Providence Band : quand deux éducateurs spécialisés mettent l’inclusion en rythme

Projet conçu pour et par les jeunes qui y participent, l’atelier musical Providence Band de l’IMP La Providence à Étalle est porté depuis plus de quinze ans par Thomas Robert et Olivier Louppe, tous deux éducateurs spécialisés et passionnés de musique. L’ASBL IMP La Providence comprend d’une part un Service Résidentiel accueillant des enfants et jeunes adultes souffrant de troubles du comportement et/ou de déficience légère à modérée, et d’autre part un Service de Logements avec les mêmes populations mais dans l’âge de transition 16-25 ans.. C’est avec ces publics que la musique devient, entre les mains de Thomas et Olivier, un formidable outil de lien, d’expression et de valorisation.
Une valorisation essentielle pour ces enfants et adolescents, qui à leur tour nourrissent Thomas et Olivier de leur énergie et de leur sincérité. Depuis sa création en 2009, le projet a amené de nombreux jeunes sur les scènes de la province et au-delà, et donné naissance à plusieurs albums et de nombreux clips. Une initiative qui fait aujourd’hui des émules, et autour de laquelle nous avons pu échanger avec Olivier Louppe et Thomas Robert. Rencontre.
"La musique, c’est un moyen d’être et d’inviter le jeune à mieux se connaître lui-même."
Le Guide Social : Qu’est-ce qui vous a poussé à lancer ce projet en 2009 ?
Olivier Louppe : À l’époque, Thomas et moi travaillions tous les deux à l’IMP La Providence depuis quelques années, mais nous nous sommes réellement rencontrés autour de la musique. Pour l’anecdote, il se trouve que Thomas faisait déjà des ateliers musicaux avec les tous petits, et de mon côté j’avais développé des ateliers rythmiques avec quelques djembés. Pour les trente ans de l’institution, notre directeur nous a demandé de monter sur scène avec les jeunes. C’est là que nous avons découvert notre passion commune, et nous avons très rapidement mis en place ce projet.
Venir avec une passion au contact des jeunes, c’est aussi leur dire qu’ils peuvent vibrer tout comme nous au rythme de cette musique, et cela a été une façon de rentrer en relation avec tous ces jeunes que nous avons accompagnés. Nous avons la chance d’être dans une maison où l’on permet aux éducateurs de se lancer dans de tels projets, avec la conviction qu’au travers d’une activité que l’on aime, on va diffuser nos valeurs. Aujourd’hui, Thomas est à temps plein sur ce projet, et je l’accompagne à temps partiel, à côté de mes activités de chef éducateur.
Le Guide Social : Comment avez-vous construit ce projet, et quelles ont été vos sources d’inspiration ?
Thomas Robert : Tout a été créé directement avec les jeunes. À l’époque, il n’y avait pas vraiment d’autres initiatives similaires, et aujourd’hui encore elles sont peu nombreuses. De fil en aiguille, nous avons acheté du matériel pour le studio, créé des albums, et lorsque la pandémie a débuté et que travailler sur scène n’était plus possible, nous avons commencé à tourner des clips vidéos. Et c’est à travers de ces outils que le projet s’est diversifié.
Aujourd’hui, une grande partie de ces créations sont visibles sur notre chaîne YouTube, et le support CD sur lequel nous avions commencé à travailler a pratiquement disparu. Mais cette transition vers le clip a été très bénéfique au niveau pédagogique, parce qu’il y a beaucoup de travail à faire sur le corps, sur la représentation de soi, et cela s’est ajouté au volet d’expression musicale déjà présent dans nos ateliers. La musique, c’est avant tout un moyen d’être, de mieux se connaître, et d’inviter l’enfant/le jeune à mieux se connaître lui-même.
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"Ce sont des moments privilégiés où on est tous sur le même pied d’égalité, ce qui renforce le sentiment d’appartenance au collectif"
Le Guide Social : Comment cela nourrit-il votre travail d’éducateur, et comment les jeunes réagissent-ils à votre proposition ?
Thomas Robert : Grâce à cette relation privilégiée, il y a un lien fort qui se crée, et nous devenons pour ces jeunes des figures d’attachement et des personnes sur qui ils peuvent compter. Quand on a partagé la scène avec eux (et nous avons foulé de belles scènes !), le fait de stresser avec eux, ce sont des moments privilégiés où on est tous sur le même pied d’égalité, ce qui renforce le sentiment d’appartenance au collectif.
