Les internés sans papiers : les oubliés des oubliés
Parmi les internés psychiatriques présents dans les institutions de défense sociale de notre pays résident des internés sans papiers. Des étrangers en séjour irrégulier qui ont commis un délit mais qui ont été jugés irresponsables. Ils sont censés être soignés en vue de réintégrer la société. Sauf qu’en réalité, faute de législation conforme, ils sont plutôt condamnés à rester enfermés toute leur vie dans ces établissements, qui ressemblent à des prisons…
[DOSSIER]
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Les internés sans papiers sont avant tout des personnes humaines qui souffrent d’une maladie mentale laquelle les a amenés à commettre des délits. Au tribunal, sur base de rapports établis par des experts psychiatres, les juges ont estimé qu’ils n’étaient pas responsables de leurs actes. Dans de tels cas, ces derniers sont envoyés en « défense sociale » : on les interne en vue de les soigner plutôt que de les condamner à une peine de prison.
Le parcours de l’interné se fait de la manière suivante : ce dernier est d’abord placé temporairement dans les annexes psychiatriques des prisons avant d’être envoyé dans des établissements de défense sociale, des hôpitaux psychiatriques hautement sécurisés ou des centres de psychiatrie légale. Là-bas, ils sont pris en charge par des équipes médicales qui ont pour mission de stabiliser leur état mental. Au cours de leur internement, la « chambre de protection sociale » (CPS) - un tribunal composé d’un magistrat, d’un psychologue et d’une personne spécialisée en réinsertion sociale – les rencontre, observe leur évolution et peut prononcer leur libération à l’essai ou leur libération définitive. L’internement a donc, théoriquement, une portée curative qui devrait mener à une réintégration dans la société.
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Pratiquement, cela ne se passe pas comme cela : si les internés en séjour régulier ont déjà peu de chances d’être libérés, les internés sans-papiers n’en ont quasiment aucune. Patricia Jaspis, la présidente de la CPS de Mons explique : « la situation de ces personnes est très problématique. Les seuls qui peuvent s’en sortir sont ceux qui ont de la famille soutenante, motivée, ayant des moyens financiers et en séjour régulier en Belgique pour les héberger. Ces cas sont extrêmement rares. Les internés sans papiers n’ont généralement pas de famille ou ont une famille qui veut garder ses distances et n’a pas d’argent pour payer les traitements médicaux. Dans tous les cas, la situation est très difficile. En imaginant même une libération à l’essai, ces personnes ont besoin de soins. Mais ils n’ont ni revenus, ni mutuelle, ni allocation d’handicapé. Les hôpitaux ne les veulent donc pas et la santé publique ne va pas payer des soins pour quelqu’un qui n’est pas en ordre de cotisation. »
"L’expulsion n’est pas possible"
Seule une alternative existe : la « remise en liberté en vue de l’éloignement ». Il s’agit d’un renvoi dans leur pays d’origine. A ce propos, l’office des étrangers (OE) a développé un service intitulé « special needs » qui s’occupe des retours. Mais cette possibilité demeure extrêmement fragile. Trois raisons l’expliquent : premièrement, la procédure est administrativement extrêmement lourde puisqu’elle suppose une identification de la personne. Pour ce faire, l’OE doit prendre contact avec l’ambassade du pays, trouver un passeport à l’interné, s’assurer qu’il ait une famille sur place et une infrastructure médicale capable de le prendre en charge. Des démarches qui prennent plusieurs mois et aboutissent rarement. Deuxièmement, pour la plupart des cas, les internés n’ont pas envie de rentrer dans leur pays d’origine puisque ce dernier est à l’origine de leurs troubles psychiatriques. Troisièmement, si quelques-uns ont pu revenir chez eux, « pour la majorité d’entre eux, l’expulsion n’est pas possible : soit ils viennent de pays en guerre où la Belgique s’est engagée à ne pas les renvoyer, soit les pays n’en veulent pas », regrette Patricia Jaspis.
Face à ces contraintes, les avocats des sans-papiers tentent de régulariser leur situation afin d’obtenir au moins une libération à l’essai ou définitive. Mais le dispositif législatif disponible est inadapté à ce genre de cas et complexifie les procédés. Maître Thomas Bocquet, qui pratique à la fois le droit des étrangers et la défense sociale, confirme : « La législation actuelle ne permet pas d’envisager une régularisation des internés sur le territoire belge. Humainement, c’est très triste car ce sont des personnes qui se sont stabilisées au fil des ans. »
10% des internés en Belgique francophone
Faute de solutions, les internés sans papiers se condensent de plus en plus dans les institutions de défense sociale. Aujourd’hui, ils représentent 10% des internés en Belgique francophone. Ce pourcentage risque encore d’augmenter. Un psychiatre spécialisé en la matière prévient : « Ce sont des chiffres qui vont aller croissant pour deux raisons : d’une part, la Loi de l’internement est beaucoup plus facilement mobilisée à l’entrée pour des personnes sans papiers paupérisées socialement que pour d’autres. D’autre part, il n’existe pas de solution à la sortie. Donc d’ici 10-15 ans, les chiffres auront sans doute doublé. »
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Ces présages sont alarmants. Ils devraient faire réagir les politiques. Mais ces derniers ne semblent pas prêts à s’emparer de la matière. Delphine Paci, co-présidente de l’Observatoire International des Prisons, s’en désole : « On a vraiment le sentiment que l’étranger est désormais la cible de toutes les mesures de droit pénal. Ici, c’est encore plus choquant car ces personnes sont malades avant tout. Mais pour le Gouvernement, c’est d’abord des sans-papiers. »
Les conséquences de cette faille législative sont pourtant graves. En laissant ces personnes enfermées dans ces établissements, les politiques transgressent les droits de ces femmes et de ces hommes. Si aucun d’entre eux ne se mobilise à l’avenir pour trouver une solution, les choses s’aggraveront. La qualité d’Etat de droit -pourtant chère à notre pays- s’en retrouvera dès lors, à nouveau, fragilisée.
Alix Dehin
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