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Cancer : "L’esthéticienne sociale permet de soulager les peurs, les angoisses et apprend à prendre soin de soi"

21/11/22
Cancer :

A Namur, l’espace de bien-être l’Essentiel offre des services pluridisciplinaires de bien-être à destination des personnes atteintes du cancer. Au sein de l’équipe qui le compose, on y trouve Cédrine Gorreux : esthéticienne sociale. Depuis presque 13 ans, elle offre un moment d’évasion mais aussi un ensemble de conseils afin que les patient.e.s vivent au mieux les transformations physiques qu’entraînent la maladie et ses traitements. Au-delà du soin, c’est un véritable accompagnement dans un moment de vie difficile. Cédrine Gorreux nous partage son témoignage d’un métier peu visibilisé et pourtant si précieux.

Selon la Fondation contre le cancer, 70.468 cas de cancer ont été diagnostiqués en Belgique en 2018. Un homme sur trois et une femme sur quatre en ont été atteint.e.s avant leurs 75 ans. Les effets physiques de la maladie peuvent être difficiles à vivre, ajoutant du mal-être aux angoisses et aux peurs. Afin de parer à ces signes envahissant, Cédrine Gorreux (à gauche sur la photo) propose des soins esthétiques adaptés aux différents traitements. Soins du visage, pédicure et conseils de prothèses capillaires, autant de services qui permettent des moments de détente et de bien-être mais aussi de confidences.

Esthétique sociale ou bien classique... Un besoin de formations et de reconnaissance

La quasi gratuité des prestations que propose l’Espace de bien-être l’Essentiel (deux euros sont demandés pour les frais internes) est l’une des différences entre l’esthétique sociale et l’esthétique dite classique. Pour Cédrine Gorreux, cette accessibilité est primordiale : « Dans le cadre de mon association (Le temps d’un instant, ndlr), je procure les soins gratuitement car je me rémunère grâce aux dons privés et au Fonds Salamon. Mon objectif est que tout le monde ait accès à mes soins. J’ai été confrontée à la précarité et je trouvais ça injuste que cela soit un obstacle à l’accès aux soins esthétiques. »

La formation, elle aussi, diffère. Face au public particulier des personnes atteintes d’un cancer, victimes de violences ou de précarité, trois années de formations supplémentaires sont nécessaires à la formation de base, proposées notamment à Liège en promotion sociale. Ces années supplémentaires, permettent d’acquérir les bons gestes, les bonnes attitudes et de développer des compétences en psychologie essentielles au pan d’accompagnement que comprend le métier d’esthéticienne sociale. On y retrouve des cours portant sur la gestion des émotions et du stress, de la psychologie générale et de la psychopathologie ainsi qu’une approche sociologique des différents services et milieux d’intervention. Mais aussi et surtout, la formation permet de connaître les spécificités qu’engendrent la maladie sur le corps, permettant d’apporter des soins aux patient.e.s de manière adaptée.

Cependant, Cédrine Gorreux a pu observer un manque considérable : « Dans certaines formations, ce sont les professeurs d’esthétique classique, qui n’ont jamais vu de patients, qui vont donner cours. » sans avoir les aptitudes nécessaires à l’utilisation des produits et de l’approche psychologique. L’esthéticienne sociale poursuit : « On a déjà eu plusieurs cas de personnes qui viennent ici avec la peau brûlée parce que les soins n’étaient pas adaptés à la condition de l’individu. C’est donc très important d’être bien formé. » Et de pointer : « On essaie de travailler sur cette reconnaissance avec l’Union des Esthéticiennes de Belgique ainsi qu’au remboursement des soins auprès des mutuelles. »

« Nous avons une place particulière dans le processus de soins »

L’esthétique sociale occupe une place bien particulière dans le processus de soin. Contrairement aux rendez-vous médicaux parfois sources d’anxiété, les rendez-vous au centre de bien-être permettent un moment d’évasion. Les soins, les conseils esthétiques et de bien-être, permettent aux bénéficiaires d’avoir une meilleure estime de soi et de maintenir ou de découvrir une attitude positive face à la maladie.

