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Répercussions de la crise sanitaire sur le secteur du handicap : que retenir du rapport de l’ARAPH ?

11/07/23
Répercussions de la crise sanitaire sur le secteur du handicap : que retenir du rapport de l'ARAPH ?

Invisibilisation, perte ou gain d’autonomie, sentiment d’impuissance… Le rapport de l’Association de Recherche et d’Action en faveur des Personnes Handicapées (ARAPH) donne une voix à un secteur qui souffre encore aujourd’hui des effets d’une violence systémique ancrée.

Un rapport attendu par le secteur

Le 12 mars 2020, le gouvernement annonçait la mise en place d’une série de mesures visant à lutter contre la propagation de la COVID 19. S’ensuivraient près de deux années de restrictions diverses, appliquées à l’ensemble de la société. Parmi les secteurs sociaux touchés, celui du handicap.

Quels effets les mesures prises ont-elles eu sur les personnes atteintes d’un handicap, leur famille et les professionnels du secteur ? Plus de deux ans après, qu’en reste-il et quels enseignements peut-on tirer de cette période ?

C’est à ces questions que tente de répondre le “Rapport des répercussions de la crise sanitaire sur le secteur du handicap”, édité par l’ARAPH et réalisé dans le cadre de l’appel à projet initié par le dispositif des Stratégies concertées Covid. Mené auprès de 124 personnes, il s’est particulièrement intéressé au vécu des personnes atteintes d’une déficience mentale légère, souvent peu représentées dans les études ultérieures, ainsi que de leur entourage.

Une uniformisation des mesures qui engendre un sentiment d’invisibilisation

En début de crise, et afin "d’alléger le travail des professionnels de la santé qui pourront ainsi se concentrer sur les personnes les plus fragiles"(1), les mesures sanitaires sont appliquées uniformément à l’ensemble des citoyens. Dans les circulaires envoyées aux institutions, un amalgame semble fait entre le secteur du handicap et celui des personnes âgées.

Pourtant, il s’agit de publics aux besoins bien différents ; ce manque de prise en compte des spécificités de l’individu atteint d’un handicap dans l’application des mesures est durement ressenti.

"Une institution, dont une partie des résidents est jeune et dynamique, ne devrait pas avoir les mêmes règles qu’une maison de repos dont la moyenne d’âge est d’au moins 70 ans" - Sabrina, maman d’une personne atteinte d’un handicap. (2)

Le sentiment d’invisibilisation mis en avant par le rapport est d’autant plus fort que le secteur du handicap est déjà, en temps normal, peu représenté politiquement et médiatiquement.

Un décalage d’autant plus fort

L’exclusion des personnes atteintes d’un handicap est un fait sociétal reconnu. La crise du COVID et les mesures engendrées, ainsi que ses effets sur l’évolution des habitudes, a engendré de nouveaux décalages.

Transition et fracture numérique

La généralisation du numérique au sein des habitudes de consommation et de communication a souvent rendu plus difficile l’accès des personnes handicapées à différents services. Des téléconsultations en médecine, par exemple, sont plus difficiles à gérer pour ce public ayant des difficultés à s’exprimer et à reconnaître ses symptômes et pour lequel les aspects émotionnels de l’échange humain sont essentiels.

Devenus des facteurs d’inclusion sociétale incontournables, les outils numériques, s’ils sont peu ou pas maîtrisés, deviennent une source d’exclusion pour qui manque de moyens financiers, ou des facultés intellectuelles et physiques nécessaires pour les maîtriser. Vidéoconférences, paiements sans contact, formulaires en ligne devenus incontournables pour accéder à différents services bancaires, sociaux, de santé… Autant d’éléments parfois très difficiles à appréhender pour ces publics et qui leur sont pourtant particulièrement essentiels.

Socialisation limitée

Comme le reste de la société belge, les personnes atteintes d’un handicap ont fait face aux effets du confinement et d’une restriction ferme des contacts sociaux. Conséquences, pour ce public déjà fragilisé et ayant un besoin accru de socialisation : un impact négatif sur la santé mentale, et des choix qu’on n’imagine pas imposer en temps normal.

Rester en institution et ne plus voir sa famille, parfois pendant plus d’un an ? Au contraire, revenir en famille, mais perdre les bénéfices d’une structure de soutien souvent indispensables à l’équilibre de la personne…

Certains résidents ont dû faire ces choix et parfois, en subir les conséquences sur la santé mentale, avec une augmentation des niveaux d’anxiété et de stress. De plus, certains résidents de longue durée connaissaient déjà une forme de solitude avant le confinement - un ressenti d’autant plus intense lors de cette période d’isolement prolongé.