Olivier Louppe : Et il est certain que cela nous aide dans notre travail. Les choses roulent mieux que dans une dynamique plus classique où l’on ne fait que du quotidien. Ces instants et ces moments de bonheur marquent les enfants, et ils reviennent régulièrement en discuter avec nous.
Thomas Robert : Aujourd’hui, lorsque je vais en parler aux nouveaux jeunes, ceux-ci sont déjà au courant via les plus anciens. C’est un projet qui vit au-delà de nous-même, et qui est en quelque sorte inscrit dans les murs de l’IMP.
Olivier Louppe : On a d’ailleurs un noyau dur de jeunes qui participent au projet depuis des années, qui ont déjà une expérience et qui ont déjà été valorisés, et qui continuent avec nous.
"Notre réalité, c’est celle de jeunes qui sont parfois inanimés, qui n’ont plus goût à rien et se déshumanisent"
Le Guide Social : Quels sont les grands défis que vous ayez rencontrés, ou que vous rencontrez encore aujourd’hui ?
Olivier Louppe : Le nerf de la guerre, c’est l’organisation. Partir le samedi soir faire un concert, cela veut dire demander aux jeunes de rester, prévoir des éducateurs en plus, cela a un coût financier mais représente aussi une charge de travail supplémentaire. Ici, je tiens à souligner que nous avons toujours reçu un soutien indéfectible de la part de notre direction. La confiance de notre direction, nous l’avons aussi de par la pédagogie qui est à la racine du projet. Animer les jeunes, c’est les "mettre en vie". Notre réalité, c’est celle de jeunes qui sont parfois inanimés, qui n’ont plus goût à rien et se déshumanisent. Avec Providence Band, nous voulons leur redonner du souffle. Et cela, notre direction l’a tout à fait compris, et est toujours derrière nous pour réussir à porter le projet, et à mettre en place l’organisation nécessaire à celui-ci.
Thomas Robert : Concernant le volet financier, nous sommes fiers de dire que le projet est aujourd’hui autofinancé, notamment grâce à l’aide financière de service clubs. Le matériel professionnel, les instruments et les outils de captation vidéo que nous avons réunis représentent un coût, mais c’est aussi un investissement qui crée un environnement technique de qualité pour ces jeunes qui racontent leur vie en chanson. Pour mettre leur travail en valeur, et les valoriser, cela nous semblait essentiel.
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"Qu’y a-t’il de plus inclusif de mettre un gamin d’institution sur une scène, en première partie de Cali ?"
Le Guide Social : Quel rayonnement le projet a-t-il au-delà des murs ?
Thomas Robert : Un rayonnement plutôt positif. L’année dernière, la province a initié le projet "SRJ [Service résidentiel pour jeunes, NDLR] en chanson", et Providence Band a été mandaté comme projet-type pour que nous puissions aller diffuser dans d’autres SRJ notre approche, entre engagement artistique et expertise éducative. Nous sommes donc allés avec quelques jeunes dans d’autres institutions pour parler du projet, nous avons pu inviter des jeunes externes à l’IMP dans notre studio, et tout cela s’est conclu avec un concert à la Maison de la Culture d’Arlon. Cette initiative a été très bénéfique pour nos jeunes, car ils ont pu eux-mêmes aller parler à d’autres éducateurs, expliquer notre manière de travailler, et l’intérêt de l’approche. Une autre manière de les mettre en avant, ce qui convient tout à fait car c’est là tout le but du projet : mettre ces jeunes en action, les faire monter sur scène face à un public, et les inclure finalement dans la société au travers de la musique. L’initiative a d’ailleurs été relancée cette année, avec trois ou quatre SRJ participantes.
Le Guide Social : Un mot pour terminer, sur les retours du public ?
Thomas Robert : C’est ce que je trouve le plus agréable. On parle tout le temps d’inclusion, et qu’y a-t’il de plus inclusif de mettre un gamin d’institution sur une scène, en première partie de Fréro Delavega, ou de Cali ? Ce sont des pointures que nos jeunes ont pu rencontrer, et des publics qui ont accepté la fragilité et qui ont été touchés par la vivacité de ces propositions musicales. Partager ces moments ensemble, c’est quelque chose d’unique.
Kévin Giraud
Pour en savoir plus sur le projet Providence Band, rendez-vous sur leur chaîne Youtube ici, et sur le site de l’ASBL IMP La Providence.
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