Un site de l'Agence pour le Non-Marchand
Informations, conseils et services pour le secteur associatif

"La psychomotricité a changé ma vision des relations humaines"

Sylvain Bernard a 34 ans et quand il a commencé à se former à la psychomotricité c’était par intérêt, pour garder son poste. Dix ans plus tard, il raconte comment ce métier a bouleversé sa vision du monde et revient sur son parcours.

 Découvrez la campagne : "J’aime mon métier" : un focus sur les professionnels du social et de la santé

« Il faut dire aux gens qu’ils ne doivent pas hésiter à contacter des psychomotricien.nes s’ils veulent en savoir plus. On aime toujours raconter notre métier », lance en préambule Sylvain Bernard. S’il aime autant parler de sa profession, c’est que pour lui la psychomotricité est devenue une passion. « Je mange, je bois, je vis, je dors psychomotricité », assure-t-il.

Pourtant, c’est le hasard qui a mis ce métier sur son chemin. Quand, en 2011, Sylvain Bernard a commencé à travailler à l’école maternelle des Bruyères, à Louvain-la-Neuve, c’était avec un diplôme d’enseignant d’éducation physique. « L’école qui est à pédagogie Freinet m’a demandé d’être mieux formé à la psychomotricité avec notamment une pratique du jeu spontané. Sachant qu’en éducation physique on est plutôt formé en psychomotricité fonctionnelle donc plus dirigiste ».

Si au départ il se lance « par intérêt », pour garder son poste, dans une formation au Centre d’Enseignement supérieur pour Adultes (CESA), à Roux, il découvre finalement une nouvelle vision du monde. « C’est un peu bisounours mais j’ai découvert un aspect bienveillant, dans le non-jugement et dans la conviction et la croyance que c’est le ou la bénéficiaire qui a les outils pour se soigner », explique-t-il. Et de continuer : « Ce côté humaniste et bienveillant a changé ma vision de l’enfance, de l’être humain et de la relation soignant-soigné, éducateur-éduqué, prof-élève, que je voyais de manière très verticale alors que ça peut être très horizontal ». Sylvain Bernard parle même d’une « décolonisation de l’esprit » qui ne s’est pas faite du jour au lendemain.

Ainsi, pour lui, cela ne fait aucun doute : la psychomotricité est essentielle pour toute la société. « On amène les bénéficiaires à harmoniser ou à réharmoniser le lien entre leurs corps et leur tête. C’est un équilibre psychique qui, je pense, peut amener plus d’équilibres dans la société en général », explique-t-il.

La salle de psychomotricité, « une mini-société »

D’ailleurs, ce professionnel de 34 ans voit la salle où il accueille des enfants entre 2,5 ans et 6 ans comme « une mini-société dans laquelle des êtres humains évoluent ». À travers l’outil du jeu spontané et l’espace mis à leur disposition, les enfants partent à la découverte de leur corps et de la relation avec les autres. « Ce qui est primordial en maternelle car c’est là qu’on construit les premières fondations ».

Dans ce gymnase, qui se transforme en salle de psychomotricité trois matinées par semaine, Sylvain Bernard, accompagné de stagiaires, reçoit tous les enfants des classes de maternelle. Pour chaque séance de 100 minutes, le psychomotricien encadre un groupe de vingt enfants dont « six à huit enfants par tranche d’âge », précise-t-il.

Ici, la démarche n’est pas thérapeutique mais d’éducation et de prévention. « On parle de prévention car on va éventuellement être attentif-ves à certain.es enfants qui vont présenter un souci de développement, par exemple. Dans ce cas-là, on peut en parler avec l’enseignant.e, les parents, le centre psycho-médico-social (PMS) et réorienter vers d’autres professionnel.les ».

Plus concrètement, à travers la découverte de leurs corps, « les enfants travaillent des notions plus techniques comme la latéralité, les notions spatiales et temporelles et apprennent à sauter, à grimper, à ramper, à lancer des objets... », explique le professionnel. Cela se fait toutefois de manière informelle « car ce sont les enfants qui jouent. Tout part de leur propre initiative ».

Quant à l’aspect relationnel, celui-ci se travaille généralement à partir de la 2e année de maternelle à travers des jeux à plusieurs. Il y a donc « de la collaboration, de la coopération et des conflits d’espace, d’objets, etc. Mon rôle consiste à les accompagner de la meilleure manière possible pour leur donner des outils afin de gérer le fait d’être dans une société. Dans ma salle je ne punie jamais, on essaie de trouver des solutions aux conflits ».

En tant que professionnel, Sylvain Bernard part toujours de l’enfant et de son histoire pour l’accompagner et se mettre en jeu avec lui ou elle, contrairement à « un adulte de la famille, par exemple, qui va colorer les jeux de son histoire personnelle », précise-t-il. Aussi, le cadre sécurisant apporté par le psychomotricien et les stagiaires permettent aux enfants d’aller encore plus loin dans les jeux que ce qu’ils ou elles feraient dans la cour de récréation.

