Béatrice, éducatrice dans la petite enfance, lance un coup de gueule
Béatrice Minne est éducatrice au sein d’un SRG/SASPE, soit un service résidentiel spécialisé de la petite enfance. La professionnelle lance un coup de gueule : "On enchaîne les heures, les jours, les nez à moucher, les câlins, les bisous, le confinement… 10, 15, 20, 30 enfants ensemble h24. Et nos familles, nous ne sommes pas proches d’elles et pourtant nous leur faisons courir un risque réel. Et quand on ne sera plus assez pour fonctionner ? Que feront-ils ?"
[DOSSIER]
– Melissa, éducatrice, raconte son travail en temps de coronavirus
– "Nous, les éducateurs spécialisés, nous sommes des soignants !"
– Éducateurs, travailleurs sociaux… les oubliés de la crise sanitaire
Cette nuit, je ne suis pas parvenue à trouver le sommeil, jamais assez profondément… et quand enfin je m’assoupis mon réveil sonne, il est 5h30. Je m’extirpe de mon lit, difficilement, mais il faut y aller ! Je sais que là-bas, ils ont besoin de moi.
Alors une petite douche, un café, un bisou, un regard furtif sur ma fille qui dort et qui n’aura pas sa maman au réveil. Mais elle comprendra, elle comprend… enfin j’espère ! Mais pas le temps de penser, il est l’heure de prendre la route pour aller prendre mon service. Ce matin, je ne serai pas maquillée, peut-être encore un peu décoiffée mais peu importe, j’y vais !
Il est 6h30, ma collègue est là, elle m’attend, elle a veillé toute la nuit, elle a pris soin d’eux. Avant de pointer, de reprendre sa route, elle prend le temps de me faire un relais. Il est important de ne perdre aucune information entre les services, d’assurer le suivi, de les sécuriser.
Elle s’en va.
Je bois mon café qu’elle m’a préparé. Je sais que ces quelques minutes de calme seront rares dans la journée alors j’en profite, je planifie, je prévois, je… j’entends les premiers sons. Il est temps, il est l’heure 6h40, les premiers se réveillent.
A partir de maintenant les choses vont aller vite, il va y avoir les langes à changer après la nuit, le petit déjeuner à gérer en même temps et puis viendra le temps des soins et ceux qui auront besoin de moi, parfois tous en même temps. Mais comment leur en vouloir de demander un peu d’exclusivité. Il faudra les aider à s’ennuyer, à ne pas s’ennuyer. Il faudra répondre au téléphone, rassurer les proches et gérer les imprévus. Regarder l’heure pour savoir quand arrive sa collègue pour que l’on puisse souffler 5 minutes.
"Je prolongerai mon service parce qu’entre collègues, on se serre les coudes"
Mais il est déjà l’heure de préparer le nécessaire pour le dîner. Un appel dans la chambre du fond en même temps qu’un dans le couloir, le téléphone qui sonne et une personne qui a besoin de moi aux toilettes. Dans ma tête, j’ai aussi les horaires à refaire et ne pas oublier de compléter mon administratif. Tiens ai-je bien noté la température prise ce matin ?
Bon ben ma collègue vient d’appeler, elle ne viendra pas, elle est malade. Alors je prolongerai mon service parce qu’entre collègues, on se serre les coudes. Je terminerai peut-être à 16h ou à 17h… ou 20h on verra.
Je suis fatiguée, je suis stressée mais je sais que j’ai envie de prendre soin d’eux. Chaque instant est précieux. Aujourd’hui, c’est pour eux que ce n’est pas facile. Personne ne voudrait être ici, et pourtant ils sont là. Ils n’ont pas choisi, ils n’ont rien fait pour. Alors on est là ensemble.
Ensemble avec toute l’équipe, la petite, la grande… enfin une seule équipe. Mon équipe, notre équipe.
Aujourd’hui je suis heureuse et fière d’être éducatrice au sein d’un SRG/ SASPE (service résidentiel général / Service d’accueil spécialisé de la petite enfance).
Les "Ils", ils ont 6 mois, 1 an, 3 ans, 5 ans, 8 ans ...16 ans.
Alors aujourd’hui, je suis en colère de la violence que me renvoient les médias, que me renvoient mes connaissances, que me renvoie la radio… que me renvoient les responsables de mon secteur. A nous les ignorés du système, ceux dont personne ne parle alors que travaillant avec une surcharge de travail énorme et avec un public fragilisé et/ou porteur sain nous n’avons aucune protection. Pas de gants, pas de masques, pas de gels, pas d’aide, pas un mot… Ni pour eux, ni pour nous.
On enchaîne les heures, les jours, les nez à moucher, les pètes à essuyer, les câlins, les bisous, le confinement… 10, 15, 20, 30 enfants ensemble h24. Et nos familles, nous ne sommes pas proches d’elles et pourtant nous leur faisons courir un risque réel. Et quand on ne sera plus assez pour fonctionner Que feront-ils ?
"Nous sommes les parents pauvres..."
Mais de notre secteur on ne parle pas. On n’en parle jamais. On en parle que pour ragoter lorsqu’il y a un gros incident. Et pourtant 98 % du temps tout va bien.
On fait partie de ces métiers dont la société a besoin, mais ne veut pas savoir qu’ils existent, les parents pauvres. (Surtout quand ils sont jeunes nos bénéficiaires.)
Et pourtant on fait notre travail avec tout notre cœur, avec tout notre temps et notre dévouement. En dépit de nos familles, de nos amis… en dépit de nous.
Alors je suis contente en terminant mon service de savoir que vous en profitez pour faire un barbecue, repeindre vos clôtures, regarder des séries, jouer à un jeu de société… et que vous êtres compatissants avec les soignants, médecins, infirmières, pompiers, vendeurs, barmans et je le suis avec vous.
Mais que se passera-t-il quand on sera sur les genoux ? Qui sera là pour nos petits bouts ? Y avez-vous pensé seulement vous les responsables de notre secteur ?
En tout cas un grand merci à cette équipe de super héros qui les entoure, éducateurs, puéricultrices, assistante sociale, directrice pédagogique, secrétaire, cuisinier, préposée, psychologue alors à tous les : Gaëlle, Régis, Chloé, Christine, Marine, Héléna, Nadia, Josiane,Michèle, Delphine, Marc, Marie, Raphaël, Isabelle, Jonathan, Sophie, Jennie, Myriam, Muriel, Dina, Rachid…
A tous ceux qui permettent que les baraques tiennent, moi je vous le dis car les médias, et nos responsables ne le feront pas :
MERCI
Et quand tout ça sera passé car on le sait ça passera et on le sait on sera là, il faudra prendre le temps d’être entendu.
Béatrice Minne
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