Anne Pousseur, psychomotricienne : le langage du corps dès la petite enfance

Psychomotricienne depuis près de 40 ans, Anne Pousseur a consacré sa carrière à l’accompagnement des jeunes enfants et de leurs parents. Spécialisée dans la petite enfance, elle a contribué à façonner la psychomotricité relationnelle en Belgique. Entre observation, mouvement et émerveillement, elle raconte son parcours et sa vision d’un métier où chaque geste ouvre un chemin de croissance.
C’est dans un petit café littéraire bruxellois que nous retrouvons Anne Pousseur, psychomotricienne depuis presque 40 ans. Avec passion, elle raconte ce métier qu’elle a contribué à façonner en Belgique, un métier où chaque observation, chaque geste devient une manière de tisser du sens avec les enfants et leurs parents.
Le Guide Social : Qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir psychomotricienne ?
Anne Pousseur : Au départ, j’ai travaillé comme éducatrice. A l’époque, il ne fallait pas de diplôme. Puis j’ai fait des études d’assistante sociale et j’ai décroché un poste en crèche. À ce moment-là, je travaillais déjà place Jourdan, dans un projet communautaire. On collaborait avec les premières maisons médicales autour de la santé, de l’accompagnement des familles et des enfants. J’étais donc déjà plongée dans l’éveil des familles et des tout-petits. Et en arrivant en crèche, j’ai tout de suite aimé le travail avec les équipes et sur le terrain.
Ce qui m’a plu d’emblée ? Le développement des tout-petits ! Passer du temps avec eux, c’est découvrir, admirer et s’interroger sur cette construction psychomotrice qui commence dès la naissance. Je sentais que c’était un métier de lien – sans trop m’être renseignée, j’ai décidé de suivre une formation de 2 ans en psychomotricité au Cesa (Centre d’enseignement supérieur pour adultes) à Roux, près de Charleroi.
À l’époque, ce n’était pas un bachelier mais un certificat paramédical accessible avec un diplôme A1. Avec mon diplôme d’assistante sociale, un entretien d’entrée et un petit examen, j’ai pu suivre cette formation aux côtés d’étudiants de tous âges et horizons. Pendant mes études, j’ai fait un stage à La Flèche (La Maison d’Enfants Reine Marie-Henriette asbl). J’ai jonglé entre mon mi-temps en crèche, la formation, parfois des soirées et des week-ends de travail.
"J’ai toujours été fascinée par ce qui construit l’être humain dès la petite enfance. Entre 0 et 3 ans, tout se met en place !"
Le Guide Social : Et une fois votre certificat en poche, comment se sont passés vos débuts dans le métier ?
Anne Pousseur : Pendant mes études, j’ai eu la chance de rencontrer très tôt des personnes qui allaient loin dans l’éveil psychomoteur du jeune enfant. J’ai tout de suite été sollicitée, et ça m’intéressait énormément de croiser des professionnels qui travaillaient avec une grande finesse, notamment avec l’échelle musculaire G.D.S. Aujourd’hui, ces connaissances sont plus répandues, mais à l’époque, c’était encore rare.
Marie H. de Frahan m’a proposé de travailler dans sa petite crèche, Étoile d’Herbe, qui est aujourd’hui une ASBL de formation en éveil psychomoteur.
J’ai eu beaucoup de chance dans mon parcours : les postes se sont enchaînés de manière fluide, en cohérence avec mes envies, mes valeurs, et ce que je cherchais à explorer.
Le Guide Social : Racontez-nous vos premiers pas en tant que psychomotricienne, auprès des jeunes enfants mais aussi de leurs parents.
Anne Pousseur : Avec les parents, c’était au quotidien, dans la petite crèche. Je proposais aussi des séances parents-enfants. J’observais beaucoup sur le terrain, puis je partageais mes observations en réunion d’équipe. L’idée, c’était toujours de trouver des pistes, d’impliquer les professionnels et les parents pour qu’ils deviennent acteurs de leur pratique.
