les patientes nous expliquent comment pratiquer notre métier, mais c’est normal d’écouter ce qu’elles ont à dire… La problématique des VGO est vraiment à l’intersection des violences faites aux femmes et des violences médicales. »

Lire aussi : "Il faut avoir des sages-femmes bien dans leurs baskets !"

Des valeurs fortes, mais une pratique problématique

Lucie Richard est sage-femme et enseignante pour les futures sages-femmes. Elle aussi pointe le hiatus entre la théorie et la pratique de terrain comme source de violences au détriment des usagères et des soignant·es. « Les étudiantes portent un idéal très ancré, mais ensuite, durant leurs stages, elles découvrent une pratique qui peut se révéler très technocratique et peu respectueuse. Elles peuvent alors être témoins de situations très problématiques. »

Elle cite notamment l’infantilisation des femmes comme maltraitance institutionnelle. « Dans certains hôpitaux, on n’explique pas aux patientes leur suivi ou on pratique des actes sans leur consentement éclairé. Sans capacité d’agir, les femmes finissent par devenir très dociles. Et encore… Si on est une femme blanche éduquée, le rapport de force est souvent plus facile que pour les femmes primo-arrivantes ; le cumul des vulnérabilités entraîne une non-prise en compte de l’avis des femmes. » À l’instar de Michèle Warnimont, pour cette spécialiste, l’une des solutions est de créer plus de dialogue entre les différentes disciplines. « Je pense qu’on doit former tous·tes les professionnel·les de la santé à ces enjeux féministes. Et on ne peut pas avancer sans repenser le rythme de travail imposé par l’hôpital ; il faut aussi que les soignant·es osent parler de leur vulnérabilité. »

Des femmes actrices de leur accouchement

Camille Alexandre est doula. Au quotidien, elle accompagne de futures mères ou des femmes en questionnement autour de la maternité. Bien qu’en Belgique, la profession ne soit pas officiellement reconnue, de plus en plus de personnes se tournent vers cette pratique non médicalisée pour trouver un soutien personnalisé. « Le soin dans une perspective productiviste n’est pas conciliable avec des naissances respectées. La phrase que j’entends le plus souvent, c’est “j’ai été dépossédée de mon accouchement”. C’est important que les femmes comprennent qu’elles sont maîtresses de leur corps et de leur ressenti. »

Charlotte Verdin est coordinatrice de la coalition Genre et santé. Elle abonde dans ce sens : « Le capitalisme médical est basé sur la rentabilité. On vit dans un système interventionniste. En tant que femmes, on apprend à intérioriser toute une série de choses. Au sein de la Plateforme pour une naissance respectée, on observe également une difficulté à employer le terme "violences" : on entend souvent les professionnel·les de santé nous dire que ce n’est pas de la maltraitance parce qu’ils et elles ne veulent pas mal faire. Aussi, certain·es n’hésitent pas à remettre en question nos recherches sous prétexte de notre engagement militant. »

Malgré les obstacles, les choses avancent et les prises de conscience se multiplient. « Les articles, les films, les documentaires sont autant d’outils pour éveiller le public. Plus les femmes parleront, plus les pratiques évolueront, car le système n’aura d’autre choix que de suivre la demande. Enfin le féminisme se préoccupe des questions de maternité ! », se réjouit Michèle Warnimont.

Une enquête de Jehanne Bergé

Savoir plus :

1. Les violences obstétricales renvoient aux actes et comportements qui ne respectent pas l’intégrité physique et mentale des femmes lors du suivi d’une grossesse, d’un accouchement ou d’un post-partum. Elles concernent des pratiques telles que l’expression abdominale (le fait d’appuyer sur le ventre pour accélérer l’expulsion du bébé), l’épisiotomie de routine, les césariennes injustifiées sur le plan médical, le point du mari… Sources ICI.




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