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UNE VIE DE PSY - Épisode II : la patiente de 15 heures, le mardi

25/03/19
UNE VIE DE PSY - Épisode II: la patiente de 15 heures, le mardi

Dans ce nouvel épisode, T. Persons nous parle de sa patiente du mardi à 15H… Confidence intime d’une histoire complexe à découvrir sans plus tarder.

- Ceci est une fiction. Toute ressemblance avec une quelconque réalité serait purement fortuite… -

Tout est une question de rythme, de tempo. Dans mes relations personnelles comme dans mon agenda professionnel, je prends un soin particulier à garantir une fréquence quasi identique à chacune de mes rencontres. N’allez pas croire que je sois inflexible voire monomaniaque. Que du contraire, j’ai même l’impression d’être à la rigidité ce que Robert Smith est à la joie de vivre. Je dirais même qu’à défaut de pouvoir prétendre à une vie ordonnée, je trimballe mes occupations diverses et variées sur mes épaules, me donnant l’allure d’un authentique homme-orchestre. Bref, sachez-le, ma vie est un capharnaüm absolu et comme tout bordélique qui s’assume, il m’est inconcevable de ne pas avoir un quelconque cadre auquel me raccrocher. Chez certains, ce sont les rituels, chez moi, l’idée de recevoir mes patients à des fréquences plus ou moins identiques, ça me calme… Puis, finalement, dois-je réellement me justifier de l’ordre de ma consultation ?

Faudrait que je vous parle de cette patiente : Marthe Dubuisson. Ça faisait un certain temps qu’on se connaissait. Il faut dire, la thérapie, ça forge une relation. Je peux honnêtement vous le confesser, il y a des patients qui me font rire, d’autres qui me font parfois douter des modèles évolutionnistes de Darwin et puis, il y a ma patiente de 15h, le mardi…

Marthe était une jeune quadragénaire, qui malgré le poids des années, avait su garder ce regard pétillant et cette aura lui donnant un air si pur, si innocent, si séduisant. Plus que cultivée, Marthe faisait partie de ces gens qui sont curieux de tout. Bref, j’avais un respect et une admiration sans fin pour elle. Il m’est compliqué de trouver les mots, mais il se dégageait d’elle une telle intensité dans ses émotions, qu’il était impossible de ne pas être en écho avec sa fragilité. Je vous le concède, il y avait une part de moi qui était fort attirée par elle. Après, quoi que vous en pensiez, je suis professionnel, je sais gérer mes émotions. Du moins, à l’époque, j’en étais persuadé. Ce qui l’amenait à ma consultation, c’était son mari. Elle n’avait jamais ramené le gars en question dans mon cabinet, mais il était clair que de la manière dont elle le dépeignait, il m’avait tout l’air de pouvoir illustrer la définition si particulière que Michel Audiard se faisait du gros con. Un peu plus vieux qu’elle, il l’avait séduite. Puis, il l’avait parquée dans une grande maison et maintenant, il la négligeait, comme si elle n’était plus rien à ses yeux. Marthe en souffrait, on sentait une angoisse forte, existentielle qui la poussait à vouloir être aimée… Et moi, au milieu de tout ça, je me sentais impuissant, à devoir l’écouter crier au secours, à la sentir seule, vide, insécure. Soit, je n’avais aucune sympathie pour son mari.

« J’aurais dû jouer cartes sur table »

Il y a des moments charnières dans la vie d’un psy. Celui-ci en était un. De fait, quand je retourne dans mon passé, je me dis que c’est exactement à ce moment précis que tout a basculé. J’étais présent pour Marthe, disponible, cachant mon apathie pour son ignoble compagnon, l’entendant se plaindre de lui. Elle me disait avec une pointe de déception qu’il ne pensait qu’à lui, à parler sans discontinuer, à faire le tour de son nombril. Elle était agacée par l’impression qu’il lui donnait d’être aussi consistante qu’un flan raté. Je la comprenais quand elle me disait que cela faisait vingt ans qu’elle l’implorait d’en finir avec le tabac et qu’il suffisait qu’une de ses collègues lui fasse la remarque pour qu’il se décide à franchir le cap. Elle avait des soupçons : son mari lui était-il infidèle ? Dans tous les cas, son avis à elle ne comptait pas…

J’imagine bien que vous faites les liens beaucoup plus vite que moi et que vous avez certainement compris que Georges, mon patient logorrhéique était bel et bien le mari de Marthe. Je vous dirais qu’il est plus facile de comprendre les choses avec du recul et vous commencez à me connaître… J’étais investi dans ma thérapie avec Marthe, à détester en écho son con de mari… Je n’avais pas imaginé un seul instant qu’elle me faisait le portrait craché d’un autre de mes patients. Il m’a fallu la fin de ma journée, pour que l’hypothèse germe dans ma tête. Admettons, mettez-vous à ma place. Vous êtes professionnel, vous avez une éthique, un code de déontologie et le poids de l’expérience avec vous. Dans tous les cas, j’aurais dû jouer cartes sur table et expliquer la situation à Marthe et Georges. Allez comprendre pourquoi, je n’ai pas agi. Certes, j’en ai parlé à Yves, mon superviseur, nous y reviendrons, son point de vue était assez pertinent, comme toujours.

Pourtant, je n’en ai fait qu’à ma tête. Je peux gérer. Déjà, je n’avais que des soupçons. J’aurais eu l’air malin si j’avais dit à Marthe que j’avais son mari en consultation, alors qu’il était probable qu’en fait, non. Puis surtout, il existe pléthore de gens qui parlent beaucoup, qui sont autocentrés et qui tentent d’arrêter de fumer. Elle ne m’avait jamais donné de nom, juste des indications vagues qui pouvaient potentiellement coller à Georges.

En conclusion, j’étais là, à vouloir investiguer la problématique, avec mes convictions, plein de confiance, persuadé que j’étais l’homme de la situation. Et finalement, assez rapidement, tout a dérapé. Si seulement j’avais su… Quand je repense à toutes ces personnes impliquées… Fichu recul… Soit, c’est encore une autre histoire…

T. Persons

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 Épisode I : la nouvelle demande



Commentaires - 1 message
  • Pauvre Marthe, pauvre psy...et pauvre Georges... si c'est bien le mari de Marthe il a au moins le mérite de consulter un psy, si tel n'est pas le cas... il est bien pauvrement considéré dans sa condition de logorrhéique ;-)
    Pour la reste, l'histoire va-t-elle prendre un tournant grivois? Allons donc, un peu de recul et ça ira (encore) mieux!

    EmmaEmma47 jeudi 28 mars 2019 11:37

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