Créer sa maison médicale en Belgique : pourquoi et comment ?
Avec 3 à 6 nouvelles structures par an, les maisons médicales sont de plus en plus nombreuses en Belgique francophone. Regroupant divers professionnels de santé, elles s’inscrivent dans la vie de leur quartier d’implantation et deviennent particulièrement nécessaires dans un secteur touché par les pénuries professionnelles. Vous êtes un professionnel de santé et vous souhaitez vous lancer dans la création d’une maison médicale ? Pour découvrir les réalités propres à ces dernières, nous avons interrogé Fabienne Saint-Amand, coordinatrice de projet au sein de la Fédération des Maisons Médicales de Belgique, et Alejandro Vazquez Val, kinésithérapeute, qui a, au cours de sa carrière, ouvert et co-géré deux maisons médicales.
Qu’est-ce qu’une maison médicale ?
Les maisons médicales forment un système de santé de proximité. Des équipes pluridisciplinaires constituées de plusieurs professionnels travaillent au sein d’une même structure.
S’inscrivant résolument dans une optique de soins de première ligne, les maisons médicales, aussi appelées "maisons de santé", proposent un suivi englobant le préventif, le curatif, le palliatif et la sensibilisation à la santé (éducation permanente, ateliers communautaires, … ).
Le suivi qui y est proposé est de long terme, et les soins dispensés par l’équipe prennent en compte aussi bien les dimensions physique, psychologique, que sociale et environnementale de la santé.
Enfin, les maisons médicales doivent se positionner dans une démarche d’accessibilité, aussi bien financière que géographique et temporelle (horaires accessibles).
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Un projet qui s’inscrit dans une dynamique communautaire
"Nos maisons médicales s’inscrivent dans la vie d’un quartier, d’une ville ou d’une communauté rurale", explique Fabienne Saint-Amand, coordinatrice de projet au sein de la Fédération des Maisons Médicales de Belgique. "Il va donc être important de créer du lien avec les acteurs déjà présents. D’ordinaire, une maison médicale va travailler avec des partenaires comme les CPAS, les communes,… Le principe est de faire participer la population du territoire couvert par la maison médicale. Les bénéficiaires sont invités à exprimer leurs difficultés, leurs besoins et, en fonction, l’équipe met en place des projets qui touchent à tous les déterminants non-médicaux de la santé. Ces projets peuvent par exemple toucher à des questions environnementales, de logement, ou bien encore, avoir pour objectif de briser la solitude."
Une optique que confirme Alejandro Vazquez Val, kinésithérapeute, dont la première expérience a même - fait inhabituel - été initiée par des habitants du quartier. "Il s’agissait au départ d’un projet citoyen dont une patiente m’a parlé. Ils cherchaient des professionnels du paramédical pour se lancer. C’est comme ça que j’ai décidé de participer à ce premier projet."
Qui peut travailler en maison médicale ?
La majorité des métiers représentés dans les maisons médicales appartiennent au domaine de la santé : médecins, kinésithérapeutes, infirmiers.es, diététicien.nes, dentistes,… Cependant, dans une optique de suivi global, de nombreux autres métiers sont susceptibles d’y être présents, comme des professionnels du psychosocial (psychologues, assistant.e.s sociaux.ales), ou encore, du personnel administratif.
Il est ainsi obligatoire que l’équipe compte une personne en charge de l’accueil.
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Qui peut ouvrir une maison médicale ?
Le titre "maison médicale" n’étant pas protégé, tout le monde peut, en théorie, en ouvrir une. En région wallonne, afin d’être agrémentée ASI (association de santé intégrée), une maison médicale doit être initiée, au minimum, par :
- Deux médecins généralistes.
- Une infirmière et/ou un kinésithérapeute.
- Une personne accueillante.
Les trois professions de santé peuvent bien sûr collaborer de concert, répondant alors à la définition classique de l’acronyme "MKI". Ces conditions s’appliquent également si la structure opte pour un fonctionnement forfaitaire.
Comment fonctionne le financement d’une maison médicale ?
Deux options sont envisageables pour financer une maison médicale.
Il est possible que les prestations soient remboursées à l’acte. Dans ce cas, chaque professionnel de santé délivre une attestation à son patient, lequel remettra cette dernière à sa mutuelle.
Une maison médicale peut aussi fonctionner au forfait : dans ce cas, le patient signe un contrat avec sa mutuelle et la maison médicale au forfait, à laquelle il est affilié. Il ne paie pas ses consultations de médecine générale, de kinésithérapie ou de soins infirmiers et sa mutuelle se charge elle-même de verser un forfait mensuel à l’organisme de soin.