Ensuite, j’ai commencé à ouvrir des consultations les samedis. Ce qui m’a toujours touchée – et qui me touche encore aujourd’hui – c’est de rester à l’écoute de l’éveil du jeune enfant, de continuer à être surprise et à apprendre. Pour moi, il faut toujours se poser cette question : Qu’est-ce que l’enfant me montre ? Oui, il a cette difficulté-là qui amène la famille à consulter. Mais il a aussi plein d’autres compétences !
Et c’est pareil pour les parents : je m’attache aussi à leurs ressources. Prenons l’exemple d’un enfant qui mord beaucoup en crèche. Je vais m’intéresser à ce qu’il fait quand il ne mord pas. Ça demande un vrai travail d’observation. Observer, écouter, interagir… On n’est pas en retrait, on engage tout : notre tête, notre corps, nos émotions. Avec les parents, c’est pareil. On peut aller jusqu’à proposer du yoga, du tai-chi, des approches corporelles sur le toucher.
C’est un métier très complet. J’ai toujours été fascinée par ce qui construit l’être humain dès la petite enfance. Entre 0 et 3 ans, tout se met en place : le mouvement, la pensée, la créativité. C’est une période qui me passionnera toujours.
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"Et au bout de quelques mois, après quelques séances, l’enfant s’est mis à parler, à jouer"
Le Guide Social : Avez-vous un souvenir marquant qui illustre l’impact de votre travail auprès d’un enfant et de sa famille ?
Anne Pousseur : Je pense à une famille que j’ai rencontrée durant le Covid. Leur enfant, âgé d’un an et demi, était gardé à la maison pendant que les parents travaillaient en télétravail à temps plein. À cet âge-là, le cerveau est en pleine explosion : l’enfant commence à faire des liens, à entrer dans le jeu symbolique, à développer le langage. Mais là, il était beaucoup devant les écrans. L’enfant s’était ’contenu’ : il ne parlait presque pas, il ne jouait pas. Quand les parents ont consulté, certains spécialistes ont évoqué l’autisme.
La maman est venue me voir et on y est allé doucement. J’ai tout de suite remarqué que cet enfant observait beaucoup. Et au bout de quelques mois, après quelques séances, il s’est mis à parler, à jouer. Ce travail psychomoteur, en lien avec les parents, a remis quelque chose en mouvement, dans son corps et dans sa tête. Cette histoire m’a beaucoup touchée : avant de poser un diagnostic, on remet en route ce qui est en souffrance.
Aujourd’hui, les pédopsychiatres et neuropédiatres accueillent bien l’idée qu’un enfant suive de la psychomotricité avant un bilan. Cela permet d’avancer avec un enfant déjà "en mouvement" plutôt que de partir d’un point zéro.
Le Guide Social : Le mouvement est au cœur de votre pratique. Mais à quoi ressemble concrètement une séance de psychomotricité relationnelle ?
Anne Pousseur : Un espace pensé pour bouger… et se poser. Une séance de psychomotricité, c’est avant tout un temps et un espace. L’espace doit permettre le mouvement libre : courir, grimper, explorer… mais aussi le repos, car se déposer fait partie du mouvement. Chaque séance commence par un rituel d’accueil, puis se déroule dans un cadre temporel précis.
Aujourd’hui, je travaille surtout avec les enfants jusqu’à deux ans, accompagnés de leurs parents. À partir de deux ans, deux ans et demi, on peut alterner entre séances avec ou sans le parent, pour travailler le processus de séparation. La consultation dure environ une heure. Il faut du temps pour arriver, se déposer, déployer quelque chose.
D’une séance à l’autre, on garde des rituels pour rassurer l’enfant, mais on introduit aussi de petites surprises : une disposition différente, un nouvel objet, une activité adaptée à l’objectif du moment. Chaque espace est repensé en fonction de ce qui s’est passé lors de la séance précédente. C’est un travail d’observation et d’ajustement : Qu’est-ce qui s’est passé ? Comment ? Qu’est-ce que ça dit de l’enfant ?
