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Handicap : pourquoi des Français choisissent-ils la Belgique ?

09/03/23
Handicap : pourquoi des Français choisissent-ils la Belgique ?

9.000 Français, dont 7.500 adultes et 1.500 enfants, fréquentent les institutions wallonnes, plus particulièrement dans le Hainaut. La raison ? Le manque de places dans les structures en France. Afin de tenter de remédier au problème, certains départements français ont passé des conventions avec certains établissements belges. Selon l’Association pour les Français en situation de handicap en Belgique (AFrESHEB), la situation devient de plus en plus préoccupante. En effet, un moratoire du gouvernement français, en vigueur depuis février 2021, restreint le nombre de places pour les Français dans les établissements belges. Entretien avec Isabelle Resplendino, présidente de l’association.

La France manque cruellement de places dans les structures spécialisées. En conséquence, de nombreux Français sont contraints de faire la navette entre la France et la Belgique. Pire encore : un moratoire, voté par l’Hexagone, limite depuis février 2021 le nombre de Français, qui présentent un handicap, pouvant être accueillis dans les établissements belges. Ils sont donc nombreux à se voir refuser l’accès dans des structures, faute de places… Des situations difficiles à gérer pour les familles, qui se retrouvent dans l’impasse. L’Association pour les Français en situation de handicap en Belgique (AFrESHEB) demande à être auditionnée par le Sénat français afin de supprimer ce moratoire.

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« Les familles reçoivent une aide de services qui interviennent chez elles une heure par-ci, une heure par-là… Mais ce n’est pas suffisant ».

Le moratoire français avait pour but de débloquer 90 millions d’euros pour mettre en place des moyens afin d’éviter que les Français se retrouvent contraints de se tourner vers la Belgique. Les régions concernées ? l’Ile-de-France, les Hauts-de-France et le Grand-Est. Le gouvernement français prévoyait alors de favoriser la création de nouvelles maisons d’accueil spécialisées, le soutien des services à domicile et des unités de vie résidentielles. Trois unités pour six adultes autistes avec graves troubles du comportement ont alors été créées... Sur les quarante que contenait l’appel à projets, faute de personnel qualifié.

Les familles françaises qui se voient refuser l’accès aux soins se retrouvent alors en grande difficulté, avec des enfants qui nécessitent une présence et une surveillance constantes. « Il y a des familles qui n’ont pas de soutien et donc elles veulent mettre leur enfant souffrant d’un handicap en Belgique. Depuis l’entrée en vigueur du moratoire, les établissements belges ne peuvent plus tous les prendre en charge », commence Isabelle Resplendino, présidente de l’Association pour les Français en situation de handicap en Belgique. Le moratoire instaure en effet une limite aux places occupées depuis février 2021. Dès lors, 200 places se libèrent chaque année dans les structures belges, pour un total de 550 demandes. Elle poursuit : « Ils sont complets même s’ils habitent à cinq kilomètres de la frontière. Les familles reçoivent une aide de services qui interviennent chez elles une heure par-ci, une heure par-là… Mais ce n’est pas suffisant ».

Les familles se retrouvent alors “sur la paille”, condamnées à attendre en vain que des places se libèrent et doivent s’adapter en conséquence. Souvent, amener son enfant en Belgique est une solution de dernier recours pour les familles, qui se retrouvent dans l’impasse… Une détresse à laquelle Isabelle Resplendino est régulièrement confrontée : « On a des familles qui sont épuisées. Souvent, l’un des parents doit arrêter de travailler pour s’occuper de l’enfant handicapé, faute de disponibilité. Quand elles demandent la Belgique, c’est qu’elles ont déjà essayé en France. En raison du manque de places, les enfants se retrouvent dans des établissements inadaptés, parfois dans des hôpitaux psychiatriques… Le problème a pris de l’ampleur depuis l’amendement Creton ».

Ce dernier, voté en 1989, permet dès lors aux jeunes handicapés de plus de 20 ans d’être maintenus dans des établissements pour enfants dans les cas où ils ne pourraient pas être immédiatement accueillis dans des établissements pour adultes. En conséquence, les adultes restent dans les structures pour enfants… Lesquelles ne peuvent plus accueillir les plus jeunes et se voient contraintes de les refuser. Jusqu’en 2021, les familles françaises avaient trouvé un bon compromis, notamment celles qui habitent non loin de la frontière : certaines avaient en effet recours aux structures belges. Or, l’entrée en vigueur du moratoire au mois de février 2021, qui limite à 200 le nombre de places occupées, a compliqué les choses. « Deux ans avant le moratoire déjà, la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie recommandait de ne plus orienter les handicapés vers la Belgique. Les procédures étaient devenues bien plus compliquées, il fallait ramener des tas de papiers, faire des tas de démarches qu’il ne fallait pas faire avant. » Et, les choses ne vont pas en s’améliorant…

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La prise en charge en France : tout un système à revoir…

Selon Isabelle Resplendino, les familles trouvent une prise en charge et un accompagnement plus adapté aux besoins des handicapés en Belgique. L’approche est différente et elle fait ses preuves : « J’ai reçu une maman qui voulait venir en Belgique, elle habitait dans le Var, nous raconte-t-elle. Son enfant était autiste et aucun centre ne pouvait l’accueillir. Elle a alors dû renoncer à travailler pour s’occuper pleinement de son fils. Un service d’éducation à domicile le prenait une demi-heure par semaine, ce qui est très peu. Un jour, l’éducatrice l’a amené à la piscine. Il a alors fait une crise… L’éducatrice a avoué à la mère qu’elle ne connaissait pas l’autisme ». La présidente de l’association dénonce une mauvaise prise en charge et un manque de formation des professionnels aux différents troubles et aux réactions qui peuvent en découler. Elle poursuit : « J’ai également rencontré une autre maman française. Elle m’a raconté que sa fille était en souffrance dans l’établissement qui la prenait en charge en France et a arrêté de s’alimenter. La maman a donc amené sa fille dans une structure à Liège. Là-bas, elle y a trouvé une super prise en charge, cela fait maintenant 3 mois qu’elle y est. ».