Ainsi, les membres de l’équipe de l’espace de bien-être l’Essentiel deviennent des confident.e.s privilégié.e.s avec qui l’on partage ses angoisses, à qui l’on pose des questions à propos de l’intime…Pour Cédrine Gourreux, au-delà des soins, l’esthéticienne sociale écoute et rassure : « Nous avons une place particulière car nous ne sommes pas du personnel médical mais nous sommes inclus.e.s dans la procédure. Les patients nous posent des questions sur des sujets qu’ils n’osent pas aborder avec les médecins comme la sexualité. Alors on se renseigne pour eux et on leur fait passer les infos. C’est comme le fait de perdre ses cheveux. Quand le médecin annonce qu’il va y avoir une perte de cheveux, la personne n’a pas forcément le réflexe de poser les questions de quand et comment car elle est abasourdie par la nouvelle. Du coup, c’est vers nous et les infirmières en oncologie qu’elle se tourne pour avoir des réponses et fortes de nos connaissances des traitements, on peut les rassurer. »

Comme le précise Cédrine Gorreux dans son livre Témoignage d’une esthéticienne sociale : « On ne peut nier que notre société met un accent prononcé sur l’apparence et la beauté en particulier » (p.14). Apparence fortement modifiée par les traitements oncologique. La perte de cheveux est l’élément le plus difficile. Pour surmonter cela l’esthéticienne sociale a mis en place un atelier d’estime de soi avec des séances de shooting photos : « Nous maquillons les patientes avec qui les personnes souhaitent poser. Malgré des réticences, car la plupart ne se trouvent pas jolies, nous n’avons eu aucun mauvais retour. Une patiente m’a dit qu’elle regardait les photos du shooting pour se rebooster lors des coups de blues. On voit bien que l’esthétique sociale va au-delà des soins. Je pense que c’est un job que l’on doit faire avec les tripes. On est vraiment présent.e avec chaque patient. »

« C’est difficile mais il faut être là pour les autres »

Intervenir dans le milieu oncologique, signifie malheureusement se confronter à la perte de patients. Cependant, Cédrine Gorreux souligne : « Nous sommes heureuses de pouvoir donner ces moments d’évasion à nos patients. ». Elle poursuit : « Et c’est notre métier. On est là pour leur offrir de beaux moments de vie jusqu’à la fin. On sait que l’on apporte de la douceur et de l’écoute. » Afin que l’annonce de la perte d’un.e patient.e soit moins brusque pour l’équipe de l’espace Essentiel, la coordinatrice à mis en place un rituel : « Quand quelqu’un est parti, je dépose un origami à l’entrée, comme ça quand on arrive, on sait. C’est sûr que parfois c’est difficile mais on doit être là pour les autres. »

Diversifier ses activités est également une manière d’éviter une trop grosse charge émotionnelle : « A côté de mon intervention à l’espace Essentiel, je donne cours en esthétique classique et makeup, j’anime des ateliers à visée sociale et j’interviens en maison de repos. J’aime cette diversité d’activités. Je pense que de travailler non-stop en oncologie peut être difficile à gérer émotionnellement. On a besoin de simplicité aussi. »

« Qu’est-ce qu’il y a de plus beau que d’aider les gens ? »

Au regard de la passion avec laquelle s’exprime l’esthéticienne sociale, on ne s’étonne pas quand elle nous confie que ce choix de carrière s’est réalisé relativement tôt dans sa vie : « Personnellement, le métier d’esthéticienne sociale, c’est ce que je veux faire depuis toujours. Cela vient de mon histoire personnelle car quand je suis née, ma grand-mère a appris qu’elle avait un cancer. Mais elle voulait absolument me voir grandir, elle s’est battue pendant 11 ans. J’ai donc vu les effets de la maladie année après année. Et j’ai été élevée dans cet environnement aussi. Ma mère est administratrice de la plateforme des soins palliatifs depuis 30 ans et mon père était directeur de plusieurs maisons de repos. »

