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A la rencontre de Maria, référente scolaire dans l’aide à la jeunesse

A la rencontre de Maria, référente scolaire dans l'aide à la jeunesse

Le Guide Social est parti à la rencontre de Maria Chiodi à Namur. Maria Chiodi occupe un poste très peu répandu, qu’elle qualifie d’ailleurs "d’unique" : référente scolaire. Un emploi hybride qui entremêle des compétences d’éducateur et de professeur. Ce métier donne un résultat moulé spécialement pour le Service Résidence Spécialisée du secteur de l’aide à la jeunesse pour lequel elle travaille. Une très belle découverte au travers d’un échange passionné, engagé voir même... révolutionnaire.

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Le rendez-vous avec Maria Chiodi est donné à la gare de Namur. Direction un petit salon de thé. Sur la route, nous croisons deux jeunes filles. Maria les interpelle en riant : "Ha vous êtes donc là. Il y en a qui vont être contents de le savoir." Les filles ne réagissent pas et continuent leur route. On ne comprend pas tout de suite et la référente scolaire nous explique qu’une des deux est en fugue de la Résidence Spécialisée où elle travaille : La Courte Echelle. Maria et elle ont échangé par message le matin et l’adolescente lui avait dit être dans une autre ville. "Hé bien, voilà. Vous êtes directement dans le bain !", nous lance-t-elle dans un éclat de rire.

"Le descriptif m’a plu car un peu alternatif. Le poste proposait d’être prof mais pas dans une école"

Le Guide social : Bonjour Maria. Pouvez-vous vous présenter ?

Maria Chiodi : Je suis née en France, je suis arrivée en Belgique en septembre 2013 et je vais avoir 37 ans, je crois. (Rires)

Le Guide Social : Et comment êtes-vous arrivée en Belgique ?

Maria Chiodi : Alors ça n’a rien à voir avec mon métier, c’est pour une histoire d’amour. (Rires) Avant cela, j’ai passé trois ans en Suisse.

Le Guide Social : Quelles études avez-vous faites ?

Maria Chiodi : Je me suis tournée vers des études de prof mais j’ai raté le concours et je me suis rendu compte que la formule ne me plaisait pas. Je suis donc partie un an en Allemagne où j’ai eu le temps de réfléchir. J’ai donc fait un Master Français Langues Etrangères qui comprenait aussi des cours plus portés sur la bureautique et la langue des affaires. Suite à cela, je suis partie en Suisse en tant qu’assistante de langue pour enseigner le français. J’ai été engagée comme prof donc je suis restée trois ans.

En arrivant en Belgique j’ai eu la bonne surprise de constater que je n’avais pas l’équivalence avec mon diplôme français, j’ai donc dû refaire un Master à Louvain-la-Neuve, ce qui a été très compliqué car les cours étaient les mêmes que ceux que j’avais déjà suivis. En tout cas, à la fin de mon Master en juin 2015, j’ai vu une annonce sur la newsletter du Guide Social qui faisait mention d’un référent scolaire. Le descriptif m’a plu car un peu alternatif. Le poste proposait d’être prof mais pas dans une école. C’est un poste unique qui a été créé pour le service qui pourrait exister dans plusieurs services de l’Aide à la jeunesse car il est utile pour ce secteur.

J’ai été contacté début juillet pour un entretien. Je suis arrivée dans une belle maison de maître et on m’a expliqué quel public était concerné et je me suis dit "Oulala, c’est chaud !". La structure accueille des jeunes qui sortent d’IPPJ.

Le Guide Social : Et donc, on vous a rappelée pour vous engager.

Maria Chiodi : Oui. Et j’ai rencontré Aude qui était la première à occuper ce poste afin qu’elle m’explique plus précisément les missions. Et cela dure depuis juillet 2015 (Rires). En fait mon profil est hyper adapté car il y a une grande part d’éducatrice dans ma pratique qui se couple avec ma formation d’enseignante. Ce qui n’est plus possible maintenant avec la réforme de titres et fonctions car pour un poste d’éducateur c’est un éducateur qui doit être embauché. Ils ont déjà fait l’expérience lors de mes congés de grossesse et le profil d’éducateur ne correspond pas tout à fait à ce poste bien spécifique.

