"Je suis infirmière. Depuis 4 ans. Et aujourd'hui, j'ai plus envie"
Nolwenn Le Bonzec, infirmière, a publié un coup d’gueule sur sa page Facebook. Avec ses tripes, elle dépeint son quotidien professionnel, entre les stéréotypes sur le métier, les journées de boulot interminables, ses collègues qui font un burn-out et le ras-le-bol qui la tenaille. Un texte d’une rare intensité...
[DOSSIER]
– Iris : "Le personnel se détruit la santé... à soigner les autres !"
– Mardi des blouses blanches : le cri noir du service hospitalier
Je suis infirmière.
Depuis bientôt 4 ans.
Et aujourd’hui, j’ai plus envie.
Plus envie d’être confrontée à ces conditions de travail qui se détériorent de jour en jour. Plus envie de me battre alors qu’il n’y a plus que la rentabilité qui compte. Plus envie de vivre ce qui ressemble à l’enfer certains jours.
Je n’arrive plus à supporter la charge de travail toujours plus lourde, le manque d’effectif toujours plus grand, la non considération de la part de la direction, le manque de respect des gens.
Infirmier.e, un métier aux multiples stéréotypes. Le plus beau métier du monde diront certain.e.s, une vocation diront d’autres, un métier difficile, physiquement, psychologiquement, avec des contraintes horaires diront d’autres encore.
Pour ma part, ça n’a jamais été une vocation mais lorsque j’ai eu mon diplôme, je me souviens à quel point j’étais fière et heureuse. J’ai fais mes premiers pas d’infirmière diplômée en chirurgie cardiaque et j’étais fière, passionnée par mon métier. Deux mois plus tard, j’ai quitté mon pays pour de meilleures conditions de travail, avec une envie très précise, la chirurgie cardiaque, encore. Le manque de personnel alors déjà présent m’a permis de suivre mes convictions et d’être engagée directement en CDI dans le service désiré. Je faisais partie de ces personnes qui arrivent à dire qu’elles vivent leur passion au travail. Tout ça, c’était fin 2015. Les temps ont changé.
"J’ai dû diminuer mon temps de travail"
J’ai grandi, j’ai appris à être moins naïve, à m’affirmer, à dire non quand il le faut, à ouvrir les yeux sur la réalité.
Au bout de 2 ans et demi, j’ai dû diminuer mon temps de travail pour mieux supporter mes journées de travail. À 24 ans. Est-ce normal, si jeune, de devoir en arriver là pour continuer son métier en étant mieux ? Le pire, c’est que ce sont mes ami.e.s qui ont du tirer la sonnette d’alarme, me rappelant sans cesse que j’avais l’air épuisée partout, tout le temps, et que je ne supportais plus rien. Bref, merci le 80% qui m’a sauvée au printemps 2018.
On est maintenant début 2019 et tout est devenu trop difficile. Un seul mot en tête de la plus haute hiérarchie, l’argent. L’argent, l’argent, et toujours l’argent. Comment est-ce possible dans un domaine qui touche l’humain en plein cœur, qui soigne l’humain, qui essaye de guérir l’humain ?
Toujours plus d’opérations, plus de patients, plus vite plus vite, il faut que ça tourne. Aucune conscience de ce qui se passe dans les étages d’hospitalisation, aucune conscience que quand vous êtes parfois 2 infirmier.e.s jeunes diplômé.e.s pour gérer 20 patients, c’est mettre tout le monde en danger, patient.e.s et infirmier.e.s. Je me souviendrais toujours de ce jour où une patiente est décédée et que nous n’avions même pas encore eu le temps de faire les soins adéquats qu’on nous a annoncé un transfert des urgences dans ce lit d’hospitalisation désormais vide. Le choc. Aucune humanité.
"Je suis remplie de colère"
Cela fait déjà quelques temps que j’envisage de me reconvertir à l’avenir, d’ici quelques années. Je me dis souvent que j’attendrais que ma cheffe - la meilleure du monde, vraiment - change d’horizons, pour pouvoir partir sans avoir ce sentiment d’abandon. Mais à l’heure actuelle, je suis remplie de colère et d’envie que les personnes concernées ouvrent les yeux sur cette réalité. Cette réalité infernale.
Actuellement, plusieurs de mes collègues sont en burn out. D’autres sont en arrêt médical. Évidemment, aucune n’est remplacée. Et ça, c’est pas gérable. Pas gérable qu’une moitié d’équipe fasse le boulot d’une équipe entière, pour le même prix, le même temps, les mêmes moyens. Quand je quitte mon service après une journée de travail, j’ai envie de fermer la porte à clé et de mettre un grand panneau " nous ne sommes plus disponibles pour le moment, revenez plus tard " comme on pourrait fermer une boutique, le temps de se remettre sur pied. Mais non, à l’hôpital ce n’est pas possible. Il faudra revenir le lendemain, le surlendemain et ainsi de suite. Assurer des soins qu’on nous réclame haut et fort de qualité, veiller à bien remplir des dizaines de feuilles de papier - écologie -1000, il faut leur expliquer comment l’enjeu des marches pour le climat ? -, rester poli, et tout cela avec le sourire.
" De toute façon des infirmier.e.s, il en faudra toujours, vous ne serez jamais au chômage " Alors ouais, on a peut être une stabilité d’emploi, mais des infirmier.e.s qui auront encore envie de vivre tout ça, au bout d’un moment il n’y en aura plus.
Il paraît qu’au jour d’aujourd’hui, un.e infirmier.e arrête sa carrière au bout de 8 ans. J’en suis pas encore à la moitié. Et j’en ai déjà marre.
J’ai plus envie.
Nolwenn Le Bonzec
Commentaires - 11 messages
Ajouter un commentaire à l'article