La psychomotricité, métier hybride et indispensable !
Avez-vous regardé le ciel ce matin ? Bien heureux les belges, au ciel si bas, au ciel changeant et dansant ! A bien y regarder, il ne reste pas longtemps plombé notre ciel gris quotidien. Croisement de nuées étagées, trouée lumineuse, course de nuages effilochés.
Regarder le ciel, c’est jouer avec ses sensations. Lumière par flots ou voilée, distances d’espace et perspectives, jeux d’équilibre et d’appuis corporels, rêveries. Quelques secondes … et de multiples entrées sensorielles sollicitent notre réseau neuronal et hormonal.
« Comment vivre avec notre sensibilité dans le monde d’aujourd’hui ? Que faire de nos ressentis au quotidien ? »
Rien, répondent certains. Pas le temps, pas besoin, pas envie. Du réveil au coucher, privilégions l’efficacité. Tout est sous contrôle, réglementé et ouvre un monde lisse et sans accroc. Indispensable au fonctionnement imparable de la défense, des soins d’urgence, des transports, de l’administration. Stoppons volontairement cette liste, alors que nous le savons, les mondes des soins, de l’éducation, du juridique sont atteints par l’épidémie « rationnalisante » et « quantifiable ».
D’autres trouvent une réponse nuancée. On fait ce qu’on peut, répondent-ils. Il faut faire la part des choses, la part du temps, la part de la raison et du cœur. Un temps pour chaque chose. Un temps pour ressentir, un autre pour se protéger. Un temps assoiffé, disponible à tous les excès et un autre clos, où rien ne doit déranger la marche prévue. Pleine conscience, body scan de différentes durées, séjours spa, baumes passagers sur nos identités fractionnées.
Impressions, expressions. Telle est ma richesse d’humain.e pourtant ! Mon corps est mon allié, mon messager, et … mon co-créateur permanent. Aller à la rencontre de ses signes et indices, les laisser advenir, est-ce si intolérable ? Au-delà de manifestations repérables, il y a des vagues bien plus profondes. Qui peuvent occasionner des bouleversements.
Mouvements intérieurs de transgressions, d’agressions, régressions… Qu’est-ce qui arrive à l’humain quand cela se passe ? Jusqu’où risquent de m’emmener les mouvements de haine et de rejet, de joie et d’attirance, de peur et de repli ? Jusqu’où cela vibre-t-il dans mes idées, mes élans, mes cellules ? Suis-je comme tout un chacun ? Ou suis-je plus pauvre et fragile, plus fort et désirant ? Jusqu’où vais-je me laisser envahir (on pourrait dire résonner, vibrer) sans être débordé ou paumé ? Telle Alice, au pays des merveilles dans quel monde basculerais-je si j’ouvre la porte du sensible et des ressentis ?
Certains hommes et femmes ont fait profession de ces couloirs, portes et passages. Et au quotidien mettent des mots, partagent des gestes, rencontrent des émotions… Aides-soignants, infirmiers, psychothérapeutes, assistants sociaux, éducateurs, enseignants, artistes, acteurs, écrivains, avocats, juges, journalistes, tant de professionnels restent attachés aux résonances humaines !
Parmi eux les psychomotriciens.
Oui, ce métier existe bel et bien. Proche de l’humain fragile, sensible, éminemment réceptif. Le petit d’homme se construit sur ses expériences corporelles et affectives. Ensuite et de façon exponentielle, il s’épanouit avec force apprentissages spontanés et guidés. Il apprend à parler, mémoriser, sérier, raisonner, symboliser, créer. Il apprend aussi à traverser les tempêtes émotionnelles et relationnelles qui le mènent à se différencier et s’identifier.
Que ce chemin puisse rencontrer des embûches, nous le savons tous. De nombreuses professions se sont développées pour accompagner ces traversées, et c’est tout à l’honneur de nos sociétés.
Le métier de psychomotricien ne remplace aucun des autres métiers du soin ou de l’éducation. Il les rencontre et les côtoie, en lien avec toutes les facettes de l’individu par la spécificité de sa formation et de son engagement corporel. Métier de l’accompagnement, faisant sans relâche le lien entre le soma et la psyché, il a un champ conceptuel large qu’on ne peut ignorer. Le psychomotricien propose un espace transitionnel de jeux ou de soin où exprimer son identité, symboliser et dédramatiser ses émotions, reconnaitre et apprivoiser sa pulsionnalité. Il se fait fort d’échanger avec les autres professionnels créant des liens foisonnants d’appuis mutuels !
Donner un statut officiel à l’accompagnement psychomoteur est nécessaire et plus que jamais indispensable. Donner un statut à ces professionnels c’est un acte politique dans le sens le plus noble du terme ! Pour permettre que les champs conceptuels et de recherche quant aux liens indissolubles corpsesprit restent ouverts, dynamiques et … sensibles… comme le ciel, ce matin !
Anne Taymans,
Présidente de l’Union Professionnelle Belge des Psychomotriciens Francophones
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