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Chronique d'un psy : le règne du docteur

02/02/17
Chronique d'un psy : le règne du docteur

Alors que la question du remboursement des entretiens psychologiques semble de plus en plus se poser, en tant que psychologue, je m’interroge sur les conditions dans lesquelles un remboursement partiel est envisagé.

Cette semaine, à la lecture du sacro-saint formulaire de remboursement d’intervention psychologique d’une célèbre mutualité wallonne, ce ô combien précieux papier permettant à nos richissimes patients de financer pleinement le traitement de leur dépression chronique, j’ai bien failli tomber à la renverse. D’habitude stoïque, tel un psychanalyste vissé sur son fauteuil, je n’ai pas pu m’empêcher de lever le sourcil gauche, provoquant l’intérêt frénétique de mon patient, ce qui, bien évidemment, le poussa à mettre en mots la formule qui me fit chavirer : « Y’a quelque chose qui va pas, Monsieur ? ». J’aurais voulu me la jouer cool, détaché, neutre, lisse, mais malheureusement devant l’air neurasthénique de mon patient bipolaire mal dosé, j’ai littéralement craqué.

Non, ça ne va pas du tout, Monsieur Vanpieperzeel ! J’arrive déjà difficilement à me contrôler face à l’envie irrépressible de vous secouer lorsque vous me renvoyez platement que rien ne va. J’ai acquis une certaine maîtrise pour vous cadrer lorsque, en pleine phase maniaque, vous vous êtes entêté à vouloir repeindre ma sordide salle d’attente. Mais là, je ne peux plus me taire face à cette ignominie que vous me tendez, de vos mains tremblantes, attendant de moi ce que je ne peux vous offrir : une prescription médicale circonstanciée pour le remboursement de vos 6 séances à raison de 10 euros l’entretien. Je suis psychologue clinicien, Monsieur, je ne peux vous prescrire quoi que se soit. Je n’ai pas de blouse blanche, de stéthoscope, de numéro INAMI ou de cahier de prescription. Derrière ma colère complètement inappropriée se cache un brin d’impuissance et de frustration qui m’obligent lâchement à vous dire que si vous voulez vous faire rembourser vos 60 euros, il va falloir en débourser 30 chez votre médecin traitant…

Il fallait que ça sorte… Vous voyez, je suis du genre idéaliste et farouchement attaché à ma liberté thérapeutique, dans un pays qui défend corps et âme des valeurs démocratiques. Sauf que là, je tombe de haut : mon travail ne vaut d’être partiellement remboursé uniquement que s’il est avalisé par un médecin. Vous rendez-vous compte que si l’on suit la logique de votre mutualité, il n’y a qu’un docteur qui peut vous autoriser à venir me consulter ? Bon d’accord, peut-être qu’il s’agit avant tout d’une histoire d’égo mal placé. Certes, l’idée de dépendre d’un médecin me donne un élan empathique pour mon chat que l’on a dû castrer, mais en dehors de mon nombril, êtes-vous conscient que le dindon de la farce, c’est vous ? Oui, Monsieur Vanpieperzeel, on estime qu’un médecin est plus compétent que vous pour juger si oui ou non, vous allez mal. Pardon ? Oui, Monsieur, on vous prend pour un imbécile. Vous me demandez pourquoi un médecin est plus légitime pour décider ? C’est une bonne question !

Le médecin… Dois-je rappeler qu’il y a un siècle, on avait honte de l’avoir pour gendre alors qu’à l’heure actuelle il est la rockstar des soins de santé. Il est celui par qui tout passe, la toute puissance suprême. Vous savez, Monsieur Vanpieperzeel, pour que je puisse légalement exercer, il me faut impérativement comptabiliser 5 années d’études, suivies d’un troisième cycle de minimum 3 ans pour pouvoir porter légalement mon titre de psychothérapeute. Dans le même temps, avec ses quelques heures de psychologie en début de parcours académique, le médecin est par essence également psychothérapeute. Alors que le professionnel de santé doit se former pour avoir accès à un titre de spécialiste, on considère que le médecin est formé par défaut. Votre toubib est donc également psychothérapeute, tabacologue, assistant social, avocat ou plombier pourvu qu’il trouve le bon code INAMI pour vous faire rembourser. Jaloux ? Moi ? Non, du tout. Je vais même vous confier que d’une certaine manière, je n’aimerais vraiment pas être dans cette position de toute puissance tant j’ai l’impression qu’aucune dictature ne peut se suffire à elle même. Je dramatise ? Oui, clairement. Je connais des médecins qui vont se former à la psychothérapie. On ne s’écarte pas un peu du sujet ? Monsieur Vanpieperzeel, le sujet, c’est vous.