Rejouer dans le plaisir des séquences de vie parfois difficiles

Difficile en revanche de décrire une séance-type. « Elles sont différentes à chaque fois », explique Sylvain Bernard. Il y a toutefois quelques invariants. En effet, cela commence souvent par « une période d’excitation liée au fait de venir à la psychomotricité ». Les enfants font alors beaucoup de sensori-moteur en grimpant, sautant, ou encore en se roulant sur les tapis. « On a des blocs en mousse avec lesquels on construit de grandes tours ou des murs et ils/elles ont beaucoup de plaisir à les casser », pointe-t-il. Après cette période, qui dure plus ou moins longtemps selon les séances et les enfants, des jeux symboliques peuvent commencer à émerger. « Les enfants répètent ce qu’ils et elles vivent au quotidien : des jeux de papas et mamans, aller chez le docteur... ».

Grâce au jeu spontané, les enfants peuvent également faire émerger leurs peurs, leurs angoisses, leurs questions... Le rôle du psychomotricien sera alors de les accompagner pour qu’ils et elles rejouent dans le plaisir des séquences de leur vie qui ont pu être difficiles. « Cela permet d’inscrire de nouvelles idées de ces angoisses qui peuvent bloquer l’enfant, ce qui va lui permettre de se sentir plus sécurisé.e et moins angoissé.e en classe ».

Sylvain Bernard se souvient notamment d’un enfant qui avait perdu son grand frère dans un accident d’avion. « De lui-même, il a commencé à jouer avec des avions en séance de psychomotricité. On l’a donc accompagné là-dedans pour qu’il prenne du plaisir dans un avion, on a aussi joué un accident pour montrer qu’on ne meurt pas toujours. Ça a pu mettre des mots sur ce qu’il s’est passé et accompagner dans le deuil à un moment où sa famille n’était peut-être pas tout à fait disponible car elle aussi dans la douleur », raconte-t-il.

Enfin, la séance se termine généralement par un temps plus calme. « Je mets une musique et les enfants sont invité.es à arrêter leur jeu. Souvent on consacre un moment pour déposer ce qui a été vécu pendant la séance soit avec des constructions Kapla ou encore du dessin. Avec les plus grand.es on peut avoir un moment de verbalisation si un.e enfant a envie de raconter ».

Chaque enfant a une porte d’entrée

L’objectif du psychomotricien, lors de ces séances, c’est bel et bien que l’enfant participe. « Ça peut prendre des semaines et des mois. Il y a des enfants avec qui on n’arrive pas à entrer en relation alors on se pose des questions plus larges : est-ce que l’enfant a besoin d’une aide individuelle ? Est-ce que le problème vient de moi, de ma manière d’entrer en relation avec lui ? », explique-t-il. Toutefois, il reconnait que le jeu n’est pas obligatoire, notamment « si je vois que l’enfant observe, prend plaisir dans l’observation et intègre plein de choses ».

Le professionnel se souvient alors d’une petite fille qui, très impressionnée et stressée par le bruit et l’agitation dans la salle, restait sur le banc. « Un jour avec une stagiaire on a mis un grand tissu devant elle. Elle l’a d’abord regardé, puis elle a mis ses pieds dessus, ensuite elle s’est assise et on l’a tirée dans la salle sans rien dire, pour qu’elle la visite. La séance suivante, elle était la première à rentrer et à aller jouer. C’était un petit moment magique ».

Toutefois, Sylvain Bernard raconte également avoir été souvent frustré au début de sa carrière lorsque la relation ne se faisait pas avec un.e enfant. « Je ne comprenais pas et ça ne me semblait pas normal. Aussi, je me mettais une pression en tant que jeune professionnel. Maintenant avec l’expérience j’ai plus de connaissances théoriques, je comprends mieux différents mécanismes et j’ai davantage d’outils pour entrer en relation ».

En effet, les raisons des blocages des enfants sont aussi nombreuses que les astuces pour trouver « leur porte d’entrée ». Il faut donc faire preuve de créativité.
Parmi les autres qualités nécessaires pour exercer ce métier, il cite également la patience et l’écoute, sans oublier la capacité à utiliser son corps. « Ce n’est pas donné à tout le monde et c’est pour ça qu’on le travaille pendant le bachelier. Par exemple, on danse beaucoup car la danse c’est très impliquant. »

Travailler sur soi pour anticiper les projections

Travailler sur soi est d’ailleurs une étape indispensable pour un.e psychomotricien.ne et « pour toutes celles et ceux qui travaillent avec l’humain en situation de vulnérabilité. Un de mes mentors disait : ‘On peut se laisser toucher mais on ne peut pas se laisser atteindre par la situation’ », poursuit le psychomotricien. Ainsi, pour éviter d’être atteint « chaque professionnel.le doit développer des outils ». De son côté, Sylvain Bernard fait un travail thérapeutique « pour anticiper toutes les projections que je pourrais faire en fonction de mon histoire ».