Par contre, les prestations des autres professionnels travaillant au sein de la maison médicale sont sujettes au traitement habituel "à l’acte". Le patient doit donc recevoir, de la part de son prestataire, une souche lui donnant droit à un remboursement.
Quel est le statut d’une maison médicale ?
Pour respecter les statuts de la Fédération des Maisons Médicales et les critères réglementant les ASI, une maison médicale doit avoir le statut légal d’ASBL. Mais ce n’est pas le cas de toutes les structures. Le terme "Maison médicale" n’étant pas protégé, il est possible d’ouvrir une maison médicale sans passer par ce statut. Cependant, il ne sera pas possible de bénéficier du suivi et du soutien de la Fédération ou d’être agréé par l’organisme de réglementation de votre région.
"D’autres maisons médicales, qui ne sont pas affiliées, ont des visions différentes. Il peut par exemple y avoir des structures qui ont le statut de SRL. L’autogestion en ASBL est un concept qui est propre aux maisons médicales adhérentes de la Fédération, bien qu’il soit tout à fait possible d’adopter ce modèle sans en faire partie", explique Alejandro Vazquez Val.
Quelle est la différence entre une maison médicale et un cabinet médical ?
Si dans les deux cas, il s’agit de structures proposant des soins de santé, dont le visage est surtout façonné par les valeurs et souhaits de leurs initiateurs, il existe néanmoins des différences fondamentales entre une maison médicale et un cabinet médical.
- Un cabinet médical est créé par une personne diplômée en médecine, qui a le choix ou non de travailler avec d’autres acteurs des soins de santé (médecins ou non). La présence d’une équipe multidisciplinaire n’est pas obligatoire et le cabinet peut très bien compter un seul médecin.
- Un cabinet médical ne s’inscrit pas forcément dans une vie communautaire, ni dans une optique d’accessibilité, tandis qu’une maison médicale doit veiller à ces deux aspects.
- Une maison médicale, si elle est membre de la Fédération des maisons médicales, doit avoir le statut d’ASBL.
Comment se passe la gestion d’une maison médicale ?
Une maison médicale agréée se gère comme une ASBL classique, tout en devant respecter les réglementations propres à une structure de santé (limitation de la publicité, intervention de l’INAMI, …).
Pour Alejandro Vazquez Val, il est donc nécessaire de savoir jongler avec les responsabilités et de faire preuve d’initiative.
"En tant qu’ASBL en autogestion, nous avons une assemblée générale et chacun a une casquette correspondant aux besoins de l’ASBL. Par exemple, je suis kinésithérapeute mais, au-delà de ma fonction principale, je suis aussi gestionnaire de l’ASBL… Par contre, étant donné que nous faisons partie de la Fédération, nous avons, comme stipulé dans les statuts de la Fédération, un fonctionnement horizontal. Il n’y a donc pas de rapport hiérarchique et nos prises de décisions sont collégiales."
"Au début, lorsque la maison médicale a ouvert", ajoute-t-il, "nous avions moins de patients et donc, nous n’étions pas forcément occupés 38 heures par semaine. J’ai donc fait de petits travaux ici et là. Et même si aujourd’hui, notre patientèle occupe nos horaires, nous restons chacun susceptibles de sortir du rôle de nos fonctions principales pour mettre nos casquettes de gestionnaires d’ASBL, ce qui veut dire jouer les couteaux suisses : faire de menus travaux, gérer la paperasse, la trésorerie, le management,..."
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Est-on forcément salarié en maison médicale ?
"Non", répondent de concert nos deux interlocuteurs.
"Il est possible de travailler en tant qu’indépendant, ou en tant que salarié. Les deux statuts peuvent coexister au sein d’une même maison médicale", explique Alejandro.
Quels sont les avantages et inconvénients à gérer une maison médicale ?
Pour le professionnel de santé
- Un statut de salarié possible, plus stable et moins chronophage qu’un statut d’indépendant.
- La possibilité de prendre part à la gestion et aux décisions importantes de la maison médicale.
- La création d’un projet correspondant à sa vision du soin et à sa philosophie de vie.
- La possibilité de faire partie d’une équipe à taille humaine.
- L’opportunité de travailler au sein d’un organisme inséré dans une communauté (santé préventive, sensibilisation locale, contact avec des populations précarisées).
- La possibilité de travailler de concert avec d’autres professionnels afin de proposer un suivi multidisciplinaire au patient.
Pour Alejandro Vazquez Val, le passage en maison médicale va de pair avec une meilleure qualité de vie.
