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Immersion dans les familles défaillantes : « Le but de Ricochet ? Eviter le placement ! »

08/05/23
Immersion dans les familles défaillantes : « Le but de Ricochet ? Eviter le placement ! »

Le Guide Social est parti à la rencontre de deux membres de l’équipe du Ricochet, qui chaque jour réalise des missions d’accompagnement intensif dans l’Aide à la jeunesse. Leurs interventions sont régies par mandats du Service de l’Aide à Jeunesse (SAJ) ou du tribunal de la jeunesse. Pendant minimum trois mois, les professionnels de l’ASBL sont immergés au cœur de familles désignées comme insuffisantes dans leur garantie de la sécurité et du bien-être de leurs enfants. La directrice pédagogique du Ricochet, Katia Charlot, et l’intervenante familiale, Stéphanie Vanhoutte , nous racontent leur quotidien au sein du seul service de ce type existant à Bruxelles.

Le printemps peine à s’installer en ce mois d’avril 2023. Cependant, la dépression hivernale qui se prolonge ne semble pas avoir atteint les bureaux du service ambulatoire intensif du Ricochet. Nous sommes reçus par le grand sourire de la directrice pédagogique, Katia Charlot, et de l’intervenante familiale, Stéphanie Vanhoutte. Durant notre échange sous la véranda donnant accès au jardin, où un rosier aux fleurs vives contraste avec le ciel gris et pluvieux, nous sommes entrés dans le quotidien de l’équipe du Ricochet. Ses missions ? Prendre garde au bien-être et à la mise en place des meilleures conditions de développement des enfants soupçonnés d’être victimes de mauvais traitements.

Le Guide Social : Votre service est unique à Bruxelles et accompagne seize familles. A quels besoins répond la création du Ricochet ?

Katai Charlot : En 2009, a été défini le besoin de fournir une prise en charge propre à l’Aide à la jeunesse pour des enfants en situation de négligence ou de maltraitance et nous avons obtenu l’appel à projets. Au bout de trois ans d’exercice, une évaluation a été menée et il a été décidé d’agréer les services de mission intensive. Nous travaillons avec des enfants entre zéro et six ans, sous mandat, pour une durée de trois mois renouvelable une fois.

L’objectif est d’identifier une possible mobilisation de la famille autour du bien-être de l’enfant à travers une mise en action des parents. On cherche à mettre en place les réponses les plus adéquates aux problématiques d’organisation du quotidien ou de manière de faire avec l’enfant et ainsi éviter le placement. Les réflexions sont menées en fonction de l’urgence de la situation afin qu’elles conviennent à l’enfant.

Cinq heures par semaine au cœur des foyers

Le Guide Social : Pourquoi votre mission est-elle qualifiée d’intensive ?

Katia Charlot : Du fait du nombre d’heures durant lesquelles nous intervenons en familles. Pendant trois mois, nous faisons cinq heures par semaine, à raison de trois rendez-vous à domicile. Nous avons pris la décision de travailler en binôme autour de chaque situation pour permettre une meilleure réflexion autour du cas de la famille et de l’enfant.

Notre intervention s’ancre dans une compréhension de la réalité et des besoins des individus afin d’avoir une vision globale de la dynamique familiale. Ainsi, il peut arriver que nous rencontrions les parents seuls à propos de différentes thématiques comme les relations conjugales.

Cependant, la majorité de nos actions se déroule dans le cadre de l’accompagnement du quotidien. On questionne les parents sur leurs réactions/comportements dans telle ou telle situation et on amène nos idées pour les outiller sur ce qui est nécessaire à un enfant pour bien grandir. On décode les pleurs, on élabore un rituel du coucher...

Il y a plein de manières de faire avec un enfant, diverses voies sont possibles, alors il faut aussi tenir compte de la culture du parent, de ses valeurs et croyances.

Stephanie Vanhoutte : Dans le cas de familles qui ne parlent pas français, on peut faire appel à des interprètes. Cela retire de la spontanéité mais cela permet d’effectuer notre intervention et de comprendre certains comportements qui sont liés à la culture.

Katia Charlot : Pour appréhender la dynamique familiale, on utilise beaucoup le jeu. C’est vraiment intéressant pour rencontrer l’enfant et pour observer comment il réagit face au jeu. Cela donne beaucoup d’informations sur les stades de son développement et ses compétences. Quand il est utilisé avec les parents, on voit émerger les styles de parentalité. Sont-ils soutenant ? Sont-ils exigeants ou laissent-ils faire ? Avec les plus grands, on va s’appuyer sur le jeu pour travailler à poser des limites et dédramatiser le fait de dire non. On fait souvent le constat qu’ il y a peu de jeux dans les domiciles où l’on intervient.

Le Guide Social : Pour quelles raisons ?

