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Assuétudes : quelle expérience de travail avec un public dépendant aux drogues ?

26/06/24
Assuétudes : quelle expérience de travail avec un public dépendant aux drogues ?

En tant que travailleur de la santé et du social, l’on peut être amené à entrer en contact avec une grande variété de publics. Parmi ceux-ci, les personnes en lutte avec un problème de dépendance aux drogues. Quelles sont les spécificités à connaître lorsqu’on réalise le suivi de ce public et que faut-il savoir ? Nous avons rencontré Sylvain Campion, psychologue clinicien et coordinateur thérapeutique au sein de l’ASBL Parenthèse, une structure spécialisée dans le suivi des personnes toxicomanes.

Guide Social : Sylvain, peux-tu nous en dire plus sur toi ?

Sylvain Campion : Je suis psychologue clinicien de formation, avec une formation supplémentaire en thérapie systémique, familiale et conjugale. J’ai d’abord travaillé, au début de ma carrière, comme psychologue au sein d’un centre résidentiel de crise pour les personnes toxicomanes. J’y ai travaillé environ 3 ans avant de travailler dans un hôpital psychiatrique durant 18 ans. Finalement, j’ai à nouveau changé de cap et je suis revenu à ce premier domaine dans lequel j’avais travaillé à l’époque, en occupant le poste de coordinateur thérapeutique à Parenthèse. J’accompagne l’équipe dans les prises en charge thérapeutique au quotidien, j’anime les réunions cliniques pluridisciplinaires. Je veille d’une certaine façon au fil rouge, au bon déroulement des prises en charge dans la continuité et la durée.

Guide Social : Qu’est-ce que l’ASBL Parenthèse ?

Sylvain Campion : Notre ASBL est une MASS, c’est-à-dire, une maison d’accueil socio-sanitaire, qui a été créée dans le cadre du Plan d’Action Toxicomanie- Drogues du gouvernement fédéral en 1995. Nous accompagnons les personnes qui ont une dépendance aux drogues illicites ou aux médicaments détournés de leur usage. Nous fonctionnons en ambulatoire, ce qui est plutôt rare en Belgique. Nous formons une équipe pluridisciplinaire composée de médecins généralistes, d’un psychiatre, de psychologues, d’éducateurs, d’assistants sociaux et de quelques membres du personnel chargés des missions administratives. En tout, nous sommes une petite vingtaine de professionnels.

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Guide Social : Pour toi, quelles sont les spécificités de ce public ?

Sylvain Campion : Il s’agit d’un public qui éprouve des difficultés à créer du lien et à respecter un cadre donné. Nous allons souvent être remis en question. Il faut donc, à la fois, faire respecter le cadre que nous créons, mais aussi faire preuve de souplesse, afin de s’adapter aux spécificités de chacun. C’est aussi un public qui peut se montrer agressif : en période de manque, ou dans le cas d’une décompensation par exemple. Par contre, il n’y a pas de profil type. Nous recevons des personnes âgées, des adolescents, des personnes précarisées…

C’est très diversifié, tout comme la consommation de substances. Nous allons avoir des personnes qui consomment de l’héroïne, de la cocaïne, mais aussi du cannabis ou de la kétamine… Et depuis quelques années, nous voyons aussi une nette augmentation des personnes qui sont dépendantes aux antidouleurs ou aux benzodiazépines (anxiolytiques).

Guide Social : En tant que professionnel, comment se situer par rapport à ce public ?

Sylvain Campion : C’est un public qui va traverser des cycles de rechute et d’échecs. Il faut donc savoir, avant tout, se dissocier de l’idée que l’on peut être un sauveur. Il y a parfois un sentiment d’impuissance qu’il faut savoir gérer. Dans le même temps, c’est à travers la création d’un lien thérapeutique entre le patient et le professionnel - et même, l’équipe de professionnels - que nous parvenons à aider ces personnes tout au long du parcours de soins. C’est donc tout un défi : savoir accueillir ce qui se produit sans jugement, car cela va aider la personne en face à faire la même chose. Contenir sans se laisser submerger.

Guide social : Comment se passe le suivi ?

Sylvain Campion : La première chose que nous faisons, c’est de créer du lien avec la personne. Ce n’est pas toujours une mince affaire. Nous construisons une alliance thérapeutique et nous voyons progressivement la relation de confiance se tisser. Nous faisons face à des personnes qui sont souvent très méfiantes par rapport aux institutions d’aide et de soins, qui ont déjà eu des expériences par le passé, lesquelles ont échoué ou se sont mal passées. Donc nous devons vraiment prendre le temps de créer ce lien.

