Chronique d'un psy : l'art de poser un lapin thérapeutique

Le psychologue est-il vénal ? Telle est la question épineuse à laquelle je vais tenter de répondre en partant d’une interrogation : que fait-on des rendez-vous manqués ?
Cette semaine, j’ai reçu un coup de fil impromptu : mon patient de seize heures voudrait annuler son rendez-vous. Quel est le problème me direz-vous ? Aucun, si ce n’est que notre entretien a lieu dans dix minutes. Ayant coutume de ce genre de maladresse, je lui propose un autre créneau horaire qu’il accepte plus que volontiers en s’excusant au moins dix fois pour l’ignoble lapin qu’il me pose. On aurait pu en rester là, mais cet honnête homme m’a énoncé quelque chose qui, tel un tube de Patrick Sébastien, n’arrête pas de me trotter dans la tête : « Combien je vous dois pour cette séance ? »
Je lui ai dit poliment que c’était sensible de sa part de me rémunérer pour quelque chose que je n’avais pas presté, mais que malheureusement, mon intégrité faisait que je ne pouvais décemment accepter aucune somme d’argent. « Ah, c’est bizarre, mon ancien psy, lui, il me faisait payer, il disait que c’était thérapeutique ».
Thérapeutique ? J’ai beau être ouvert d’esprit, je lui ai renvoyé d’une manière suffisamment claire que j’avais vraiment du mal à entrevoir le lien entre son mieux-être et le fait de louper son rendez-vous chez son ancien psy, sauf si on part du principe que celui-ci était vraiment mauvais… Mon adorable patient en a donc profité pour me déballer toutes les bizarreries de mon confrère, à savoir : la psychorigidité du rendez-vous une fois par semaine, toujours à la même heure, dans le même fauteuil, à ressasser la même chose.
Bref, en raccrochant mon téléphone, je n’ai pu m’empêcher de tourner en rond dans mon cabinet… Quel est le but de faire payer le patient quand il ne vient pas ? Je ne dis pas que cela ne me fait pas un pincement lorsqu’un patient annule, mais finalement, s’il ne se trouve pas en face de moi, c’est qu’il a de bonnes raisons, non ? J’entends déjà les dires de certains de mes collègues qui me hérissent fâcheusement le poil avec un argumentaire de type : « Oui, mais faut qu’ils apprennent l’importance de ces rendez-vous, c’est une manière de les discipliner ». Discipliner le patient ? N’avez-vous pas l’impression que l’on confond le cabinet du psy avec un zoo où le patient est un animal qu’il faut dresser ? Dresser pour quoi finalement ? Pour enrichir le psy ? Je vois déjà s’offusquer certains d’entre nous. L’argent ? On ne discute pas de ces choses-là, Monsieur, surtout lorsqu’on demande 70 euros pour quarante-cinq minutes…
Admettons, si on rentre dans cette logique où tout rendez-vous est dû. Je peux comprendre que chaque psychologue a sa propre manière de faire, de travailler, de vivre et donc de planifier ses rendez-vous. Je peux également entrevoir que le poids des années et la compétence font que l’on puisse augmenter ses honoraires. J’ai du mal, mais j’essaye péniblement d’envisager cette saugrenue manie de faire payer son patient quand il ne vient pas mais en contrepartie, j’exige un peu de cohérence. Par exemple, on fait quoi pour les vacances ? Quand mon confrère va se dorer la croûte trois semaines à St Barth ou va dévaler les pentes à Courchevel, peut-il juste timidement annoncer qu’il est en repos, ou doit-on pousser la rhétorique à fond et lui demander de rembourser son patient pour le rendez-vous manqué ? Absurde, dira-t-on. Oui, tout autant que de payer votre boucher pour la viande que vous n’avez pas eue ou d’exiger une rétribution parce que votre patient préfère investir sa vie plutôt que votre salle d’attente.
En conclusion, cette semaine, je me pose la question du sens que l’on met derrière le mot thérapeutique. Je ne suis pas contre le principe de la thérapie du portefeuille, pour autant que cela soit annoncé clairement et que les deux parties soient consentantes. Néanmoins, je renverrais aux psychologues concernés que pour ma part, on n’est riche que du temps que l’on s’accorde et que ma consultation est suffisamment pleine pour que je puisse, non sans un léger pincement de culpabilité, pousser un soupir de soulagement lorsqu’un patient annule en dernière minute. En effet, cela me laisse le temps de penser, vivre, rigoler et d’éventuellement écrire ma chronique…
T. Persons
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