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Vague de licenciements dans une Entreprise de Travail Adapté : quel futur pour le secteur ?

14/04/23
Vague de licenciements dans une Entreprise de Travail Adapté : quel futur pour le secteur ?

Ce jeudi 18 mars, Manufast, une ETA spécialisée dans le BtoB logistique, annonçait le licenciement de 100 de ses collaborateurs. Un véritable coup dur pour le secteur. Est-ce un cas isolé ? Ou au contraire la situation pourrait-elle se généraliser ? Le Guide social fait le point sur la situation du secteur bruxellois avec Benoît Ceysens, directeur de la «  Ferme nos Pilifs  » et président de la Fédération Bruxelloise des Entreprises Adaptées.

Benoît Ceysens se veut rationnel, cette annonce de licenciement massif ne le surprend malheureusement pas  : « On s’attendait à un événement dans ce style-là, car Manufast se cherchait déjà depuis plusieurs années  », déplore-t-il. « Mais je ne vais pas les culpabiliser, car nous sommes dans un contexte bruxellois où la désindustrialisation est quasi-totale. Et certaines de nos ETA, dont Manufast, avaient l’habitude de travailler en sous-traitance avec le secteur industriel.  »

Face à la situation rencontrée par cette entreprise spécialisée dans la logistique, Benoît Ceysens reste lucide  : «  Aujourd’hui, la procédure est à son début. La liste des travailleurs n’est pas encore sortie. Une fois qu’elle sera établie, la Fédération Bruxelloise des Entreprises Adaptées (FEBRAP) sera disponible pour voir ce que l’on peut faire comme replacement. Nous avions déjà dû faire face à une situation similaire en 2011  », tente de rassurer Benoît Ceysens. « En partenariat avec les autres ETA, nous chercherons à trouver d’autres places si tel est le souhait des travailleurs et que la Cocof approuve la modification des quotas. »

Le soleil ne brille pas vraiment mieux ailleurs

La situation dans les autres ETA n’est pas au beau fixe non plus  : « Nous sommes face à une situation très tendue et aucune vision sur le futur. Le bouclage des comptes de 2022 est en cours. Cela permettra d’établir le nombre de pertes ou bénéfice. Même si je crains que ce soit plutôt une perte, malgré une aide conjoncturelle de 2 millions d’euros », précise le président de la FEBRAP.

Concernant 2023, c’est encore le brouillard : « Les projections pour cette année sont compliquées à faire dans la mesure où nous sommes dépendants d’entreprises de gros groupes. Si certaines décident de modifier leurs productions, cela peut avoir des répercussions très dommageables pour nous. Ceux qui s’en sortent le mieux sont ceux qui travaillent en contact direct avec le client, en économie locale et/ou de service. Mais malheureusement, la plupart des ETA sont encore basées sur un modèle de sous-traitance », s’inquiète Benoît Ceysens.

Un New Deal vertueux afin de conserver une utilité sociale indispensable

Benoît Ceysens précise l’importance des Entreprises de Travail Adapté  : « La force de notre secteur, ce sont nos employés. C’est de l’utilité sociale par le travail. Il nous faut donc œuvrer autour de cet enjeu  », déclare le président de la FEBRAP. « Pour ce faire, il faut s’orienter soit vers les métiers de services, soit vers de l’économie locale, avec sa production propre comme à la Ferme Nos Pilifs   », explique Benoît Ceysens, directeur de la ferme. « Il faut sortir de la dépendance à de grands groupes, où les décisions sont prises à Paris ou Londres, dans des bureaux au 30ème étage.  »

- Lire aussi : Monitrice en Entreprise de Travail Adapté : « Il faut de l’attention, de la créativité et de l’écoute ! »

Le directeur de la ferme “Nos Pilifs” insiste sur l’importance de ces ASBL : « La finalité est de créer de l’inclusivité dans la société, donner un rôle. Il faut donc être cohérent et payer les travailleurs à la hauteur de leur professionnalisme. » D’après son analyse, il existe deux manières pour procéder à une amélioration du secteur : « Soit la Cocof paie davantage, soit les clients le feront. Il faut trouver un équilibre, mais malheureusement, aujourd’hui, on estime que le juste prix n’est plus payé par la Cocof.  »

Malheureusement, le secteur fait face à la difficulté financière du pouvoir subsidiant : « Si on veut continuer à être utile socialement et continuer à avoir cette étiquette positive, il faut demander un encadrement supplémentaire, qui nécessite donc une meilleure subvention. La Cocof le sait, mais ils n’ont pas les sous. On discute avec les fonctionnaires qui se rendent compte qu’on est en manque de personnel pour encadrer les emplois de demain. »

Réflexions politiques à la hauteur  ?

L’autre angle très important dans la situation actuelle, c’est le rôle des politiques : « C’est dans cet optique de vouloir être de véritables partenaires économiques que nous avons demandé à Rudi Vervoort, ministre-président de la région Bruxelles-Capitale, de travailler sur cette reconversion et devenir incontournables à Bruxelles », annonce Benoît Ceysens.

La FEBRAP prépare donc actuellement un plan de refonte : « Nous avons commencé à nous pencher sur un remodelage complet du secteur, un New Deal. D’ici quelques semaines, nous aurons choisi un bureau d’étude qui s’attellera à la tâche. Nous attendons les résultats pour début 2024. Le timing est bon car il permettra que le sujet soit sur le programme politique des différents partis pour les élections de cette même année », projette-t-il.

Ce plan, basé sur un cercle vertueux, chamboulera de fond en comble le secteur  : « Sera-t-on encore 12 ETA bruxelloises ? Difficile à dire, probablement qu’il y’aura des fusions afin de créer des économies d’échelle  », précise Benoît Ceysens. «  Il est compliqué de savoir ce que cela va donner, surtout au moment de devoir discuter budget avec la Cocof. (Rires) »

« En tout cas, le message aux politiques ne peut pas être plus clair  : il va falloir être conjoncturel pour s’en sortir », conclut-il.

La FEBRAP, optimisme à toutes épreuves

Le président de la FEBRAP est ouvert sur l’avenir  : « La rentabilité est très vertueuse pour une ASBL, car elle permet de réinvestir dans les infrastructures, dans l’isolation, etc. Je suis optimiste. Car une société qui lâche ses travailleurs en situation de handicap, c’est un peu la fin du monde. On est le dernier rempart avant la pauvreté, déjà qu’ils ne sont pas riches. »

- Lire aussi  : Les entreprises de travail adapté face à la crise énergétique : « Les emplois ne seront pas notre variable d’ajustement ! »

Il termine en soulignant la nécessité que le secteur Non-Marchand soit toujours aussi uni :« Il faut que les secteurs associatif et psycho-médicosocial se serrent les coudes, encore plus qu’actuellement. Car si ces gens n’ont plus d’emploi, ce sera une charge de travail supplémentaire pour les autres secteurs PMS. Il faut donc soutenir les ETA et être solidaire. »

Mateo Rodriguez Ricagni



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