"Ma fonction est difficile à assumer car clairement... elles s’en foutent"

Le Guide Social : Alors quelles sont ces missions bien particulières ?

Maria Chiodi : On est dans le secteur de l’Aide de la Jeunesse. On avait un public qu’on appelait les articles 36-4. Il concerne les filles qui sont parties en IPPJ pour des faits qualifiés infractions et un public plus psy avec des problèmes familiaux et de comportements mais qui n’avait pas forcément un dossier 36-4. En 2019, il y a eu une réforme du ministre Rachid Madrane qui fait que nous ne travaillons plus qu’avec les filles qui ont commis des infractions. C’est à dire que lorsqu’elles sortent d’IPPJ, elles viennent chez nous où on les loge.

Le Guide Social : A leur sortie d’IPPJ, elles sont donc obligées de passer par chez vous ?

Maria Chiodi : Oui et le contraire est très, très rare.

Le Guide Social : Combien de temps dure leur séjour dans votre structure ?

Maria Chiodi : D’un mois à un an renouvelable. Cela va dépendre de leurs avancées personnelles, donc tout ce qui concerne le scolaire, le thérapeutique, leur comportement dans le centre et avec leur famille. Si ça se passe bien, elles retournent auprès de leur famille sinon elles vont en kot en autonomie.

Le Guide Social : Vous intervenez donc dans le volet "parcours scolaire".

Maria Chiodi : C’est ça. C’est d’ailleurs un peu la dernière ligne. Les filles ont un parcours tellement chaotique avec des problématiques très lourdes comme la prostitution, la consommation de drogues... que le travail est essentiellement porté sur ces pans-là. Concernant le décrochage scolaire, elles le subissent car elles sont impliquées dans tellement d’autres histoires, qu’elles ont la tête pleine. L’école c’est toujours le dernier truc qui les préoccupe. En plus à l’adolescence, il y a la construction de l’identité, l’apparence, les amitiés, les amours... ce qui rend ma fonction difficile à assumer car clairement, elles s’en foutent.

Le Guide Social : J’imagine que vos missions diffèrent de celles d’un prof en milieu ordinaire.

Maria Chiodi : En effet, mes missions démarrent avec l’accueil des filles dans la structure. J’essaye alors de voir qui elles sont, ce qu’elles aiment, leur parcours scolaire, quelles intelligences elles ont pu développer dans leur vie et quels sont les problèmes et difficultés rencontrés à l’école. C’est la première étape pour la création d’un lien de confiance, pour qu’elles sachent que je suis là pour elles, pour les guider. On détecte vite qu’elles sont submergées par plein d’autres choses qui ne concernent pas l’école.

Les moments de scolarité sont le matin de 9h à 12h et quand je parle de scolarité, c’est large. On ne fait pas des maths et du français au début. Il y a une vraie période de quelques semaines pour apprendre à les connaitre et à les faire se connaitre aussi.

Ma dernière mission, c’est généralement quand elles sont en kot ou inscrites dans une école. J’endosse un rôle plus "parental", je gère les absences à l’école, les rencontres avec les éducateurs quand il y a des soucis de comportements et les réunions parents-prof. Je vérifie aussi les carnets de classe... en fait tout ce qui concerne le partenariat avec les écoles. Enfin, quand les circonstances le permettent, je donne cours et on travaille le CEB.

Je fais également le relai auprès des éducateurs qui interviennent l’après-midi concernant les envies de loisirs des filles comme le chant ou la danse pour qu’ils fassent les démarches avec elles dans les limites des budgets disponibles.

"On se rend compte qu’elles sont très attirées par des métiers dans lesquels la société les cloisonne"

Le Guide Social : Qu’est-ce que vous proposez comme activités ?

Maria Chiodi : Je leur donne des tests qui stimulent leur imagination comme “Si j’étais un oiseau, je serais...” Des jeux de société pour voir leurs connaissances, le vocabulaire qu’elles utilisent...En tant que prof, j’apporte peu de matière scolaire mais je suis beaucoup dans l’observation et l’écoute.

