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UNE VIE DE PSY - Épisode VIII : le poids des secrets

06/05/19
UNE VIE DE PSY - Épisode VIII: le poids des secrets

Un nouvel épisode de la vie de T. Persons où il est question de tout ce qui n’est pas dit et de l’importance de s’affranchir de nos secrets.

- Ceci est une fiction. Toute ressemblance avec une quelconque réalité serait purement fortuite… -

La nostalgie du temps qui passe…. Lorsque j’essaye de prendre du recul sur tout ce qui s’est produit ces derniers mois, il me reste un goût particulier en bouche : la saveur des actes manqués et des décisions foireuses. J’avais le sentiment que mon superviseur m’avait passablement lâché, me laissant seul dans la fournaise d’une situation clinique aussi chaude qu’une baraque à frite un soir de kermesse. Aurais-je du l’écouter et scinder mes suivis ? Certainement. Pourtant, j’ai continué à voir Anita, Georges et Marthe… Et finalement, durant un cours laps de temps, tout s’est assez bien goupillé. Je terminais la prise en charge de Georges, paisiblement. De son côté, Anita continuait à venir déverser ses émotions sans que l’on ne travaille quoi que ce soit et puis, il y avait Marthe…

Je peux vous le confier, nos rencontres m’étaient plus qu’agréables. Il me paraissait évident que nous avions des atomes crochus et que nous partagions une sorte d’attirance mutuelle qui rendaient nos entretiens électriques. Pour autant, il y avait comme une sorte d’accord tacite entre nous. Il ne s’agissait pas réellement d’un jeu de séduction, ni d’une admiration platonique. Bref, on savait qu’on se plaisait, mais j’étais persuadé qu’il ne se passerait jamais rien entre nous. On pourrait parler des heures de transfert, de contre-transfert et d’autres mécanismes sous-tendant notre relation. Le fait est que j’essayais tant bien que mal de ne pas trop me poser de questions. Je le savais pertinemment, j’étais sur une pente glissante, il fallait que j’en parle à un professionnel. J’essayais bien évidement d’éviter de creuser la relation avec son mari, laissant place à un énorme malaise à chaque fois qu’elle l’abordait, faisant de moi un piètre psychologue et une horrible personne. Allez savoir pourquoi, plus j’évitais de rebondir sur son couple, plus Marthe insistait. Puis, un jour, à force de vouloir noyer le poisson, j’ai moi-même bu la tasse.

Malgré tous les efforts que je faisais pour ne pas rentrer dans l’intimité de son couple, rien n’y fait, lorsque je sens que l’on touche un point sensible, mes qualités de professionnel ont tendance à prendre le dessus. J’étais donc trahi par mes habitudes et je me voyais mal revenir en arrière. Marthe m’expliqua que le plus difficile à vivre, c’était le silence et la lourdeur du secret. Elle était persuadée que Georges avait une liaison, bien qu’il niait en bloc lorsqu’elle le questionnait plus frontalement. Elle se sentait piégée dans un couple qu’elle ne se voyait pas défaire. Elle voulait qu’il soit honnête. Elle l’aimait encore, à sa manière, avec le poids des années mais elle éprouvait le sentiment d’être infiniment seule.

« Je vous entends déjà crier au scandale »

Sa solitude, j’étais apte à la travailler. J’avais le sentiment qu’on touchait à quelque chose qui ne m’était pas étranger. Son discours faisait écho en moi : l’impression que lorsque l’on cesse de communiquer dans un couple, celui-ci se noie. Le sentiment d’être seul alors que l’autre partage votre quotidien, je le vivais également. De plus, comme elle pouvait encore aimer Georges, j’avais moi-même un attachement particulier pour Marion.

Je vous entends déjà crier au scandale. Vous avez raison, comment peut-on être en empathie avec quelqu’un si l’on est sabordé par ses propres émotions ? Est-ce réellement ma faute si je suis enclavé par mes propres angoisses d’abandon ? Dans le feu de l’action, j’étais tellement persuadé de la comprendre, alors qu’en réalité, il n’en était rien. Il ne s’agissait certainement que de mes propres projections. De fait, j’étais à mille lieues de saisir les propos de Marthe et comme souvent, lorsque l’on n’est pas en justesse avec l’émotion de l’autre, ça sonne faux .

Lorsqu’elle me confia l’ampleur de sa détresse, je mis un certain temps avant de percuter qu’il ne s’agissait pas de moi… Imbécile que j’étais, il fallut attendre qu’elle me parle de ses idées noires pour qu’il y ait un déclic : elle en souffrait plus que ce que je ne pouvais imaginer et j’étais tellement autocentré que je n’avais rien vu venir.

Il est difficile pour un psychologue d’objectiver les risques d’un passage à l’acte. La souffrance était réellement présente. Après, j’ai toujours été sceptique face aux professionnels qui arrivent à être tellement sûr de leur évaluation qu’ils n’ont aucun scrupule à renvoyer leurs patients chez eux, sans mettre quoi que ce soit en place, juste au cas où. Pour ma part, généralement, j’essaye de ne pas me retrouver seul dans la situation, en demandant à mon patient si je pouvais en parler à son médecin-traitant. Globalement, je mets des mots sur les idéations suicidaires. Il y a des situations où, clairement, je renvoie vers le numéro d’un service de prévention au suicide et dans les cas extrêmes, je fais en sorte que mes patients ne soient pas en danger, quitte à être suffisamment créatif pour les faire prendre en charge par un service spécialisé.

Pour Marthe, ce fut différent. Une colère intense m’envahit avec pour cible Georges et Anita. Ma patiente souffrait au point d’envisager de mettre fin à ses jours, à cause d’une idylle que mes deux autres patients ne trouvaient pas suffisamment pertinente que pour en parler à leur psychologue. Soit, j’étais en pétard mais cela n’explique pas vraiment ce qui m’a poussé à agir de la sorte. J’ai tout d’abord donné mon numéro personnel à Marthe, en lui disant qu’en cas de difficulté, elle ne devait pas hésiter à m’appeler. Puis, pour la première fois dans ma carrière, je me suis levé de mon fauteuil et je me suis approché d’elle. Je lui ai tendu ma main pour qu’elle se lève. Elle m’a regardé intensément tout en se mettant à ma hauteur et, comme un con, je l’ai pris dans mes bras. J’avais atteint une limite qu’il ne fallait pas franchir et j’allais amèrement le regretter.

T. Persons

[Du même auteur]

 Épisode I : la nouvelle demande
 Épisode II : la patiente de 15 heures, le mardi
 Épisode III : de l’art de la supervision
 Épisode IV : un heureux hasard
 Épisode V : le nouveau venu
 Épisode VI : une coïncidence douteuse…
 Épisode VII : une question de choix



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