Il va falloir se battre : journal d'une leucémie
Nathan, 24 ans, est en rémission depuis deux ans. Sur son blog, le jeune homme raconte son quotidien avec la maladie : les traitements, les séjours à l’hôpital, les émotions en vrac, les réflexions sur la vie…
Tout a commencé par une intense douleur au genou au mois de mars 2017, c’était d’autant plus alarmant que cette douleur était déjà survenue en début d’année, alors je me suis enfin décidé à ne plus laisser traîner et j’ai consulté. Au début, j’ai essayé la médecine traditionnelle chinoise, mais force est de constater que ce n’était pas adapté à la gravité de la situation dont j’ignorais tout à ce moment-là, on ne traite pas une leucémie avec des aiguilles dans le genou. Suite à cette première tentative, je suis allé dans un hôpital de médecine moderne et, après une radiographie qui n’a rien donné de significatif, le docteur a eu l’intelligence d’ordonner une prise de sang. Il avait l’air assez alarmé quand les résultats sont sortis, mais comme il parlait avec un très fort accent sichuanais, je ne comprenais pas un mot sur trois. Alors il a fait venir une de mes profs du premier semestre, Écho, pour qu’elle m’explique plus clairement ce qui se passait. Apparemment, il s’agissait d’une sale infection doublée d’une anémie, d’où le nombre de globules blancs étonnamment haut et le nombre de globules rouges extrêmement bas, ce qui expliquait la fatigue en plus de la douleur. Elle m’a conseillé de changer d’hôpital, les petits établissements comme celui-ci ont la fâcheuse tendance à se faire de l’argent sur le dos des clients en leur prescrivant des traitements chers et peu adaptés, ils fonctionnent comme des entreprises, rien à voir avec notre service de santé publique français tant décrié et pourtant ô combien efficace quand on en a besoin.
Quelques examens plus tard, la situation s’est aggravée, en quelques jours seulement mon anémie avait empiré. Je me sentais de plus en plus faible et fatigué, sans savoir pourquoi. J’ai alors demandé au médecin ce qu’il pensait de tout ça, il m’a dit qu’il redoutait une “白血病” (bai xue bing). Après avoir cherché dans mon dictionnaire chinois, j’ai compris qu’il s’agissait littéralement de la maladie du sang blanc, autrement appelée leucémie. C’est là que j’ai commencé à entreprendre l’ampleur potentielle de la merde dans laquelle je me trouvais. Il voulait qu’on me fasse faire un myélogramme, seul examen qui permette de poser le diagnostic de leucémie avec certitude. J’avais jamais entendu parler de leur machin-gramme, c’est quoi ce truc ? En fait, il s’agit d’un prélèvement de moelle osseuse, c’est à ce niveau-là que ça déconne. Un autre de mes profs, Benny, m’a conseillé de faire cet examen dans l’hôpital public où travaillait sa femme et qui, selon ses dires, serait le deuxième meilleur de Chine.
Deux jours plus tard, le diagnostic est tombé, il s’agissait bien d’une leucémie. Le médecin de l’autre hôpital avait malheureusement vu juste, ce n’était pas un charlatan qui essayait de me refourguer des traitements hors de prix comme je me l’étais imaginé. Mais c’est quoi la leucémie ? Je n’en savais foutrement rien si ce n’est que c’est un cancer du sang. Sur le coup, je n’ai pas vraiment réalisé que j’étais gravement malade, ce n’est plus tard qu’en envoyant un message à ma mère pour l’informer de la situation que j’ai compris. Je me souviens de ce moment avec beaucoup de clarté, je sortais du métro avec mes amis chinois, on avait prévu d’aller manger au restaurant pour me changer les idées quand j’ai entendu cette voix si familière m’annoncer par message vocal qu’elle était sincèrement désolée d’apprendre la nouvelle. Et là, là j’ai compris. Peut-être était-ce la profondeur dans sa voix ou bien la solennité de son ton, toujours est-il qu’en me dirigeant vers la sortie du métro, j’ai fondu en larmes. J’ai compris que j’avais un cancer à l’aube de mes 22 ans. Au choc de la nouvelle s’est ajoutée l’émotion suscitée par la distance, ça faisait depuis septembre que j’étais en Chine, six mois que je n’avais pas vu ma maman chérie. Je me suis assis sur un banc pour écouler mon stock de larmes et avaler la pilule, mes amis essayaient de me consoler tant bien que mal. Ils se montraient compatissants, mais pourront-ils seulement jamais comprendre dans quel état je me trouvais à ce moment-là ? J’ai réalisé que parfois, il valait mieux ne rien dire, une présence, un simple geste, ne serait-ce qu’une main dans le dos si ce n’est sur l’épaule, font plus de bien qu’un long monologue plein de maladresses. Rien ne peut calmer la douleur dans ces moments-là, y’a juste à encaisser et attendre que ça passe.
Quelques jours plus tard, on a commencé à organiser mon rapatriement avec les assurances. Comme c’est une maladie qui évolue vite, il fallait entamer le traitement le plus tôt possible. Mais voilà, pour rentrer en France il faudrait déjà que je sois rapatriable. Mon anémie était de plus en plus sévère, mon taux d’hémoglobine était descendu à 6,4 grammes par décilitre de sang en l’espace de quelques jours, ce qui est deux fois inférieur à la moyenne basse. Le moindre effort m’était incroyablement coûteux en énergie, mes lèvres étaient devenues transparentes, mon teint fantomatique, j’avais l’impression qu’il n’y avait plus une seule goutte de sang dans mon corps. Du sang, du sang, j’ai besoin de sang, donnez-moi du sang frais ! On m’a hospitalisé en attendant que je prenne l’avion, c’est là que j’ai commencé une pré-phase du traitement : les corticoïdes.
Mes derniers jours en Chine n’ont pas été aussi tristes qu’on pourrait l’imaginer, j’étais très bien entouré par mes amis qui m’ont apporté bien du réconfort à base de pizzas et de ferreros rochers, c’était d’autant plus généreux que ces gourmandises coûtent une petite fortune là-bas.
Puis le temps est finalement venu de prendre l’avion et de dire adieu à la Chine. Au fond de moi, je savais que je n’avais aucune envie de rentrer en France, je savais que le traitement allait être dur et j’avais peur de ce qu’allait devenir ma vie. Mais j’avais le couteau sous la gorge, à la vitesse où évoluait la maladie, il ne m’aurait peut-être resté que quelques mois avant que mon système immunitaire ne soit complètement oblitéré par la leucémie. Dans l’avion, j’étais escorté par un médecin chinois, nous avons fait le voyage en business classe, maigre réconfort, mais réconfort quand même. Une fois arrivé, j’ai été directement transféré de l’aéroport à l’hôpital Saint-André pour le week-end, au service des soins continus, avant qu’une place ne se libère au service d’hématologie de l’hôpital Haut-Lévêque. C’est là que j’ai commencé ce journal.
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