Pendant sa formation en esthétique de secondaire, Cédrine Gorreux décide de suivre un autre cursus en parallèle dans un établissement privé car elle « n’apprenait pas assez. J’étais déjà déterminée ! » (Rires) A 18 ans, elle lance son activité d’indépendante qu’elle complète par un poste en parfumerie où elle se forme au maquillage et à l’animation d’ateliers. En 2008, c’est le tournant vers l’esthétisme social sur base d’une formation de deux ans : « Pendant ces deux ans, j’ai eu énormément de stages auprès de services d’oncologie et de soins palliatifs, entre autres, qui m’ont permis d’apprendre, de tester et d’observer. »

Quand on lui demande pourquoi elle aime tant son métier, la réponse est instantanée, sans une once d’hésitation : « Pour le retour des patient.e.s ! On leur permet de soulager leurs angoisses et leurs peurs par notre métier. Qu’est-ce qu’il y a de plus beau que d’aider les gens ? C’est tellement riche humainement. On relativise beaucoup plus et on vit beaucoup plus l’instant présent. Après il y a des moments difficiles car on prend beaucoup sur nous et il faut trouver ses échappatoires. Personnellement, c’est la lecture ou le sport. »

Un combat récompensé

Après plus de dix ans de pratique et de combat pour une reconnaissance du métier et de la nécessité d’une formation de qualité, l’esthéticienne sociale a reçu la médaille du Talent Wallon et de l’Iret. Ces récompenses la touchent, mais le plus important pour elle, c’est la visibilité du métier que permettent ces événements : « Ces récompenses font chaud au cœur mais ce que je vois là-dedans, c’est surtout la possibilité de visibiliser le métier et ainsi, inciter les personnes qui veulent se lancer dans l’esthétique sociale à se former. »

C’est d’ailleurs le premier conseil que donne Cédrine Gorreux aux personnes qui souhaitent se lancer dans l’esthétique social : « Qu’elles fassent attention au contenu de leur formation. Pour qu’elle soit de qualité, la formation doit proposer des cours de psychologie, des cours d’hygiène avec une infirmière et une esthéticienne sociale de terrain qui exerce depuis quelques années. »

A savoir que l’esthétique sociale touche d’autres domaines que le médical. En effet, elle se réalise aussi auprès de femmes victimes de violences ou en réinsertion professionnelle.

Durant notre échange, la coordinatrice, Virginie Fontaine (à droite sur la photo), nous rejoint afin de nous présenter davantage l’Espace de Bien-Etre Essentiel.

L’Essentiel, qu’est-ce que c’est ?

L’Espace Bien être l’Essentiel du Centre Hospitalier Universitaire de Namur a ouvert ses portes en 2019. Il propose des soins individuels et des moments de détente dès l’annonce du diagnostic et jusqu’à trois mois après la fin des traitements mais aussi des ateliers et activités de groupes dès l’annonce du diagnostic et jusqu’à un an après la fin des traitements. Cette dernière est un moment particulier où le support de l’entourage peut s’amoindrir car la maladie est considérée comme finie et qu’un retour à la normal peut s’en suivre. Cependant, c’est presque là où tout commence...

Virginie Fontaine, coordinatrice de l’espace précise : « On reste là pour soutenir encore pendant trois mois pour les soins individuels et un an pour les activités. On a mis en place une coach motivationnelle qui revient sur les activités qui ont fait du bien aux personnes et voit avec elles comment il est possible de les ancrer dans leur vie car les soins esthétiques classiques sont bien plus chers que les deux euros d’ici. C’est un vrai soutien dans le détachement à notre centre. »

Les soins individuels proposés concernent des massages, l’hypnose et des soins esthétiques. Pour les cours collectifs il est possible de participer à des séances de sophrologie, d’art-thérapie, de yoga, de groupes de parole ou encore à des ateliers d’onco-esthétiques.

