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Pénurie de travailleurs dans la petite enfance : quelles causes et solutions ?

01/03/23
Pénurie de travailleurs dans la petite enfance : quelles causes et solutions ?

En Belgique francophone, la pénurie de travailleurs dans le secteur de la petite enfance est toujours d’actualité. Mais à quel point et quelles en sont les causes ? Tour d’horizon avec des acteurs et actrices du secteur.

En ce moment, le milieu de la petite enfance est en ébullition. Par volonté politique, le plan cigogne se veut être le moyen d’augmenter de 5.200 le nombre de places subventionnées en crèche. Dans le même temps, les crèches, puéricultrices et les accueillantes d’enfants tirent la sonnette d’alarme.

Pour Delphine Binnet, directrice de crèche, le plan cigogne ne va que rattraper les places perdues : « Je crois que l’ONE ne s’est pas rendue compte que la réforme des milieux d’accueil allait radicalement changer le secteur de la petite enfance. Beaucoup de lieux ont dû fermer suite à cette réforme. »

Selon Sylvie Anzalone, porte-parole à l’ONE, la situation à Bruxelles et en région wallonne est différente. « Selon Actiris, il y a une pénurie à Bruxelles, mais c’est le cas depuis de nombreuses années. Concernant la région wallonne, le Forem n’annonce pas de pénuries. Mais de là à dire qu’il n’y a pas de soucis, c’est un peu simpliste », relativise-t-elle avant d’expliquer : « Le Forem n’enregistre pas trop de propositions d’emploi. Cependant, la raison n’est pas par manque de place, mais bien parce que les employeurs et employeuses n’envoient pas nécessairement d’annonces au Forem. » D’après Sylvie Anzalone, l’absence de pénurie de travailleurs.euses en Wallonie s’explique donc par un bon ratio entre demandeurs.euses d’emplois et de propositions d’emploi.

Mais qu’en pensent les principaux concernés ? Comment sont appréhendées ces déclarations sur le terrain ? Nous sommes allés poser la question à une accueillante d’enfants et à une directrice de crèche pour récolter leur vision de la situation.

Quelle est la situation pour les acceuillant.es ?

Depuis plusieurs années, il y a un travail conséquent de stabilisation du métier d’acceuillant.e, à travers une meilleure reconnaissance du statut. Pour rappel, le statut des accueillants conventionnés leur permet de bénéficier d’une situation administrative proche de celle d’un.e salarié.e, à l’exception des congés payés et du statut de chômeur.euse en fin d’activité (sauf exception).

 Lire aussi : Quelle retraite pour le métier d’accueillante d’enfants ?

Gaëtane Schuÿteneer, accueillante d’enfant témoigne de sa situation : « L’amélioration du statut d’accueillante m’a amené une plus grande sécurité professionnelle et une plus grande reconnaissance de mon métier. C’est confortable après avoir vécu 8 ans dans l’insécurité. Je trouve que c’est un bon argument pour faire ce beau boulot », pointe-t-elle.

Les chiffres, eux, se veulent optimistes. Selon le dernier rapport d’activité de l’ONE de l’année 2020 (l’ONE communique les résultats deux ans après ladite année), le nombre d’acceuillant.es a augmenté (+110 places) et il y a eu moins d’enfants inscrits que les années précédentes (12.000). De ce fait, le taux nombre de postes/nombres de places d’enfants disponibles se rejoignent pour atteindre un équilibre. Il faut toutefois faire attention à ces statistiques, dû au passage de la Covid-19.

Et pour les puéricultrices en crèche ?

Si les accueillantes semblent de manière générale satisfaites, du côté des puéricultrices, le ton semble être plus grave concernant la pénurie de personnel.

Pour Delphine Binnet, directrice de crèche non subventionnée, les causes de la pénurie de puéricultrices sont diverses : « C’est un tout. Au niveau des salaires, les puéricultrices ont un salaire correct. Mais c’est un métier assez pénible, très soutenu, intense alors qu’il nous est demandé de recruter des puéricultrices de 55 ans et plus. Il y a aussi un manque de reconnaissance des pouvoirs publics et notamment de l’ONE. » Pour la directrice, les puéricultrices sont laissées de côté : « Il y a beaucoup de maladresses de la part de l’ONE par rapport aux possibilités d’engagement dans la petite enfance », dénonce-t-elle.

Elle revient sur la problématique du recrutement de personnes en fin de carrière : « C’est un métier très demandeur, que ce soit physiquement et psychologiquement. Il leur faudrait un statut de régime spécial ou allégé si nous voulons qu’elles puissent continuer dans de bonnes conditions  », juge Delphine Binnet.

« Je ne sais pas comment je me vois dans 15 ans à ce rythme-là », confesse, pour sa part, l’accueillante Gaëtane Schuÿteneer

Réforme MILAC pointée du doigt

Selon la directrice de crèche, la réforme MILAC a énormément changé le secteur de la petite enfance et pas qu’en bien : « Il y a beaucoup de professionnelles qui ont quitté le milieu, dégoutées, car après des années de métier, on leur a annoncé que leur diplôme n’était pas valable. »

Et cette situation a aussi créé un trou dans les formations : « On a changé les diplômes pour travailler en crèche. En contrepartie des formations allaient être mises en place. Cependant, elles ne le sont toujours pas après deux ans. » Elle explique concrètement les répercussions de ce vide d’apprentissage : « Par exemple, une personne de 30 ans qui aimerait travailler dans le secteur de la petite enfance pourra faire une formation en accueillante, mais pas en direction de crèche. »

  Lire aussi : Tout savoir sur la réforme de l’accueil de la petite enfance

La communication, nœud du problème ?

Que ce soit en milieu d’accueil collectif ou individuel, pour la porte-parole de l’ONE, le souci est avant tout de mieux communiquer sur ce secteur, de le valoriser davantage et d’informer sur les formations.

Pour l’accueillante d’enfants, Gaëytanne Schuÿteneer, le constat est le même : «  À mon avis, la population n’est pas toujours au courant ou rassuré sur le statut, car avant cette régularisation du métier d’acceuillant.e, la situation était très précaire. Et c’est vrai que c’est un grand engagement, il existe beaucoup de contraintes. C’est un manque de ’publicité’ en quelque sorte. »

Pour la directrice Delphine Binnet, le constat est plus amer : « J’ai dû refuser de nombreuses candidatures car ils n’avaient pas le diplôme requis et les candidat.e.s ne le savaient même pas. »

La revalorisation salariale, éléphant au milieu de la pièce, ou faux problème ?

Pour Sylvie Anzalone, porte-parole de l’ONE, il faut effectivement un meilleur revenu, car c’est aussi une revendication du secteur Non-Marchand, même si ce n’est pas le souci principal. «  Dans le cas des milieux d’accueil collectifs, les salarié.es sont à 38h par semaine, chez les acceuillant.es, on est à 50 heures par semaine, mais c’est contrebalancé par le fait qu’on est chez soi. Cela amène d’autres avantages, même si cela demande beaucoup d’organisation  ». Il y a donc aussi une réalité du métier, soulignée par Gaëtane Schuÿteneer : « Tous les métiers ont leurs avantages et désavantages. Ce qui me dérange le plus, c’est le manque de temps pour ma famille et mes amis.  »

À souligner tout de même que le salaire moyen pour une accueillante salariée est de 2.254€ brut en début de carrière, alors que le salaire médian belge est de 3.321€ à Bruxelles, et de 2.985€ en Wallonie. Pour les accueillantes indépendantes, le revenu moyen serait entre 1.400€ à 2.065€.

Mateo Rodriguez Ricagni



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