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L’hippothérapie en Ukraine : espoir et résilience en temps de guerre

15/10/25
L'hippothérapie en Ukraine : espoir et résilience en temps de guerre

Depuis le son glaçant de la 1ère alerte à la bombe le 24 février 2022, beaucoup de vies ont été brisées ou perdues en Ukraine. Malgré l’incertitude et l’insécurité permanente, une femme accompagnée de son cheval sky, offre un espace et un temps pour faire place en douceur à la résilience. Quelles sont ces personnes qu’elle accompagne ? Y-a-t-il de vrais bénéfices thérapeutiques ? Est-ce que l’hippothérapie a réellement du sens et de l’importance en temps de guerre ? Svitlana Polenovytch, hippothérapeute, a accepté de partager un fragment de sa vie avec nous. Un témoignage qui nous montre comment l’hippothérapie peut préserver ou raviver tout ce qu’il y a de plus humain en nous, dans des moments où ce qu’il y a de plus animale en “L’homme” ravage tout autour de nous.

« Les bons thérapeutes le deviennent à cause de traumatismes personnels. Et ça c’est parce que tu expérimentes toi-même. Ça aide vraiment énormément. C’est comme les sportifs qui deviennent des kinésithérapeutes spécialisés dans un domaine. C’est souvent parce qu’on a pas pu les aider, et à force de chercher et se battre, ils ont mis en place une solution et veulent aider les autres à leur tour. »

À 2,5 ans, Sveta (photo) a eu un accident de voiture avec ses parents. 45% de son corps a été brûlé et s’en est suivi 5 ans d’hospitalisation (réanimation, opération, revalidation). Depuis son enfance, elle connaît le parcours émotionnel, psychologique et physique qu’inflige la revalidation et s’emploie avec bienveillance à accompagner ceux qui doivent passer par ce chemin. C’est avec optimisme et authenticité, qu’elle nous montre une autre vision de l’accompagnement, grâce au cheval, même en temps de guerre.

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« Les gens recherchent l’émotion, le contact, sortir de cette zone de combat pour retrouver davantage de douceur »

Guide Social : Dans le contexte actuel, crois-tu que l’hippothérapie à sa place ? Et est-ce qu’il y a des demandes pour ce genre de thérapie ?

Svitlana Polenovytch : La guerre change beaucoup de repères, mais elle n’annule pas le besoin des gens d’être soutenus. Au contraire, en période difficile, ce besoin est encore plus grand. L’hippothérapie est ma profession, mon échappatoire et ma manière de faire un geste concret pour ceux qui traversent une épreuve. C’est ma petite réponse silencieuse au chaos autour de nous : faire ce que je sais faire, avec l’aide des chevaux, et voir les citoyens retrouver des forces, de l’équilibre et de l’espoir.

Il y a plus de demandes pour ce genre de thérapie en ce moment. Le cheval reflète une image de beauté. Il évoque un désir de quelque chose de paisible, grand et noble. Le seul fait d’être en contact avec lui donne la sensation de faire partie de cette belle expérience un peu magique. Les gens recherchent l’émotion, le contact, sortir de cette zone de combat pour retrouver davantage de douceur. Depuis la guerre, le public qui a besoin de soutien s’est considérablement élargi : ce ne sont plus seulement des projets inclusifs avec les enfants, mais aussi des déplacés, des militaires, leurs familles, ainsi que des épouses et des mères de disparus ou de soldats tombés au combat. Chaque histoire est différente, et chacune demande attention, compassion et ressources.

Le Guide Social : Qu’est-ce que l’hippothérapie, Qu’est-ce que les chevaux peuvent apporter ?

Svitlana Polenovytch : Moins de peur, une ouverture vers l’extérieur et revenir dans l’instant présent. Je montre aux gens comment « s’ancrer » grâce au cheval : fermer les yeux, respirer profondément, écouter le cœur du cheval, sentir sa respiration et prêter une attention consciente au monde autour et à l’intérieur de soi. Quand l’anxiété résonne en nous, il est difficile d’entendre le bruissement des feuilles ou de sentir le souffle du vent – et c’est précisément dans l’instant présent, que l’on trouve le calme et les ressources nécessaires.

Le Guide Social : Le cheval est l’intermédiaire qui permet de libérer les émotions enfouies.

Svitlana Polenovytch : Parfois c’est comme une explosion émotionnelle. À ce moment-là, l’essentiel est que je sois celle qui accueille et soutient. Pas seulement accepter mais donner l’opportunité de se libérer. Que ce soit par des cris, pleurs ou de longues étreintes au creux de l’encolure du cheval.

"J’avais tellement d’émotions en moi, je n’en avais pas conscience" : c’est ce que m’a dit une femme dont le fiancé a disparu au combat. Pendant les séances, elle arrivait à être dans l’instant présent : sentir la chaleur du cheval sous sa main, le léger bruissement des feuilles, le chant des oiseaux, l’air frais qui l’enveloppait. Ces moments simples lui donnaient la possibilité de s’éloigner un peu de sa douleur intérieure, de sa perte et de sentir que le monde autour d’elle continuait de vivre. Après les séances, elle a découvert le dessin et d’autres loisirs.