Une collaboration forte avec les médecins

L’espace Essentiel est une initiative du CHU de Namur. Historiquement, il y avait déjà des massages, des soins esthétiques, de l’hypnose… proposés aux personnes malades, mais les services n’étaient pas coordonnés. La coordinatrice se souvient : « Le rêve du chef de service d’oncologie était de tout rassembler et de développer les activités afin de toucher toutes les facettes de la vie qui sont touchées par le cancer. Le CHU nous a trouvé ces locaux et les travaux ont été réalisés grâce aux Fonds Emile Salomon. Le développement des activités s’est réalisé grâce aux sponsors, mécènes et aux récoltes de fonds. Nous sommes en lien avec les médecins du CHU de Namur mais nos services sont aussi accessibles aux patient.e.s qui sont suivi.e.s dans d’autres hôpitaux. »

La collaboration avec les équipes médicales se concrétise à travers l’établissement d’un protocole concernant les produits compatibles aux différents traitements. Les conseils donnés aux patient.e.s ont également fait l’objet de réunions avec les oncologues et les infirmières de coordination en soins oncologiques. Et la coopération se réalise bien dans les deux sens puisque les professionnel.le.s de l’espace Essentiel sensibilisent également les médecins à certaines réalités. En effet, certain.e.s oncologues n’étaient pas suffisamment renseigné.e.s à propos de certaines données esthétiques, comme le tatouage : « Des personnes sont venues ici avec des tatouages orange ou vert car les pigments ont oxydé, des ongles qui tombaient car on utilisait le mauvais gel… », souligne Cédrine Gorreux.

Ainsi, le lien établi avec les médecins est une vraie fierté pour les deux femmes puisqu’il permet d’assurer encore plus de sécurité pour les patient.e.s : « C’est donc aujourd’hui notre force. Nos connaissances sont prises en compte par les médecins et nous pouvons les contacter si nous avons un doute. On se sent reconnues et valorisées et cela nous rassure dans notre pratique. Les médecins et la dermatologue à côté, nous envoient des patients.e.s. Ils savent que l’on va pouvoir aider, apporter les bons conseils et avoir les bons gestes. »

En effet, intervenir auprès d’une population malade engendre des situations médicales auxquelles il faut être aptes à répondre rapidement. Virginie Fontaine nous partage un exemple : « Notre expérience, notre formation et notre lien avec le personnel de santé, nous permet d’avoir des réflexes de milieux hospitaliers. Je pense à une dame qui lors d’un massage a fait une phlébite. Nous avons observé que quelque chose n’allait pas donc nous avons contacté sa coordinatrice de soins qui nous a dit quoi faire. »

Former à tout prix

Le défaut de qualité des formations n’impacte pas uniquement l’aptitude des esthéticiennes à proposer des soins adaptés mais fait naître un triste business autours des soins esthétiques aux personnes malades. Vente de produits onéreux et non-adaptés, proposition de services de prothèses capillaires non-maîtrisés…

Virginie Fontaine réagit : « C’est pour cela qu’on se veut être un « centre de formation et de référence ». On a reçu, il y a peu, des personnes qui travaillent avec les produits de la Roche Posay à qui Cédrine a proposé une formation. Aux réactions des participantes qui découvraient un tas de choses, on s’est donc rendu compte que cela avait tout son sens. » Cédrine Gorreux poursuit : « L’objectif aussi c’est le partage des connaissances dans le but de protéger les patients. En juillet – août, je vais donner cours à des profs de la FWB qui veulent enseigner l’esthétique sociale… donc… (Elle s’arrête un instant) Mon job c’est viscéral ! (Elle sourit) La transmission et le partage de connaissances sont les meilleurs moyens pour que les patients reçoivent les soins les plus adaptés. Malheureusement, je n’ai que quatre jours et c’est trop peu. Cela prend du temps de faire la distinction dans les gestes, dans l’attitude des soins esthétiques classiques et sociaux. »

A.Teyssandier

Et pour aller plus loin :

Si vous souhaitez en savoir plus sur le métier d’esthéticienne sociale, vous pouvez vous référez au livre de Cédrine Gorreux : Rencontre avec une esthéticienne sociale ainsi que le site de son ASBL l’Essentiel.

[Découvrez les autres professions du secteur psycho-médico-social] :
 Les témoignages
 Les fiches métiers

www.jaimemonmetier.be



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