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Aide à la jeunesse : entre désir d'inertie et force de progrès

19/06/17
Aide à la jeunesse : entre désir d'inertie et force de progrès

Cette carte blanche, co-écrite par Messieurs Duchene et Taylor, respectivement directeur du SAJMO à Jodoigne et directeur du Service AMO "Plan J" à Tubize, réagit aux différents mouvements de déstabilisation du projet de modification du code et fait un point historique sur la situation actuelle du secteur de l’aide à la jeunesse.

De l’aide à l’enfance (1912) à la loi relative à la protection de la jeunesse (1965) jusqu’au décret de l’aide à la jeunesse (1991), bien du chemin a été parcouru.

Différentes orientations nouvelles ont été données au secteur à partir de ce décret dont,

 la priorité à la prévention,
 le droit à l’aide spécialisée et le respect des droits fondamentaux des jeunes et des familles,
 la priorité de l’aide dans le milieu de vie,
 la déjudiciarisation, mais aussi,
 la compétence exclusive du pouvoir judiciaire en matière d’aide imposée et en ce qui concerne le placement en régime éducatif fermé,
 la complémentarité et le caractère supplétif de l’aide spécialisée par rapport à l’aide sociale en général.

Ce bouleversement a eu pour conséquence, la création de services publics et privés qui ont, bon gré, malgré [sic] intégré la réorientation des priorités et des méthodes mises en chantier par Valmy Féaux et poursuivies ultérieurement par Laurette Onkelinx.
Les Ministres se sont succédés et les forces d’inertie se sont intensifiées autour d’une constante : celle de préserver les grands intérêts et lobbies du secteur, concentrés majoritairement entre les mains d’un pouvoir catholique tout puissant et des institutions majoritaires qui le servent.

Ce lobby est tellement puissant qu’il est arrivé à assimiler un secteur laïque minoritaire au sein d’une inter-fédérations (Inter-fédérations des services de l’Aide à la Jeunesse) qui très efficacement défend par priorité le secteur mandaté et les intérêts des institutions catholiques qui la constituent en majorité.

Tous les moyens sont bon y compris la déstabilisation d’un Cabinet ministériel dont le seul défaut consiste à réactiver les fondamentaux indispensables que sont la prévention générale et l’aide dans le milieu de vie par un nouveau code.

Le renforcement financier du secteur et particulièrement celui des AMO (service d’intervention dans le milieu de vie du jeune et des familles) qui se voient octroyer depuis peu un mi-temps administratif, la réaffectation d’emplois Rosetta (mesures d’aide à l’emploi) qui s’étaient perdus ailleurs que dans le non-mandaté, et les projets « hors les murs », n’y font rien.
Le non-mandaté (services spécialisés dans la prévention) assimilé dans l’inter-fédérations est entrainé à se tirer une balle dans le pied au nom d’un travail de sape qui réclame la cohésion de tous.

Alors on dénonce, accuse, soupçonne, diffame parfois…anonymement : sans qu’aucun recoupement entre assertions et véracité des faits ne soit réalisé par le journaliste.

L’Histoire de ce qu’est aujourd’hui le secteur de l’Aide à la Jeunesse l’explique en partie sans pour autant le justifier. Il en ressort une impression d’inertie de la majeure partie d’un secteur socio- éducatif de première importance qui, malgré une lente évolution et des changements terminologiques, reste fondamentalement pareil à lui-même dans une société qui vit, depuis la seconde guerre mondiale, des bouleversements sans précédents. Comme le souligne Soraya Ghali : « Voilà ce qui explique une présence forte des institutions catholiques dans le terreau de l’Aide à la jeunesse. Aujourd’hui, elles continuent de bénéficier de ce contexte porteur. Sur un budget de 276 millions d’euros annuels, finançant quelques 365 institutions, le « pôle » catholique absorberait 80% à 82% des subsides publics. »

Sans tomber dans la diabolisation, soulignons quand même que ce pôle n’est pas neutre idéologiquement ni politiquement et que le prosélytisme religieux y a naturellement cours. C’est ce que relève encore Soraya Ghali, à titre d’exemple, à propos de l’ASBL Association chrétienne des institutions sociales (ACIS) « Dont les statuts mentionnent que « (son) but est de contribuer à l’exercice et au développement de l’action chrétienne (…) » »

Xavier Verstappen Président de l’Inter-fédérations, en dehors d’Alberto Mulas mis en cause, un des rares interlocuteurs avec l’avocat Michel Fadeur, cités dans l’article d’Alter Echos, reconnaît les choses sans ambages : « (…) il est vrai qu’une partie de notre secteur a une histoire, des racines dans le catholicisme » et d’ajouter « (…) nous avons vraiment fait un choix vers le pluralisme et certains de nos membres sont laïcs. »

Cet incontestable poids a comme corollaire une prédominance nette, au sein des services privés, de services mandatés au détriment des services non mandatés, essentiellement les Services d’Aide en Milieu Ouvert (AMO) et les Projets Pédagogiques Particuliers (PPP). Ces services sont nettement moins nombreux et en nombre très insuffisant pour faire face aux besoins croissant d’enfants, de jeunes et de jeunes adultes, et bénéficient de subsidiations dérisoires au regard de celles dont jouissent les services mandatés.