Selon Isabelle Resplendino, il est impératif de repenser le système de soins en France, notamment au sein des structures d’accueil des personnes en situation de handicap. « Au sein des structures françaises, il y a beaucoup plus d’AMP (Aides Médico-Psychologiques) que d’éducateurs. » Or, il y a un grand besoin d’éducateurs pour s’occuper des personnes présentant un handicap. C’est le cas en Belgique. La manière de prendre en charge les individus souffrant d’un handicap y est donc différente. Et cela réussit ! « Les familles voudraient avoir en France le même système dans les écoles qu’en Belgique, avec du personnel paramédical, éducatif… Pour les adultes, les familles voudraient des établissements plus souples », déclare-t-elle. La présidente de l’association précise : « En Belgique, les professionnels et les structures sont plus pragmatiques et parlent plus des “capacités” des personnes plutôt que de leurs déficiences. A l’inverse, en France, on est très axé sur le médical. ».

Par conséquent, les prises en charge au sein des établissements d’accueil de Belgique font l’objet de résultats plus prometteurs ainsi que d’un accompagnement plus adapté à chaque situation. Accompagnement qui nécessite également une bonne connaissance du handicap. Selon Isabelle Resplendino, « Il faut faire comme en Belgique : il y a 30 ans, ils ont créé le service universitaire spécialisé pour personnes autistes (SUSA) à l’université de Mons, qui forme des tas de jeunes chaque année. »

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Pénurie de travailleurs et d’organismes : « Il faut changer les mentalités »

Le manque de professionnels en France est également un autre problème, de grande importance. Et pour cause : « On a un gros problème dans le médico-social. On n’arrive pas à recruter », dénonce Isabelle Resplendino. Or, le manque de travailleurs se répercute directement sur les structures d’accueil françaises. A préciser : depuis la mise en place du moratoire, seulement 3 structures ont pu voir le jour. Un chiffre faible, qui ne comble malheureusement pas la demande et qui est directement lié au manque de main-d’œuvre. « En France, il faut changer les mentalités. Il faut rendre les formations du médical et du social plus attirantes, pointe Isabelle Resplendino. Cela va prendre des années. Tant que le gouvernement français ne prendra pas une nouvelle décision politique, il n’y aura pas de changement. »

Il est donc plus que jamais nécessaire de revaloriser les professions du secteur médico-social et d’attirer les jeunes. Elle ajoute : « De la sorte, on aura des professionnels, ce qui créera plus de places dans les structures en France. Pour l’instant, on est dans un cercle vicieux. Le manque de personnel en France entraîne une surcharge de travail, ce qui conduit au burn-out. » Mais aussi, des arrêts de travail et donc encore plus d’absences, ce qui se répercute directement sur l’accompagnement des bénéficiaires… Autre difficulté : de nombreux travailleurs français, spécialisés dans le médical, le paramédical ou le social, vont exercer en Belgique. « Il faut leur redonner l’envie de travailler en France. »

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« Ouvrir des places financées par la France permet de créer de la demande en Belgique »

Le placement des Français dans des structures belges n’entraîne a priori pas de frais complémentaires pour les familles. « Si les Français sont placés dans des établissements conventionnés en Belgique, c’est l’établissement qui doit financer les trajets. Les nouvelles conventions les y obligent. Les frais de déplacement sont compris dans le prix de journée. » Des conventions ont en effet été passées entre certaines régions françaises et des établissements belges. Isabelle Resplendino nuance toutefois : « Il faut calculer en fonction du lieu d’où la personne est originaire, de quelle région. D’autres établissements les emmènent à mi-chemin mais pas tous, cela dépend. » La France finance donc des places pour les Français au sein des organismes belges. « Les Français ne prennent pas la place des Belges, au contraire. Elles sont financées par la France. Pour les Belges, c’est la Belgique qui paye », précise Isabelle Resplendino. L’investissement, fixé par les conventions passées entre certaines régions françaises et la Belgique, profite donc à cette dernière. « Le fait d’ouvrir des places financées par la France permet de créer de la demande en Belgique et, à terme, d’ouvrir plus de places pour les Belges et de créer plus de structures et d’emplois en Belgique », renchérit-elle.

L’Association pour les Français en situation de handicap en Belgique a décidé de saisir le Sénat français, suite à l’ouverture d’un groupe d’études sur le handicap. « On a fait une lettre ouverte pour que le gouvernement se penche sur les problèmes engendrés par le moratoire actuellement en vigueur. On s’est dit qu’on aurait peut-être plus de chances de se faire entendre », explique la présidente de l’association. A terme, l’AFrESHEB voudrait suspendre l’application du moratoire. Elle milite également pour la conclusion d’un accord transfrontalier entre la Belgique et les régions françaises Hauts-de-France et Grand-Est, particulièrement touchées par la pénurie d’organismes adaptés.

Affaire à suivre…

Mélissa Le Floch



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