Contrairement à un parcours de gym, l’espace n’est pas figé. On suit le rythme de l’enfant. Par exemple, si un enfant ne grimpe jamais, je vais lui proposer des petites hauteurs progressives, attirer son attention, l’inviter à prendre appui.
Le Guide Social : Les séances se co-construisent avec l’enfant, pas à pas. Et les parents ont également une place dans ce processus.
Anne Pousseur : Les parents sont toujours impliqués. Parfois, je tiens le bébé dans les bras et je leur demande : "Qu’est-ce que vous voyez dans ce que je fais ? Qu’est-ce que ça vous fait ?" S’il s’agit d’un bébé très tonique, je peux montrer comment le porter, le bercer, lui parler. Puis je propose au parent d’essayer, et on observe ce qui se passe entre eux. Ce sont de petites choses, mais elles tissent du sens.
Avec les enfants plus grands, je cherche toujours à remettre le parent acteur. Ce sont eux et les accueillants qui sont au quotidien avec l’enfant. Moi, je suis juste un passage. Quand j’écris un rapport, je le donne toujours aux parents avant qu’il ne parte chez un médecin. Et ce que disent les institutrices ou les puéricultrices en crèche compte énormément : elles connaissent l’enfant dans son contexte quotidien.
"Après 40 ans, ce qui me fait encore vibrer dans mon travail ? L’émerveillement et la surprise !"
Le Guide Social : Vous avez presque 40 ans d’expérience dans différents lieux et avec différentes équipes. Qu’est-ce qui vous nourrit encore dans ce métier ?
Anne Pousseur : J’ai participé aux premières expériences pilotes pour l’ONE : l’idée était d’avoir des psychomotriciens présents sur le terrain, soit dans les consultations, soit au moment où les parents viennent consulter. Avec une directrice de crèche, on a même créé le premier poste de psychomotricien salarié dans une grande crèche bruxelloise ! J’ai pu explorer ce métier sous toutes ses facettes : travail en équipe, terrain, formation, supervision…
Après ma retraite, j’ai pris un peu de temps pour moi, puis j’ai rouvert une consultation, centrée sur les 0-2 ans, dans un lieu périnatal où cohabitent sages-femmes, kinés, ostéos, psys… Ce n’est pas un travail d’équipe à proprement parler, mais il y a des moments d’échange précieux. Ce travail est d’ailleurs reconnu et subsidié en France sous le nom Les 1000 Premiers Jours et ça commence à arriver en Belgique, ce qui est une belle avancée.
Le Guide Social : Et après 40 ans de pratique, qu’est-ce qui vous fait encore vibrer ?
Anne Pousseur : L’émerveillement et la surprise. Mon moteur reste de trouver le petit levier qui permettra à l’enfant et aux parents d’avancer sur leur chemin. Même lorsqu’on arrive au constat d’un handicap, le travail de cheminement avec les parents reste essentiel.
Le Guide Social : Pour finir, qu’aimeriez-vous dire aux étudiants ou jeunes diplômés qui souhaitent se lancer dans ce métier ?
Anne Pousseur : C’est un métier qui engage complètement : le corps, le psychique, l’émotionnel, le cognitif… C’est un métier du mouvement. Il faut accepter qu’on sera toujours en apprentissage. Qu’il n’y a pas de vérité toute faite. Il faut rester prudent, éviter de mettre les gens dans des cases, surtout aujourd’hui. Cela demande un travail personnel : sur soi, sur son corps, sur son psychisme. Et cela exige de rester créatif, de continuer à relier les choses entre elles. Enfin, il faut savoir mettre des mots sur ce qui se passe – sur les émotions, sur le corps – pour éclairer les parents. Et surtout, trouver des mots qui ouvrent, jamais des mots qui enferment.
Propos recueillis par Laura Mortier
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