Cette situation n’est pas neuve et perdure depuis des lustres, dans un contexte où les demandes à rencontrer croissent rapidement, tant en quantité qu’en complexité.

Le Ministre Madrane entend renforcer le secteur non mandaté, service AMO en tête, car ceux-ci ont « pour activité l’aide préventive au bénéfice des jeunes dans leur milieu de vie et dans leurs rapports avec l’environnement social »
Renforcer et développer la prévention en direction de cette population signifie concrètement œuvrer à son maintien dans son milieu familial et cadre de vie relationnel et institutionnel. C’est rendre les mesures de placement, qui sont toujours des ruptures, moins nombreuses parce que moins nécessaires. C’est « consolider » des individus en les aidant à acquérir plus d’autonomie ; c’est renforcer des tissus sociaux qui s’étiolent.

Dans ce contexte, la décision du Ministre d’octroyer un mi-temps administratif aux services AMO qui n’en sont pas pourvus rencontre une revendication vieille de plus de quinze ans et va les aider sensiblement en augmentant, dé facto, leurs présences de terrain.
De même, permettre aux AMO, qui en ressentent le besoin, d’élargir le public cible aux jeunes majeurs est une mesure de bon sens.
Rien de particulier ne se passe durant la nuit précédant le 18ième anniversaire d’un jeune. Pourtant, à son réveil, il est totalement différent : il est un adulte et plus un mineur d’âge ! Ses référents institutionnels et administratifs sont tout autres !

Ce n’est pas l’âge qui fait l’adulte mais bien son insertion sociale et professionnelle : une gageure par les temps qui courent pour ceux qui ne sont pas insérés dans les réseaux, y compris familiaux bien sûr, qui leur permettront d’y accéder.

La détresse des jeunes adultes livrés à eux-mêmes est une problématique cruciale que seule l’Aide à la Jeunesse peut rencontrer : le « monde adulte » leur est largement inconnu et le leur rend bien en les ignorant dans leurs spécificités !

Les pratiques préventives peuvent se développer dans le cadre de différents partenariats : écoles, Maisons de jeunes, clubs sportifs, … Cela constitue un axe très important. Déjà un axe d’action perçu par le Cabinet Madrane qui a lancé un appel à projets soutenant les « politiques croisées » initiées par les AMO.

Mais il en est d’autres à entretenir, découvrir, construire : ceux qui permettent de toucher les jeunes qui se vivent en marge de ce qui est institué. Et ça se passe dans les rues de villes qui permettent l’anonymat, ou à la périphérie des villages, dans des « lieux connus d’eux seuls », dans des complexes commerciaux, … Là où l’œil adulte ne peut les capter…

Pour toucher ce public, il s’agit d’aller à sa rencontre, là où il se trouve : c’était le sens de l’Appel à Projets « Hors les Murs » lancé également par le Ministre.
Et il implique que, suivant le contexte d’intervention des services, il convient d’être créatif, inventif pour se faire reconnaître, se faire accepter comme un vrai interlocuteur avec lequel des projets peuvent vraiment se mettre en place.
Dans ce contexte, c’est effectivement l’Action en Milieu Ouvert et non pas une simple aide dont nous devons être porteurs.

Enfin, le nouveau code de l’Aide à la Jeunesse en chantier entend en simplifier les structures et, par là, en augmenter la visibilité. C’est une ambition fondamentale pour que le public sache réellement ce qu’est notre secteur… de même que tous ses travailleurs.

Certains, face à ces orientations fortes, craignent de voir leur pouvoir s’éroder. Déstabiliser un cabinet devient le moyen de fragiliser la politique qu’il s’apprête à mener. Que des journaux se fassent le porte-voix de telles méthodes relèvent pour le moins d’un manque de discernement.

Jacques DUCHENNE, Directeur SAJMO Est du Brabant wallon

Jacques TAYLOR, Directeur , Plan J Ouest du Brabant

Sources :

 Soraya GHALI citant Rachid Madrane in « Aide à la Jeunesse, une omniprésence discrète », in Le Vif du O3.O3.2017
 Cédric Vallet « Favoritisme et conflits d’intérêts au Cabinet Madrane » in Alter Echos n° 444
 Arrêté du Gouvernement de la Communauté française relatif aux conditions particulières d’agrément et d’octroi de subventions pour les services d’aide en milieu ouvert. Article 2



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