Katia Charlot : Pour des raisons souvent matérielles. La grosse majorité des familles auprès desquelles on intervient se trouvent dans des situations administratives et financières compliquées. Cela crée un tel stress chez les parents et une telle inquiétude qu’ils n’ont pas toujours la disponibilité pour jouer.

 Lire aussi : Aide à la jeunesse : la formation continue est-elle suffisante pour les professionnels ?

"Certains ont un parcours de vie extrêmement compliqué, fait de ruptures"

Le Guide Social : Quelles sont les thématiques sur lesquelles vous intervenez le plus auprès des familles ?

Katia Charlot : Nous intervenons dans plein de moments clés. Pour une maman qui est en difficulté avec le portage de son bébé, on va lui montrer comme le porter de manière plus adéquate, plus sécurisante. Pour le change aussi ou la prise du bain. Nous sommes très attentives à tous ces éléments car ils correspondent aux besoins et à la structure de la journée des tout petits. Nous faisons en sorte que les choses soient organisées à la convenance de l’enfant mais aussi des adultes.
Nous travaillons également la question des émotions afin de comprendre les comportements ou absences de comportements des parents face à la tristesse, à la colère ou même à la peur.

Le Guide Social : Vous intervenez donc à des moments différents de la journée…

Katia Charlot : Oui, nous travaillons en fonction du mandat que nous recevons, mais aussi selon les difficultés des parents. Pour le moment du coucher, nous sommes présentes à la sieste par exemple. Nous avons déjà essayer le soir mais c’était la vraie foire (Rires). Nous laissons les parents expérimenter et nous en reparlons avec eux au prochain rendez-vous.

Le Guide Social : Les éléments sur lesquels vous accompagnez les parents relèvent de connaissances et compétences que l’entourage familial ou amical peut transmettre. Le profil des parents que vous accompagnez sont isolés, sans proches sur lesquels prendre appui ?

Katia Charlot : Certains ont un parcours de vie extrêmement compliqué, fait de ruptures et s’ils ont des ressources, ils ne peuvent pas toujours s’appuyer dessus en toute confiance. Nous rencontrons des parents abîmés dans leur estime d’eux-mêmes. Ainsi, on cherche à ce qu’ils se sentent mieux car, nous sommes persuadées qu’un parent qui va bien est davantage outillé pour soutenir son enfant. Pour renforcer cela, notre action rayonne au-delà du noyau familial.

Nous pouvons contribuer à la recherche d’une place à la crèche ou nous apportons notre soutien dans des démarches administratives auprès du CPAS. Cependant, tout ce pan administratif ne doit pas empiéter sur le travail autour du développement, des besoins de l’enfant et de la parentalité. Ainsi, en fonction, nous proposons la mise en place d’un réseau d’acteurs soutenant et nécessaire au bien-être de l’enfant qui perdurera après notre mission. Ceci permet également à la famille de s’ouvrir sur l’extérieur.

"Après notre intervention peu d’enfants sont séparés de leurs parents"

Le Guide Social : L’accompagnement est donc intensif de par les trois interventions hebdomadaires, mais aussi par le nombre de missions que vous remplissez. On voit qu’il y a de l’éducatif, du psychologique, du social et de l’administratif. Vous mettez énormément de compétences en œuvre.

Katia Charlot : Notre accompagnement est principalement éducatif. Il est très concret. Il y a bien sûr un temps d’élaboration mais notre porte d’entrée auprès de la famille, c’est le concret. Si on arrive au domicile et que les parents sont en train de préparer à manger, on va aller peler les pommes de terre ensemble et échanger, tout en faisant attention au bébé. Ce sont des occasions d’aborder leur manière de gérer le temps.

Le Guide Social : Comment se passe la transition vers la fin de votre intervention ?

Katia Charlot : C’est un temps qui est préparé. La réglementation de la mission intensive stipule que l’on peut diminuer le nombre de rendez-vous sur les dernières semaines. Nous abordons avec les parents ce qui leur paraît encore compliqué demandant un soutien prolongé. Mais les familles sont soulagées de nous voir partir. C’est lourd de devoir réserver trois temps dans sa semaine mais surtout, notre présence rappelle qu’une inquiétude a été posée par mandat. Nous ne jouons pas avec l’argument du placement lors de notre intervention mais les parents l’aborde et partagent leurs inquiétudes.

A la fin de notre suivi, nous rendons nos observations et un avis sur la manière dont s’est déroulé le travail au SAJ ou au juge de la jeunesse qui sert à une réflexion du meilleur outil pour soutenir l’enfant dans son évolution. Après notre intervention peu d’enfants sont séparés de leurs parents. Par contre, il y a des situations de grosses négligences ou de maltraitances auxquelles on ne peut pas remédier en trois mois, même en six mois, bien que notre intervention soit intensive. Alors, une autre équipe va intervenir.

