Le décret inclusion : entre utopie et réalité sur le terrain

Le décret relatif à l’inclusion de la personne handicapée, déposée par la ministre Évelyne Huytebroeck, a été adopté par le parlement bruxellois francophone lors de la législature précédente. Dans son essence, le décret vise une amélioration de la qualité de vie des personnes handicapées. Pour certains cependant, il détient une belle part d’utopie.
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En un peu plus d’un siècle, la perception du handicap a changé et les politiques sociales qui en ont découlé ont lentement évolué, passant de l’exclusion à l’intégration et, aujourd’hui, à l’inclusion.
Des Nations Unies à la Cocof
C’est le 17 janvier 2014 que le parlement francophone bruxellois adopte, à l’unanimité, le projet de décret inclusion qui réorganise la politique d’aide aux personnes handicapées à Bruxelles, en application des grands principes prônés dans la Convention des Nations Unies aux droits des personnes handicapées (CDPH). Ce décret remplace le décret du 4 mars 1999 relatif à l’intégration sociale et professionnelle des personnes en situation de handicap.
Comme l’énonçait madame Huytebroeck, membre du collège de la COCOF - la COmmission COmmunautaire Française - ayant en charge la politique d’aide aux personnes handicapées dans la Région de Bruxelles-Capitale : « La philosophie d’un tel décret repose sur la volonté d’inclure les personnes handicapées dans tous les domaines de la vie sociale sans nier, ni gommer, les différences et en refusant toutes formes d’exclusion et de ségrégation. » Cela signifie que les personnes handicapées ont le droit de vivre dans la société comme tout un chacun, en recevant les aides et les soutiens nécessaires. Ce principe concerne autant les questions d’accès au logement qu’aux activités de loisirs et à l’enseignement ainsi qu’aux soins de santé.
Évolution sémantique : de l’intégration vers l’inclusion...
Selon une étude réalisée par Benard De Backer, spécialiste du handicap à Bruxelles, pour le CBCS, le Conseil Bruxellois de Coordination Sociopolitique, il est difficile de repérer ce qui distingue l’inclusion de l’intégration « sinon qu’il se fonde sur un ’’droit’’ et concerne ’’tous les domaines de la vie sociale’’. Il semble dès lors plus participer d’une extension de l’intégration de tous à l’ensemble de la société que d’un changement du mode d’intégration, ce qui entraîne notamment le fait qu’il ne parait plus opportun de distinguer l’intégration sociale de l’intégration professionnelle tel qu’il était de mise dans le décret de 1999. À moins que la différence soit indiquée par le ’’comme tout un chacun’’, alors que l’intégration signifierait ’’comme une personne handicapée’’ ? »
Difficultés dans la mise en œuvre concrète
Dans son application concrète, cette nouvelle orientation de la politique des personnes handicapées risque d’être confrontée à plusieurs obstacles. D’abord par rapport aux moyens alloués à l’accueil des personnes handicapées. Il va de soi que des investissements devront être faits dans les milieux « ordinaires » pour assurer des adaptations notamment techniques mais également pour la formation des professionnels. Le secteur spécialisé ne sera cependant pas disposé à voir diminuer ses moyens au bénéfice des autres. De plus, le décret n’a pas compétences et juridiction sur divers secteurs tels que celui ambulatoire et celui de l’enseignement. Le risque est que les personnes handicapées se retrouvent ballottées entre le secteur spécialisé qui les pousserait à l’inclusion et les autres secteurs qui ne seraient pas disposés ou en capacité de les accueillir.
Les craintes du secteur spécialisé
Les institutions actuelles (centres de jour, centres d’hébergement, écoles d’enseignement spécialisés,...) boudent d’ailleurs ce décret car ils y voient une menace pour leur avenir. Bernard De Backer souligne ce risque dans son étude : « Si l’hébergement et les centres de jours spécialisés ne sont pas appelés à disparaître, ils devront certainement (nombre d’entre eux le font déjà) se mettre à l’heure du paradigme inclusif en ouvrant davantage leurs institutions sur le monde extérieur, dans la mesure de la possibilité et des souhaits de leurs résidents. »
À coté des craintes du secteur spécialisé, des critiques à l’inclusion font également leur apparition. Aussi pour certains, être placé dans un même lieu ne signifie pas nécessairement la fin des mesures d’exclusion à l’égard des personnes. Celles-ci peuvent alors devenir des « exclus de l’intérieur », selon la formule du sociologue Pierre Bourdieu reprise par Bernard De Backer.
L’inclusion, une approche à intérioriser
Si l’essence du décret inclusion est d’augmenter la qualité de vie des personnes handicapées en allouant notamment des moyens pour réussir cette transition, le projet demande également un effort d’intériorisation de l’inclusion de la part du public concerné. Car une bonne partie de la population en situation de handicap vit depuis de longues années relativement en marge de la société, souvent socialisée avec d’autres personnes également handicapées. Ces personnes devront donc tendre la main, dans leurs aspirations, à l’inclusion...
Delphine Hotua
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