Tous les psys ne peuvent pas traiter les traumas !

En cas d’attentats ou autres grosses catastrophes, la prise en charge psychologique est cruciale. Les psychologues sont donc en première ligne pour effectuer un travail avec les personnes traumatisées. Interview de Jérôme Vermeulen, psychologue clinicien formé à l’hypnose, responsable du site psychologue.be
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Vous êtes psychologue clinicien et vous traitez les traumas, quel est votre parcours ?
J’ai un master en psychologie effectué à l’UCL et j’ai ensuite suivi une formation à l’hypnose, avec une spécialisation dans le traitement des traumatismes. Il faut savoir que ces problèmes sont très souvent sous-diagnostiqués, notamment lors de plaintes somatiques chez le médecin. Autre problème lié aux traumatismes : leur apparition surgit généralement des mois après l’événement en question et peuvent perdurer très longtemps.
Quelle est l’explication ?
Les événements traumatiques sont directement liés à la mémoire. Tout ce qui est mnésique et mémoriel est très important au niveau du traumatisme. Sans rentrer dans les détails, vous allez réutiliser cette expérience traumatique dans d’autres expériences similaires qui se présenteront. Le problème, c’est que c’est une expérience tellement forte, que l’on ne va pas arriver à s’en débarrasser.
On ne s’en débarrasse jamais ou pas complètement ?
L’aspect le plus compliqué avec les traumatismes, c’est de se débarrasser de ce qui est lié à l’activation et à l’agitation émotionnelle. Quand on travaille sur un traumatisme et qu’on le désensibilise, la personne se rappelle très bien de ce qui s’est passé, mais elle va y repenser avec un état émotionnel complètement différent. L’on peut faire un parallèle : en informatique, vous pouvez n’avoir accès aux fichiers qu’en lecture seule, mais pas à l’écriture. Avec l’hypnose ou l’EMDR, vous allez avoir un accès en ré-écriture sur ce fichier. C’est-à-dire que vous allez pouvoir le rectifier.
On passe en mode parasympathique quand on est sous hypnose ?
On a accès au système nerveux autonome, qui est difficile à contrôler normalement. Lorsque l’on est débordé par ses émotions, ce n’est pas évident de travailler sur le système nerveux autonome. L’on sait que l’hypnose a aussi des effets très efficaces et assez spectaculaires sur la gestion de la douleur par exemple. À Liège, on opère par exemple sous hypnose. Cette technique a un impact au niveau de la physiologie de la douleur mais aussi au niveau de l’interprétation émotionnelle de la douleur.
Comment définir le trauma ? Existe-il un ou différents types de traumas ?
C’est en quelque sorte une expérience qui a été mémorisée de manière tellement forte, que ce n’est plus une expérience. Cela devient un souvenir encombrant qui s’impose à vous perpétuellement. C’est donc une mémorisation avec une émotion très forte. On mémorise à la fois une information technique : l’endroit, la couleur des vêtements de l’agresseur, le bruit du dérapage de la voiture juste avant l’accident, puis viennent ensuite les informations émotionnelles. Ensuite, tout élément qui va déclencher le souvenir de l’événement, fera s’agiter le système émotionnel. Et à juste titre, au fond, c’est pour ça qu’il a été conçu ! Lorsqu’on passait près d’une caverne où il y avait un ours à l’époque préhistorique, on mémorisait l’endroit de la caverne mais aussi la peur associée à l’ours. Le traumatisme, c’est donc ce qui va s’imposer à vous après et pas forcément consciemment. Ça peut revenir sous forme de cauchemars, de sursauts, d’irritabilité : ce n’est pas toujours facilement diagnostiqué. Il faut faire une connexion entre un événement et ensuite une cascade de réactions psychologiques, physiques et physiologiques qui se sont déclenchées.
Est-ce qu’il y a une échelle des traumas comme il y a une échelle de la douleur par exemple ?
Cliniquement, il y a une échelle des traumas. Il y a des questionnaires qui existent pour évaluer leur intensité. Mais il y a surtout une grande variabilité individuelle, il n’y a pas de réponse type au traumatisme. Il y a des gens qui vont passer à travers sans trop de soucis. D’autres vont vivre des choses beaucoup moins graves et être fort perturbés. Ça va dépendre aussi de la période de votre vie où cela arrive. Lorsque l’on perd un parent ou un proche, que l’on vit une séparation ou une perte d’emploi, on est alors beaucoup plus vulnérable.