L’hippothérapie lui a donné un espace de sécurité, où vivre ses émotions et revenir doucement à la vie. En même temps, elle continue à attendre et à chercher son mari – c’est normal, certaines blessures se referment lentement. L’hippothérapie n’exclut pas la douleur qu’une personne porte mais apporte une autre perception du monde, de la situation.

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Les chevaux, acteurs de la réhabilitation des soldats ukrainiens

Le Guide Social : Au début tu nous as dit que le public qui avait besoin d’aide c’était considérablement élargi et tu as cité les militaires.

Svitlana Polenovytch : Le directeur de l’hippodrome de Kyiv, Sviatoslav Kovalenko, m’a contacté pour me demander de l’aide dans l’organisation et la mise en œuvre d’un projet destiné aux militaires. C’est un projet spécial, qui montre quel rôle peuvent jouer les chevaux dans la réhabilitation après des événements traumatiques, et comment ils aident les soldats à retrouver le contrôle de leur corps et de leurs émotions.

Le Guide Social : Ces militaires en plus d’avoir un stress post-traumatique complexe, certains sont également amputés d’une partie d’eux-mêmes sur le plan physique, est-ce que cela pose problème pour monter sur le cheval ?

Svitlana Polenovytch : D’abord ils ont un regard inquiet parce qu’ils se demandent comment ils vont faire. Dès le début, j’explique le processus, ensuite quand le patient décide d’enlever la prothèse pour se sentir plus confortable, j’installe un système de poids accroché à la selle pour avoir un équilibre.

En neuro-rééducation il y a la théorie du miroir. L’hippothérapie a un effet similaire à la théorie du miroir. Les poids qui sont installés du côté du membre amputé, sont là pour que le cerveau reçoive un signal qu’il y a une charge symétrique de la position du corps. Ce dernier recherche alors activement l’équilibre. La théorie par le miroir agit par correction visuelle, l’hippothérapie par une correction corporelle via les stimulations à travers les sens et cela renforce le système vestibulaire.

Au fur et à mesure des séances, les poids sont enlevés et le corps s’adapte pour trouver son équilibre. Cela aide le patient à se rééquilibrer par lui-même, améliore à la fois sa qualité de vie et aussi sa confiance en soi augmente. Il a enfin le sentiment de pouvoir gérer sa situation de handicap et contrôler son corps.

« Même dans les temps les plus difficiles, il y a une place pour le soin, le calme et le lien réciproque. »

Le Guide Social : Tu aides les civils et vétérans à surmonter leurs traumatismes, comment parviens-tu à gérer les tiens et ta sécurité ?

Svitlana Polenovytch : Parfois, je me tiens simplement dans l’écurie, j’enlace mon cheval, je partage une carotte ou je bois du thé en silence – et cela me redonne de la force, me rappelle pourquoi ce travail est si important. Il ne s’agit pas seulement de la thérapie des autres, mais aussi de présence, d’attention et de lien réciproque, qui aident à se reconstruire – les gens et moi-même. En tant que mère célibataire et déplacée, je ne suis pas en dehors de ces événements. Je m’inquiète et je suis épuisée parfois. Parce qu’il m’arrive de ne pas dormir pendant plusieurs nuits d’affilée, pensant à la sécurité de mon fils. Les chevaux m’aident à rester présente, à profiter des moments de calme et à garder mon équilibre intérieur.

J’apprends à vivre dans l’instant présent – être attentive aux gens avec qui je travaille tout en restant à l’écoute de moi-même. C’est un équilibre constant entre compassion et préservation de soi, et c’est justement cela qui me permet d’être efficace et sincère dans mon travail. Tout en prenant soin de moi et de mon cheval, qui est aussi mon partenaire. Parfois si il y a des bruits de fusillades, on attend que ça s’arrête puis on va travailler ou non. Chaque jour on se demande si on va travailler mais on ne va pas risquer de vie pour une thérapie.

Il faut s’adapter à la vie de la guerre… au quotidien. Quand il y a une situation de danger, je déplace la séance pour ne pas prendre de risque. Si il y a eu une explosion dans la zone, nous attendons que le silence revienne avant d’aller travailler. La vie on ne peut pas prévoir, surtout avec la guerre. Tu vis juste un seul jour à la fois. Tout peut arriver même quand on ne vit pas dans un pays en guerre. Il faut vivre un jour à la fois !

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Le Guide Social : Qu’aimerais-tu que les gens retiennent de ton histoire et le message que tu voudrais transmettre à travers notre entretien ?

Svitlana Polenovytch : J’aimerais qu’ils retiennent que, même dans les temps les plus difficiles, il y a une place pour le soin, le calme et le lien réciproque.

Les chevaux nous apprennent à écouter, à ressentir et à être dans l’instant présent, et cela peut devenir une petite mais précieuse ressource pour retrouver l’équilibre intérieur. Mon message est simple : même au milieu du chaos et des pertes, on peut créer un espace où les gens et les animaux se soutiennent mutuellement, où l’attention et le soin deviennent une force. Parfois, il suffit de s’arrêter, de remarquer l’instant, d’enlacer un cheval ou de sentir sa présence, pour ressentir que la vie continue, et que nous avons toujours la possibilité de trouver calme et joie.

Propos recueillis par Z.I.K., soignante



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