Après, quand on atteint une certaine stabilité, on commence les recherches d’écoles et de parcours. On se rend compte qu’elles sont très attirées par des métiers dans lesquels la société les cloisonne. C’est à dire qu’elles se disent, j’ai 15 ans, je suis une fille, je vais faire esthétique - coiffure. J’essaie de leur montrer qu’elles ont beaucoup d’autres capacités. Surtout qu’elles n’ont aucune idée de ce que c’est de travailler, alors avant de les inscrire je les pousse à faire un stage de découverte. Et après l’essai, certaines aiment beaucoup et là on commence les démarches d’inscription et ça tient le temps que ça tient car le côté scolaire bloque toujours. D’autres se rendent compte que ça ne leur plaît pas du tout, qu’elles n’osent pas toucher les gens.

Le Guide Social : C’est facile de trouver des lieux qui acceptent de faire des journées découvertes ?

Maria Chiodi : C’est difficile. On a quelques adresses, une pour la coiffure, une autre pour la cuisine...mais cela nécessite d’aller démarcher et j’ai beaucoup de mal avec le fait de faire de la pub, d’expliquer qui elles sont... Beaucoup de patrons se disent, "Olala ce public là non merci. Je n’ai pas le temps pour ça." On voit alors surgir des craintes concernant les vols dans la caisse etc... Mais j’aimerais quand même développer ce pan-là : trouver plus de partenariats car c’est indispensable. Cela permet de mettre les filles face à la réalité de la vie professionnelle qui est en lien avec la vie dans le milieu scolaire : devoir se lever, être à l’heure, rester jusqu’à la fin de la journée.

Le Guide Social : Combien y a-t-il de jeunes filles dans votre structure ?

Maria Chiodi : On peut en accueillir jusque 11. Le plus que j’ai eu dans ma classe, c’était six en même temps mais en général elles sont plutôt 3 car le travail est essentiellement individuel. Donc je vais passer une heure avec chacune et vers la fin de la matinée, je propose une activité plus collective pour travailler leurs compétences à être dans un groupe. Et puis, comme toutes adolescentes, il y a du copinage donc si une a décidé de ne rien faire, l’autre va être solidaire et ne rien faire non plus. (Rires) Donc ça peut être compliqué parfois.

"Je suis prof mais je collabore beaucoup avec les éducateurs et les jeunes en difficultés"

Le Guide Social : Et comment se déroule le quotidien ? J’imagine qu’il ne doit pas y avoir de routine.

Maria Chiodi : Ha ça non ! Quand on vient le matin, on ne sait jamais combien il va y avoir de filles. Si elles sont parties en fugue... Par exemple, ce matin je n’avais personne. Alors je communique avec elles en leur disant de venir, que je suis toute seule... et souvent j’ai des belles excuses. Donc il faut dealer avec cela, avec les fugues, avec le fait qu’elles ne sortent pas de leur lit, qu’elles sont malades...

Le Guide Social : Donc vous avez développé des vraies compétences d’éducatrice.

Maria Chiodi : Ha oui complétement ! J’ai été formée à la communication non-violente, à la thérapie orientée solutions et à la gestion des émotions. Et en fait, ce sont des formations qui sont super utiles pour un prof face à une classe où il peut y avoir un profil similaire aux jeunes filles de notre structure. Si on peut faire en sorte que ce jeune-là ne soit pas pris en charge par les services d’aide à la jeunesse grâce à un prof bien formé, c’est tout gagné. Pendant un de mes congés de grossesse, j’ai passé un certificat à l’université de Namur en accompagnement en accrochage scolaire et social.

Le Guide Social : Quand vous avez démarré les études de prof, est-ce que le côté social vous attirait déjà ?

Maria Chiodi : J’ai pensé aussi à faire éducatrice mais mon parcours a fait que cela ne s’est pas réalisé. Après, la problématique du décrochage scolaire a toujours été ancrée en moi car moi non plus je n’aime pas l’école. (Elle sourit) J’ai beaucoup de choses à reprocher concernant le fonctionnement de l’école. Dans ce poste, je suis complétement à ma place. Je suis prof mais je collabore avec les éducateurs et les jeunes en difficultés. Cela me prouve que l’on a besoin de revoir les formations des profs dans les structures classiques. J’en suis persuadée car il y a des situations dans les écoles qui sont moins extrêmes que ce que je vois et vis au centre, mais qui se rejoignent.

Le Guide Social : Vous auriez un exemple ?