"Franchement, nos résidents ne sont pas les mêmes qu’avant la COVID-19. Il y en a plein qui ont perdu de leur dynamisme comme ça, comme s’ils étaient restés dans une espèce de dépression" - Simon, éducateur. (3)

Les familles et aidants proches ont ainsi également vu leur quotidien modifié et ceci, sans aide supplémentaire. Pour les familles devant reprendre l’entièreté de la charge d’une personne auparavant résidente en institution, l’épuisement est souvent rapporté. D’autres ont au contraire dû accepter la distanciation et l’absence d’un membre de la famille, alors confiné pendant de longs mois en institution.

Enfin, qu’il s’agisse des personnes résidant en institution ou en famille, toutes ont dû faire face à un manque d’accessibilité aux soins ; plus de visites de kinésithérapeutes par exemple, dont le suivi régulier est pourtant primordial pour éviter la régression des fonctions motrices, parfois irréversible.

L’exclusion politique

Dès les premières application des "mesures COVID", qui assimilaient parfois les publics atteints de handicap à des personnes âgées, niant ainsi leurs besoins spécifiques, l’aveuglement du politique pour le secteur peut être constaté.

De plus, la mise en application des directives est laissée au soin des directions de chaque centre, faisant peser sur celles-ci la responsabilité d’ouvrir les portes ou de les laisser fermées. Une gestion "au cas par cas" qui a mené, dans certains centres, à une durée de confinement prolongée, des contacts sociaux diminués ou rendus difficiles à cause du port de masques obligatoires, de restrictions du nombre de visites… Alors que le reste de la société recommençait à vivre.

Encore aujourd’hui, l’impact de la COVID-19 se fait ressentir sur le secteur.

Le ressenti des professionnels

Si le vécu des professionnels est particulièrement mis en exergue dans ce rapport, c’est parce qu’ils ont eux aussi reçu de plein fouet les prises de décision horizontales et parfois unilatérales du gouvernement et des directions. Non seulement ils ont dû gérer l’anxiété de transmettre le virus à leurs proches, mais ils ont aussi dû faire face à une pression au travail plus importante, ainsi qu’à un sentiment de perte de sens professionnel. L’aspect "soin" et "ménage" a souvent pris le pas sur la fonction sociale et éducative du métier. La relation de proximité avec les résidents et bénéficiaires a ainsi été mise à rude épreuve. Épuisement, sentiment d’abandon et peur de mal faire sont presque toujours rapportés.

L’exclusion médiatique

Si la crise de la COVID 19 a autant marqué nos sociétés, c’est en partie parce qu’elle a mis en lumière les manques criants de prise en considération des secteurs du social, notamment de la santé. Tandis que les médias s’intéressaient au sort des personnes valides, des professionnels, des patients, les personnes atteintes d’un handicap, leurs proches et leurs soignants, pourtant eux aussi durement touchés par les restrictions, ont rarement été approchés par des journalistes.

Ce manque de visibilité a mis en exergue ce sentiment de "ne pas compter", déjà ressenti par ces publics.

Le handicap : un "impensé" sociétal ?

Lors de la crise de la COVID-19, des décisions majeures ont été prises et appliquées à l’ensemble des citoyens. Le rapport de l’ARAPH souligne toutefois que le secteur du handicap n’a, semble-t-il, pas été pris en compte dans ces mesures. Qu’il s’agisse des personnes atteintes d’un handicap, de leur famille ou des professionnels qui les entourent, tous rapportent ce sentiment d’être invisibilisés, de se sentir "citoyens de seconde zone".

Un constat qui était déjà révélé par une étude de 2020 réalisée par Altéo, qui dénotait une impression générale, de la part de ces publics, d’être les "oubliés" de la crise sanitaire. Mais aussi un besoin d’être entendus.

Ce public est déjà, en temps normal, peu représenté dans les décisions politiques globales et il reste un long chemin à faire pour lui donner plus de visibilité, de poids, comme le soulignent divers rapports nationaux et européens. (4)

La crise n’a fait que renforcer un sentiment d’exclusion déjà présent. Notons également l’impact psychologique, particulièrement marquant pour ces publics. Sentiment de perte de sens, effets de l’isolement et rupture familiale ; autant de situations fortement ressenties par des personnes évoluant déjà, avant la crise, au sein d’un tissu social parfois fragile et ayant grand besoin d’un environnement émotionnellement rassurant et structurant.

Vous souhaitez en savoir plus sur le contenu du rapport ? Téléchargez-le sur le site de l’ARAPH en cliquant ici.

Savoir plus :

(1) Citation issue de la communication fédérale du 10 mars 2020. Site Internet : https://www.info-coronavirus.be/fr/news/archive/protegez-vous-et-protegez-les-autres/
(2) Rapport des répercussions de la crise sanitaire dans le secteur du handicap, p.18.
(3) Rapport des répercussions de la crise sanitaire dans le secteur du handicap, p.19.
(4) Rapport des répercussions de la crise sanitaire dans le secteur du handicap : (rapport parallèle d’Unia, 202170 ; rapport Vers l’égalité des droits pour les personnes handicapées, 202271 )p.50.




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