Ensuite, il évoque des espaces de discussions avec d’autres professionnel.les : des espaces d’intervision dans lesquels ils et elles échangent sur des situations vécues, ou encore des espaces de supervision avec une personne plus expérimentée.
Aujourd’hui, Sylvain Bernard dispose de tous ces espaces dans son travail. Avec son poste au sein de l’école maternelle des Bruyères, il peut bénéficier de trois heures de supervision par an. Parallèlement, il peut échanger avec ses collègues de la Haute école de la Province de Namur et du CESA où il enseigne la psychomotricité.

Cumulés à son emploi au sein de l’école des Bruyères, ses postes d’enseignant lui permettent aujourd’hui de réaliser quasiment un temps plein. Ses premiers cours il les a donnés en 2016, à Namur. À l’époque, il travaillait déjà à l’école maternelle et devait encore finir sa formation en psychomotricité à Roux, dans le même centre où il enseigne aujourd’hui.

Si le rôle d’enseignant en psychomotricité lui semblait être « une chimère réservée à quelques experts », aujourd’hui la transmission est pour lui une passion. « Parce que la psychomotricité même est devenue une passion », rappelle-t-il.

Si bien qu’après plus de dix ans de pratique, le psychomotricien continue de se former. « Je suis un peu boulimique de formations mais c’est une caractéristique de beaucoup d’entre nous. Trois ans c’est court pour un métier comme celui-ci donc il faut continuer à se former pour acquérir d’autres outils et avoir plus de cordes à son arc ».

Parmi les formations qu’il suit, il y a celle en psychologie corporelle intégrative. « C’est un courant qui permet d’avoir des outils pour travailler avec les adultes ». Car son objectif d’ici quelques années c’est de pouvoir reprendre des thérapies, deux jours par semaine. « Je l’ai fait pendant trois ans en tant qu’indépendant complémentaire mais j’ai arrêté quand j’ai eu mon fils car cela me prenait beaucoup de temps et ne rapportait pas assez d’argent ».

La reconnaissance du métier, un combat politique

L’aspect financier – étroitement lié à la reconnaissance - est d’ailleurs l’un des enjeux de ce métier, selon lui. « En tant qu’indépendant on ne gagne pas beaucoup d’argent car si on veut en gagner plus on doit en demander plus par séance mais cela veut dire exclure une partie de la population de ces soins car ils ne sont pas remboursés ».

Actuellement, quelques mutualités remboursent les séances de psychomotricité mais pas la sécurité sociale. « En Belgique, c’est un combat politique car si la Wallonie reconnait le métier, en Flandre ce n’est pas le cas. Alors au niveau fédéral ça prend du temps », explique-t-il. Sylvain Bernard estime que le métier a pris un coup en 2016 lorsque Maggie De Block, alors ministre de la Santé, a refusé de reconnaitre la psychomotricité comme métier du paramédical.

Avant de se quitter, nous demandons à Sylvain Bernard s’il a un message à transmettre aux futur.es psychomotricien.nes. « Que c’est le plus beau métier du monde ! Mais je reconnais que ça ne fait pas avancer le schmilblick », s’amuse-t-il.
Il rappelle alors qu’avant d’être un métier, la psychomotricité c’est une formation « qui va changer leur vision du monde vers une vision plus juste, plus belle et plus harmonieuse de la relation humaine ». Sans compter que la psychomotricité permet d’exercer dans de nombreux secteurs. « On n’est pas bloqué dans une case professionnelle. C’est un beau métier ».

Caroline Bordecq

Et pour aller plus loin :

[Regardez]

[Ecoutez]


 La totalité du podcast de Massimo, psychomotricien

[Découvrez les fiches métiers dédiées à la profession de psychomotricien] :
 Missions, débouchés, contrats... : découvrez le métier de psychomotricien
 Comment devenir psychomotricien en Belgique : les formations
 Salaire : combien gagne un psychomotricien un Belgique ?
 La formation corporelle au cœur du bachelier paramédical en psychomotricité du CESA/HELHa
 Psychomotricien : ce qu’il faut savoir avant de chercher un emploi

[Découvrez les témoignages de psychomotricien.nes] :
 "La psychomotricité relationnelle est un métier heureux"
 Reconversion professionnelle : "En devenant psychomotricienne, j’ai retrouvé ma passion pour l’humain"

[Découvrez les autres professions du secteur psycho-médico-social] :
 Les témoignages
 Les fiches métiers



Ajouter un commentaire à l'article





« Retour