Quelle est la différence entre le trauma et le stress post-traumatique ?
stricto sensu, le stress post-traumatique c’est l’exposition directe à un danger de mort, pour soi même, pour autrui ou à des blessures très graves. Vous avez le sentiment que votre vie est en danger.
Qui peut prendre en charge les personnes qui sont atteintes soit de traumas ou de stress post-traumatique. Uniquement des psychologues ? Doivent-ils avoir suivi une formation spécifique ?
Le souci avec les traumatismes, c’est qu’il faut maîtriser une technique qui vous donne accès aux souvenirs émotionnels et traumatiques. Le problème, si vous allez juste voir quelqu’un pour en parler, vous allez le répéter, mais vous allez encore mieux le mémoriser. Ça va juste vous traumatiser à nouveau, vous y confronter à nouveau, faire remonter des émotions, fixer en mémoire le souvenir.
La parole n’est donc pas spécialement libératrice ?
Absolument pas. Cela fait déjà un moment que l’on est revenu de cette logique cathartique. Cela peut faire du bien, si l’entretien est bien mené et aboutit sur une reconfiguration un peu plus cognitive. Par exemple, je peux expliquer au patient : « Quand moi, psychologue, je repense à ce que vous venez de m’expliquez, vous n’avez pas vraiment été en danger, vous avez cru à ce moment là que vous étiez en danger… ». On peut alors déjà amener une petite touche de reconfiguration cognitive, dans certaines situations. Mais il faut pouvoir aller plus loin. Une étude a démontré, en mettant des gens sous hypnose dans un scanner, que le cerveau fonctionne alors de manière hallucinogène. Un patient qui raconterait par exemple une balade dans la forêt sous hypnose, son cerveau va fonctionner comme s’il était réellement dans la forêt. Avec l’hypnose, l’on va remettre une couche de peinture sur le souvenir traumatique, le retravailler petit à petit et puis, l’on va recorriger le souvenir. La personne n’aura pas le souvenir d’autre chose à la place de l’événement, mais son encombrement sera travaillé.
On peut suivre une formation d’hypnotiseur sans être psychologue ?
Je peux vous former à l’hypnose en deux heures, mais c’est comme le bistouri : il faut de bonnes notions d’anatomie pour utiliser un bistouri, sinon on n’est pas un bon chirurgien, mais un boucher ! Il faut donc un background de psychologue. Mais attention, les psychologues n’ont pas les possibilités ou moyens suffisants de travailler sur du trauma sans spécialisation à l’hypnose.
S’agit-il de formations complémentaires ayant lieu en dehors de l’université ?
Cela entre tout doucement à l’université. Dans quelques semaines, je donnerai un cours sur l’hypnose à l’UCL. Il y a une ouverture de l’université à cela.
Est-ce que le trauma collectif est différent du trauma individuel ?
Disons que le trauma collectif, c’est probablement un trauma dont la caractéristique est d’être discuté, partagé sur les réseaux sociaux, de se retrouver dans la comparaison sociale. C’est la façon dont la collectivité va organiser en quelque sorte l’information.
Si un attentat devait survenir, la Belgique est-elle prête pour la prise en charge des personnes touchées par ce type d’événements ?
Je ne sais pas. Cela dépendra de la formation des personnes que vous rencontrez dans les services d’urgence ou en psychiatrie. La façon dont les relais vont s’opérer du coté des médecins traitants, qui vont orienter ou pas vers la psychothérapie ou prescrire des médicaments. Au niveau de l’accompagnement de première ligne, il existe des services d’aide aux victimes au niveau des services de police. La première étape, c’est donc d’informer les gens. Il faut leur dire : « faites attention à vous, dans les semaines et mois qui viennent, soyez vigilant, si vous voyez que ça ne va pas bien, que vous dormez moins bien, que vous avez des soucis d’humeur ou d’énervement, des flashs, il faut consulter ».
Propos recueillis par Sandra Evrard
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