"J’ai travaillé en tant que kinésithérapeute indépendant", explique-t-il, "mais à la naissance de mon deuxième enfant, j’ai à nouveau intégré une maison médicale en tant que salarié. Cela m’a permis de passer d’un régime de travail de 60 heures par semaine, à des semaines de 38 heures. J’ai une meilleure qualité de vie."
L’amélioration de la qualité de vie est également énoncée par Fabienne Saint-Amand.
"Bien qu’il soit possible de ne pas travailler en maison médicale avec le statut de salarié, notre Fédération encourage fortement le passage à ce statut. En effet, cela permet un roulement bien plus facile du personnel. Dans une maison médicale où les équipes sont salariées, il est bien plus aisé d’obtenir un remplacement, un congé maladie ou des congés payés. Voyager, s’investir dans un loisir ou une vie de famille, est beaucoup plus accessible. Les soignants ne sont plus enfermés dans des régimes de travail de 60 heures par semaine qui les obligent à sacrifier leur vie personnelle."
Pour le patient
- La possibilité de bénéficier d’un suivi médical à moindre coût près de chez lui.
- Un suivi médical pluridisciplinaire.
- Un accès plus aisé à l’information sur la santé.
- Moins de paperasse, s’il fréquente une maison médicale fonctionnant au forfait.
"La maison médicale", confie Fabienne, "est probablement, aujourd’hui, le seul lieu à prendre en charge des patients sans subir une importante pression liée à la rentabilité. Par ailleurs, le confort de travailler en maison médicale, pour le professionnel, se répercute sur le patient."
Comment choisir ses partenaires ?
La création d’une maison médicale, ainsi que son fonctionnement quotidien, est avant tout un travail d’équipe, rappelle Alejandro Vazquez Val. C’est la raison pour laquelle il est important de choisir soigneusement les personnes impliquées dans le projet.
"Chacun a sa vision et son mode de fonctionnement. Nous sommes 5 fondateurs, 5 visions complémentaires. Il est vraiment important de s’assurer qu’on partage des valeurs communes avec les personnes avec qui on se lance dans le projet et donc, de savoir pourquoi on le fait soi-même. C’est un projet de longue haleine et, lors de mes deux expériences, j’ai connu une équipe de départ qui a évolué. Des personnes quittent le navire pendant la création, ce qui nécessite de les remplacer. Il faut s’attendre à ces turbulences et s’accrocher. C’est un peu comme un projet entrepreneurial."
Une fois la maison médicale lancée, la question continue d’ailleurs à se poser, pour le kinésithérapeute.
"Notre équipe est vivante, notre projet est en perpétuelle mutation", explique-t-il. "Aujourd’hui nous sommes une équipe de 10. C’est donc d’autant plus important de prendre le temps de s’assurer que les personnes entrantes partagent nos valeurs, mais aussi d’accepter cette évolution. Ce que nous sommes maintenant n’est probablement pas ce que nous serons dans 20 ans."
Combien de temps pour créer une maison médicale ?
Il faut compter entre 2 et 3 ans, en moyenne, pour créer une maison médicale. Bien que ce délai puisse paraître long, Alejandro encourage toute personne tentée par l’aventure à prendre son temps.
"Au début, on se dit qu’on a le temps de tout faire", confie-t-il, "et l’on est impatient de débuter. Mais une fois que la maison médicale est lancée, il est bien plus difficile de prendre le temps de faire certaines choses qui, pourtant, peuvent simplifier la vie de tous. Dans notre cas par exemple, nous avons négligé de rédiger un règlement d’ordre intérieur. Sans cette référence commune, de nombreuses questions du quotidien se règlent au cas par cas, ce qui prend plus de temps inutilement. Je conseille donc de prendre le temps de se préparer, d’envisager la vie quotidienne de la structure et de ne pas négliger certains détails, qui n’en seront plus une fois qu’elle sera lancée. C’est beaucoup plus difficile, ensuite, de prendre le temps de faire ce genre de choses, car on est pris par le quotidien."
Les ressources vers lesquelles se tourner pour ouvrir votre maison médicale
Vous souhaitez vous lancer, vous avez des questions sur la gestion ou la création d’une maison médicale ? Consultez les ressources ci-dessous.
- Fédération des Maisons Médicale en Belgique Francophone
- Convention de l’INAMI pour le paiement au forfait
- Informations de l’INAMI sur les maisons médicales
- Informations de la Cocof sur les maisons médicales bruxelloises
- Formulaire et informations pour une demande d’agrément en qualité d’ASI
Mathilde Majois
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