Maria Chiodi : Je peux prendre le mien. Au début de mes études, j’avais un objectif : trouver un métier, ne pas me retrouver sans argent et faire quelque chose que j’aime. A l’université je ne prenais aucun plaisir à ce que je faisais, j’étais dans la poursuite de mon objectif d’être prof. Je ne me suis jamais retrouvée dans ces études car on n’aborde pas tous les aspects de vie en groupe, de comment faire face à une classe, comment prendre le temps pour les élèves... De plus, la scolarité est très codifiée et si on n’entre pas dans les codes, on est mis sur le côté. Ce qui a été mon cas car je ne comprenais pas pourquoi il fallait suivre une certaine logique alors que j’en voyais une autre. A travers mes notes, on me considérait donc comme une mauvaise prof mais en stages et en présentiel devant les élèves, on me jugeait hyper-compétente. Il y a des aspects que l’on ne peut pas évaluer, qui sont intrinsèques à la personne. Ainsi, ce décalage entre le modèle de la société et le mien est la source du feeling que j’ai avec les ados.

"Il y a des mini victoires du quotidien... qui en sont des grandes"

Le Guide Social : Auriez-vous une anecdote qui vous a rendu fière ?

Maria Chiodi : C’est plutôt que je suis fière des filles et je le leur montre en leur écrivant des petites cartes parfois en leur disant, "Bravo, aujourd’hui tu as été plus loin qu’hier / Tu as été hyper respectueuse / Cette semaine tu t’es réveillée à l’heure..." Ce sont des mini victoires au quotidien, qui en sont des grandes.

Le Guide Social : J’imagine qu’il y a l’autre côté aussi, les rechutes, les retours en IPPJ... Comment vous gérez cela émotionnellement ?

Maria Chiodi : Cela a été le cas récemment pour une jeune qui a beaucoup fugué et consommé. Elle a donc vu sa juge et on était persuadé à 1000% qu’elle allait retourner en IPPJ. La jeune s’est défendue et la juge lui a donné une nouvelle chance avec la menace qu’au moindre pas de travers, c’était 6 mois en IPPJ.

Et donc quand on s’attendait à son retour en IPPJ, j’étais triste car j’avais découvert beaucoup de compétences lors des deux semaines précédentes. Et à chaque fois que ça arrive, c’est un peu comme si je perdais une de mes filles car on ne sait pas si elle reviendra dans notre foyer, mais ça fait partie du jeu.

Le Guide Social : Vous avez un rituel pour "fermer la porte" et ne pas amener le professionnel dans la vie privée ?

Maria Chiodi : Je gère très mal mes émotions. Je pleure souvent (Rires). Mais quand je rentre à la maison, je coupe net. Je suis rarement envahie par les problématiques de travail. Je ne sais pas comment mais j’y arrive. Après c’est l’expérience aussi car au début, il m’est arrivé de rentrer en pleurs après avoir été agressée verbalement. Elles cherchent à nous pousser à bout, il faut savoir se maîtriser et en ça l’expérience et les formations aident beaucoup.

Le Guide Social : Et l’équipe doit jouer un rôle important dans ces moments-là.

Maria Chiodi : Oui, j’ai une équipe formidable. On est tous solidaires et soudés. C’est qui que l’on tient dans la durée.

Le Guide Social : Vous disiez au début que votre poste devrait exister dans toutes les institutions de l’Aide à la Jeunesse. A quels besoins répondrait-il ?

Maria Chiodi : Par exemple, je suis intervenue dans un foyer auprès d’une jeune en décrochage scolaire. En deux semaines, elle a pu quitter l’enseignement spécialisé et aller dans l’ordinaire. Elle était hyper reconnaissante car j’avais débloqué quelque chose en elle. Les éducateurs ne pouvaient pas le faire car ce n’est pas leur métier et ils ne connaissent pas forcément les écoles ou leur fonctionnement. De par ma formation de prof, je mets en place des activités qui vont me permettre de repérer des compétences de mémoire visuelle, auditive ou kinesthésique qui peuvent échapper aux éducateurs mais qui sont super utiles pour leur orientation. Finalement, ce poste permet de guider les jeunes sur d’autres voies que celles imposées par la société de la méritocratie qui du fait de leur décrochage, les écrase.

A. Teyssandier

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