"Il y a une charge psychique et émotionnelle très importante mais aussi administrative"

Le Guide Social : Pourriez-vous nous décrire une journée type ?

Stéphanie Vanhoutte : C’est intense ! (rires) Le rythme est très soutenu avec trois voire quatre rendez-vous dans la même journée. Nous partons avec notre sac à dos rempli du matériel d’intervention et passons d’une famille avec une problématique de violence conjugale à une maman qui vit seule en grande difficulté face au fait de poser des limites à son enfant. Émotionnellement c’est parfois compliqué car on est confronté à des petits qui n’ont pas de réponses à leurs besoins, qui sont parfois en danger, il est alors difficile de les quitter. Les conflits conjugaux font aussi que l’on s’inquiète pour la maman.

Katia Charlot : Il y a une charge psychique et émotionnelle très importante mais aussi administrative. On doit rédiger un rapport mensuel par enfant, par mois. Malgré la charge qu’ils représentent, c’est un moment de prise de recul sur la situation que nous sommes en train de suivre. Le fait de travailler en binôme et les réunions d’équipes aident également à savoir si la situation est toujours acceptable ou si l’on doit activer l’urgence, si l’on prend bien en compte l’ensemble des sphères de développement de l’enfant.

Stéphanie Vanhoutte : Les temps de réunions d’équipe sont des temps de remise en question très importants mais il y a aussi les temps informels qui permettent de raconter une première fois notre histoire. En mettant des mots, on arrive à décoder ce qu’il s’est passé.

Le Guide Social : Avez-vous des grilles de critères qui définissent les limites à ne pas franchir ?

Katia Charlot : Nous sommes en train de les retravailler en équipe. Elles nous permettent de prendre ce fameux recul car il est difficile de rester objective tout au long, même si on ne l’est jamais totalement. Notre fil rouge c’est la notion de danger pour l’enfant sur des faits et non des ressentis qui peuvent se révéler injustes. Par exemple, on est inquiète autour de l’alimentation, soit en terme de quantité, soit en termes d’apports. On propose alors aux parents de consulter un médecin pour obtenir un regard objectif sur le niveau de santé de l’enfant. A partir du moment où l’inquiétude est levée, on travaille autre chose avec la famille. Pour la majorité de nos inquiétudes ou des faits non-adaptés que l’on observe, nous les nommons aux parents et agissons instantanément. Il faut être patient, car du temps est nécessaire pour expérimenter et intégrer un changement.

On dit qu’à Ricochet, nous travaillons les bases, les choses essentielles. On ne cherche pas à faire des jolies feuilles ou des fleurs de couleurs. Cette phase, c’est pour les autres services . Nous, on prépare le terreau.

 Lire aussi : Aide à la jeunesse : la ministre Glatigny s’attaque au manque de places

"Il y a encore des retombées de la pandémie, en plus de l’accumulation des crises qui touche de plein fouet les familles fragilisées"

Le Guide Social : Vous bénéficiez d’une aide exceptionnelle post-COVID vous permettant de réaliser quatre suivis supplémentaire, passant de douze à seize. Elle prendra fin au mois d’août. Comment réagissez-vous ?

Katia Charlot : Il y a un nouvel appel à projets lancé par la ministre Glatigny de manière à renforcer les services de l’aide à la jeunesse. Il est possible que de nouvelles prises en charge s’ouvrent par ce biais, à Bruxelles. Il serait incompréhensible que nous perdions les quatre prises en charges supplémentaires que nous avons depuis un an. Il y a encore des retombées de la pandémie, en plus de l’accumulation des crises qui touche de plein fouet les familles fragilisées. On voit bien, dans l’Aide à la jeunesse, l’augmentation du nombre d’enfants qui ont besoin d’une prise en charge.

Le Guide Social : Pour conclure, pourriez-vous nous partager ce que vous aimez dans votre métier ?

Stéphanie Vanhoutte : Intervenante familiale est mon premier métier et c’est un vrai coup de cœur. Je ne pensais pas pouvoir faire ce métier avec une formation d’éducatrice car je trouve qu’il y a un manque d’informations concernant les services de la petite enfance. Je suis passionnée par le bien-être de l’enfant et je considère que les enfants ont le droit d’être accompagnés et leurs parents aidés à mieux s’occuper d’eux.

Katia Charlot : Je suis d’accord avec Stéphanie. La petite enfance est un moment crucial dans le développement de l’humain. J’ajouterais que je continue à aimer mon métier après plus de dix ans grâce aux rencontres et à la richesse des nouvelles études dans notre domaine qui font que j’apprends toujours. Je ne fais quasiment plus de suivi depuis deux ans, et mon nouveau focus concerne les besoins de l’équipe afin que le travail se passe au mieux autant pour mes collègues que pour les familles et cela me passionne. Le travail d’équipe est une vraie richesse.

A. Teyssandier



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