En conclusion, cette semaine, empreint d’un énorme sentiment de culpabilité face à mon pétage de câble, j’ai dû quémander un certificat médical à un ami médecin pour éviter que mon patient ne paie une consultation pour rien. L’ironie du sort ? Mon ami m’a demandé avec l’arrogance du désespoir : « Je mets quoi sur l’attestation ? Je suis pas psy, moi ! »

T. Persons



Commentaires - 5 messages
  • Si je comprend bien, vous êtes psychologue pratiquant la psychothérapie? J'ai apprécié votre propos que je trouve justifié. A ceci près, avec la loi De Block, c'en est fini du médecin qui peut prétendre faire de la psychothérapie. Elle est réservée Í  certaines professions de santé dont le médecin mais elle suppose une formation en psychothérapie (d'au moins 3 ans!). Nous nous en réjouissons et l'introduction d'autres professions que celle de médecin dans la loi sur les professions de santé est une route tracée vers la perte de ce pouvoir médical dilué dans le partage avec d'autres professions de santé. Je me réjouis encore plus de cette loi.
    Enfin, bien conscient de ce que vous dénoncez de la part des mutuelles, l'UPPCF (www.uppcf.be) que je préside a pris contact avec chacune des mutuelles francophones afin de dénoncer de telles aberrations et inviter Í  y remédier.
    Merci pour votre propos,
    Merci pour votre propos

    Thierry Lottin jeudi 2 février 2017 18:04
  • Les propos de l'UPPCF ne lassent pas de surprendre...
    L'UPPCF ne s'est associée Í  aucun recours en justice contre la paramédicalisation des psychologues cliniciens mais elle fait comme si elle était du côté de l'auteur de cet article! Et notamment, contrairement aux autres associations, elle ne lutte pas contre le fait que la loi De Block permette Í  tout médecin de pratiquer... la psychologie clinique sans en faire les études! Alors de toutes ces phrases, dites par l'UPPCF, retenons surtout celle-ci : "Je me réjouis encore plus de cette loi."...

    cedricboussart lundi 6 février 2017 12:42
  • M Lottin, la Loi parle de 70 crédits de formation et de 2 années de supervision du travail. Nous avons régressé par rapport Í  l'heure actuelle ou plusieurs formations sont Í  90 crédits répartis sur 3 Í  4 annnées... Il est également signifié, dans la Loi, que le médecin est Í  même de réaliser les tâches du psychologue clinicien, tout comme dans le rapport connu du KCE...

    Frédéric Pouliart jeudi 9 février 2017 09:54
  • Cher Messieurs...art, je vous rappelle qu'avant cette loi, les médecins étaient les seuls habilités Í  pratiquer légalement la psychothérapie. Les psychiatres ont même une nomenclature pour une séance de psychothérapie depuis bien longtemps. Si d'autres comme vous ou moi pratiquions la psychothérapie, c'était en toute illégalité. Avec cette loi, ce ne sera plus le cas et un médecin ne pourra prétendre pratiquer la psychothérapie qu'Í  condition d'être formé; ce qui n'était pas le cas auparavant.
    Nous n'avons pas Í  poser un recours contre le fait de la paramédicalisation en tant que psychologue clinicien. Ignorez-vous que dès les années 1980, nous avons obtenu de ne pas être assimilés Í  des paramédicaux? De plus, cette loi n'est plus celle des médecins, elle est comme son titre actuelle l'indique depuis qu'il a été modifié loi sur les professions de santé et la médecine y occupe de moins Í  moins une place prépondérante et l'insertion des psychologues cliniciens (exerçant aussi en plaine autonomie) est un pas dans ce sens. Si le médecin peut réaliser certains actes de psychologie clinique, il ne peut le faire de manière habituelle, c'est strictement réservé au psychologue clinicien. Non seulement, il est important de lire la loi avant d'émettre un avis mais il faut aussi en peser les mots qui ont toute leur importance. Mais si on se fonde sur certains qui prétendent l'avoir étudiée et l'interprètent ou la déforment comme ils veulent pour que d'autres qui les lient s'en trouvent bernés, que vous dire...

    Thierry Lottin jeudi 9 février 2017 22:18
  • lÍ  encore, nous pourrions devenir l'égal des médecins si nous avions comme eux un doctorat professionnel, avec un internat.
    en israel par exemple, le psychologue est ultra respecté et reconnu.
    en attendant, nous mériterions bien d'être sous "tutorat" médical, donc des paramédicaux. mais en hôpital cela m'aurait gêné car je suis en mesure de diagnostiquer tel trouble et proposer une thérapie adaptée de mon propre chef.
    donc pourquoi pas une paramedicalisation en attendant notre futur doctorat pro ?

    mickael cileo mercredi 6 décembre 2017 00:23

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