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Etre victime de violences au travail (témoignage)

19/10/18
Etre victime de violences au travail (témoignage)

C’est malheureusement un sujet qui devient de plus en plus d’actualité : les violences subies au travail par les travailleurs sociaux. Force est de constater que ce ne sont pas des événements isolés ou dramatisés : de nombreux travailleurs y sont confrontés et, sur une carrière complète, peu d’entre eux peuvent se targuer de n’avoir absolument jamais été victimes de gestes ou de paroles violents.

[Dossier]

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Je n’ai que 13 ans d’expérience dans le secteur et j’ai par deux fois été confrontée à de la violence de la part d’usagers. Ces deux expériences ont été marquantes, voire traumatisantes, mais ce qui a fait toute la différence, c’est la manière dont elles ont été gérées. Dans le premier cas, l’acte a été reconnu comme intolérable et sanctionné. Dans le second, il a à peine été discuté.

Un acte reconnu comme intolérable et sanctionné

J’étais stagiaire la première fois que j’ai été victime d’une agression sur mon lieu de travail. Il s’agissait d’un centre d’accueil de jour pour personnes sans domicile fixe et j’étais en Erasmus. Je travaillais avec un groupe d’usagers dans la salle principale, lorsqu’un autre usager, qui était un peu plus loin, s’est tout à coup retourné, a foncé vers moi, m’a empoignée et m’a crié dessus qu’il allait « me la mettre ». J’ai été littéralement tétanisée. Fort heureusement, deux collègues, qui étaient également présents, sont immédiatement intervenus, l’ont ceinturé et éloigné de moi. Une troisième collègue m’a emmenée dans une autre pièce, où j’ai pu me remettre de mes émotions (comprenez : fondre en larmes. J’avais 20 ans et j’étais dans un pays étranger, victime d’une agression, ça fait beaucoup).

Mettre les choses à leur juste place

Ce jour-là, les choses n’ont pas traîné. L’usager en question, atteint de psychoses et probablement sous l’emprise de stupéfiants, a été directement interdit de fréquenter le centre pendant une semaine. Par la suite, il a été reçu par la responsable, en ma présence, afin de s’expliquer et s’excuser de son geste, qu’il regrettait sincèrement. Quant à moi, j’ai été soutenue par mes collègues et ma responsable, qui m’ont écoutée, rassurée et n’ont pas banalisé l’agression dont j’avais été victime, sans pour autant en diaboliser l’auteur. Dans ce centre, il était clair que la sécurité des travailleurs passait en premier. Cette équipe faisait également du travail de rue en journée et la nuit, elle était habituée à gérer des agressions et n’en faisait pas un sujet tabou.

Une agression banalisée

Je n’étais pas beaucoup plus âgée lors de la deuxième agression dont j’ai été victime. Je travaillais cette fois-ci dans un centre d’accueil pour demandeurs d’asile. Je faisais la soirée et cela faisait partie de nos tâches de distribuer les médicaments aux résidents. Je ne suis pas infirmière, ce n’est pas quelque chose que je suis légalement autorisée à faire, mais il nous était demandé de le faire et, jeune travailleuse désireuse de ne pas faire de vagues et passablement inconsciente, je l’ai fait, tout comme l’ensemble de mes collègues. Nous avions un agenda avec, pour chaque jour, le nom des résidents et les médicaments à leur donner. Ces médicaments étaient préparés en paquets par l’infirmière. Nous étions derrière un comptoir vitré muni d’une porte, restée ouverte, par négligence de ma part. Un résident réclame un médicament, antidouleur dérivé morphinique, qui ne lui était pas prescrit. Je vérifie plusieurs fois l’agenda, la caisse de médicaments, remonte plusieurs jours en arrière et en avant, au cas où il se serait trompé de jour, mais je ne trouve rien. Il insiste de plus en plus lourdement, devient agressif …

Je suis seule avec un collègue encore plus jeune et inexpérimenté que moi et je ne sais pas quoi faire. J’explique au résident que je ne peux pas lui donner ce médicament, car il ne lui a pas été prescrit, mais rien n’y fait. Il est déjà dans le sas et devient de plus en plus agressif verbalement. Mon collègue est tétanisé et je n’en mène pas large. Un groupe de résidents arrive alors à l’accueil et, voyant la scène, s’interpose et l’emmène. Apparemment, il est coutumier du fait.
Je ne signale pas tout de suite l’agression à ma direction, car elle a lieu fin de semaine, et je veux profiter du week-end pour me remettre de cet incident, somme toute assez banal comparé à d’autres s’étant déjà produits dans ce type de centre.

Chercher chez la victime des caractéristiques justifiant l’agression

Lorsque je reprends le travail, la directrice est absente et je ne sais pas si je dois la déranger pour un fait passé … Sur les conseils d’autres collègues, je décide d’attendre. Lorsque je lui en parle, il s’est passé 4 jours. À l’évocation de l’incident, on me demande si je ne l’ai pas un peu cherché et si je n’aurais pas dû essayer de concilier, par exemple en lui proposant un autre médicament sans prescription (ce que j’ai pourtant fait). On me reproche alors de ne pas avoir été assez dans la médiation, on me dit que j’aurais peut-être pu adopter une autre attitude dès le départ, qui n’aurait pas suscité, provoqué une réaction agressive de la part de ce résident. Lorsqu’il sera reçu pour un entretien à trois, que j’ai insisté pour avoir, il refusera de s’excuser, trouvant son comportement parfaitement justifié. Aucune sanction ne sera prise. J’apprendrai plus tard qu’il avait été transféré depuis un autre centre pour le même type de comportement. Et il m’a fallu un certain temps pour ne plus avoir peur au travail.

Normaliser et banaliser

Effectivement, j’étais jeune et je manquais d’expérience. J’ai sans doute contribué à cet incident et eu des réactions qu’une personne plus expérimentée n’aurait pas eues. Il n’empêche que sa violence a été légitimée, comme c’est très souvent le cas, et qu’au lieu de questionner le contexte, de poser le cadre, on a questionné la victime, cherchant chez moi des caractéristiques justifiant la violence subie. Et ce n’est absolument pas une réaction unique de la part de l’entourage. C’est même très souvent une des premières réactions. Dans le cadre du travail social, une autre réaction très fréquente est aussi la normalisation : « ça fait partie du boulot, avec un certain type d’usager, c’est normal ». En spécialisation en psychomotricité, on nous apprenait même que cela faisait partie de la relation et que nous devions accepter de recevoir parfois des gestes violents. Non, non, non et encore non. Ce n’est jamais normal, avec aucun type d’usager et dans aucun contexte. Je suis travailleuse sociale, pas punching-ball ou défouloir. Et rien ne justifie ni ne légitime l’agression.



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