Ensuite, nous essayons de comprendre d’où vient la démarche et à quel moment elle intervient. S’agit-il du patient qui souhaite prendre cette problématique en charge, ou s’agit-il de sa famille, d’une décision judiciaire qui le pousse à agir ainsi ?

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Enfin, nous travaillons la fonction de la consommation, le sens du symptôme. Souvent, cette consommation peut former un écran qui cache bien d’autres choses, le produit agissant comme une forme d’auto-médication. Il n’est pas rare que cela soit associé à des troubles psychiatriques, ou bien des troubles de l’attachement, ou encore, des stress post-traumatismes… Et au final, on va plutôt commencer à travailler ces aspects-là plutôt que la consommation elle-même. Nous avons l’habitude de parler de bas seuil thérapeutique, c’est-à-dire que nous avons un niveau d’exigence thérapeutique minimum. Il peut y avoir un objectif d’arrêt de la consommation, mais cet objectif est parfois lointain.

On pourra travailler sur une diminution de la consommation, sur une gestion des risques autour de la consommation. C’est pour cela qu’il est important de considérer les rechutes comme faisant partie intégrante du possible processus thérapeutique. Il s’agit d’un suivi qui ne va pas se faire en quelques semaines, ou de façon linéaire et continue. Il y a des personnes qui vont disparaître 6 mois, puis revenir. Nous avons la possibilité de suivre certains patients durant des années.

Guide Social : Qu’est-ce que ce métier t’apporte ?

Sylvain Campion : Tout d’abord, l’opportunité d’une rencontre unique et d’une relation qui se tisse.", confie Sylvain. "Ensuite, il y a cette reconnaissance que nous recevons dans le travail. C’est très épanouissant de voir que progressivement, des patients qui étaient dans une grande marginalité finissent par se socialiser. C’est vraiment quelque chose d’épanouissant de pouvoir les accompagner, de les aider à retrouver un équilibre de vie peu à peu.

Guide Social : Quelles qualités avoir pour travailler avec ce public ?

Sylvain Campion : Avant tout, il faut avoir une grande capacité d’écoute et de bienveillance. Ensuite, il y a cette capacité de contenance, dont j’ai déjà parlé. Il faut savoir recevoir beaucoup de choses, sans se laisser déborder émotionnellement.
Pour travailler avec un public de toxicomanes, il est recommandé bien entendu d’avoir de l’empathie, de la patience, de la compréhension et de la capacité à établir une relation de confiance. Il est également essentiel d’avoir des compétences en communication et en gestion de conflits.

Guide Social : Que dirais-tu à un jeune travailleur du social qui hésite à travailler avec ce public ?

Sylvain Campion : Je pense qu’il y a peu de personnes qui entrent à l’école en ayant la vocation de travailler avec des personnes touchées par une dépendance aux drogues. En Belgique, il n’existe pas de formation spécifiquement reconnue sur la question des assuétudes, ni pour les psychologues, ni pour les médecins. Cela ne permet pas de s’informer beaucoup sur le sujet, ou de limiter les idées reçues. Donc, l’on est vraiment formé par la pratique de terrain. Nous accueillons souvent des assistants ou des stagiaires chez nous. Et bien souvent, après coup, ils se rendent compte à quel point cela peut être passionnant, humainement, de travailler avec ces personnes. Parfois, le stage se transforme en premier contrat !

Il faut aussi savoir que nous formons une équipe très soudée. Dans ce type de suivi, la notion de tiers institutionnels prend tout son sens. Nous communiquons énormément, nous avons 3 réunions par semaine, durant lesquelles nous prenons le temps de déposer nos difficultés, nous échangeons et nous partageons tout ce que ça peut évoquer chez nous. C’est, je pense, une très précieuse ressource pour un jeune professionnel, qui a l’opportunité de se sentir écouté, soutenu.

La tolérance, une notion indispensable

Sylvain Campion : Finalement, je pense que nous sommes tous touchés par la question des dépendances. Il y a d’ailleurs des dépendances très saines, tout comme il y a des dépendances toxiques. Dans la vie, des choses qu’on ne maîtrise pas viennent parfois nous déséquilibrer, comme une rupture ou une perte d’emploi, et engendrer rapidement des problèmes de santé mentale. Même si l’on n’est pas personnellement touché par la question, il suffit bien souvent de regarder autour de soi pour trouver une personne de notre cercle qui rencontre un problème de dépendance. Souvent, il y a beaucoup de déni autour de cette question, que ce soit de la part de la personne elle-même, ou bien de son entourage. Il peut toujours être intéressant de se poser la question : de quoi suis-je dépendant et jusqu’à quel point ?

Mathilde Majois



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