Découvrez le métier de thanadoula : accompagner la vie jusqu’à la mort, tout en douceur

C’est dans un petit parc, tout proche du tumulte de la ville, que nous retrouvons Pascale Wargé, thanadoula. Si le métier de doula commence à se faire connaître, celui de thanadoula – doula de fin de vie – reste encore largement méconnu. Avec douceur et humilité, Pascale nous parle de ce rôle singulier, centré sur la présence et l’écoute en fin de vie. Pour le Guide Social, elle partage les défis, les joies et les espoirs liés à ce métier en devenir.
Le Guide Social : Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est une Thanadoula et en quoi consiste votre travail ?
Pascale Wargé : Le métier de thanadoula est encore très peu connu. Si nous sommes une dizaine en Belgique, c’est déjà beaucoup. Un jour, une psychologue m’a dit : « Mais ça, c’est un travail de psy ! » Pourtant, non : la thanadoula n’est ni psychologue ni soignante. Notre rôle est d’accompagner autrement.
Le Guide Social : C’est-à-dire ?
Pascale Wargé : C’est un accompagnement qui peut certes avoir des effets thérapeutiques, mais ce n’est pas notre objectif premier — d’ailleurs, je n’aime pas parler d’objectif. Il s’agit plutôt d’être là, pleinement, pour identifier les besoins de la personne en fin de vie, l’écouter, et l’aider à vivre cette étape le plus sereinement possible.
Là où une psychologue verra peut-être la personne une fois par semaine, où une assistante sociale passera de temps en temps, et où le médecin s’arrêtera quelques minutes, la thanadoula a une disponibilité bien différente. Elle crée aussi du lien entre les différents intervenants, notamment quand les émotions rendent la communication difficile ou floue.
Le Guide Social : Quand une personne apprend qu’elle est en phase terminale, elle reçoit souvent un flot d’informations qu’elle ne peut pas toujours intégrer.
Pascale Wargé : C’est là aussi qu’un accompagnement peut faire toute la différence.
Nous aidons à formuler ou mettre à jour les directives anticipées, à aborder le sujet des obsèques ou à organiser une fête d’au revoir avec les proches. Nous pouvons également soutenir la famille après le décès.
Autrefois, dans les villages ou les quartiers, tout le monde se mobilisait lors d’un décès. Il y avait une solidarité spontanée, une présence. Le voisin passait, le boulanger déposait du pain… Mais petit à petit, on a délégué la mort aux institutions. Un des rôles de la thanadoula, c’est de ramener cette humanité-là à la maison. Quand je parle de « maison », ce n’est pas forcément un domicile, c’est aussi une maison intérieure, une réappropriation intime de ce passage.
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"On n’est plus nommée, plus touchée autrement que pour des soins ou des gestes techniques"
Le Guide Social : Vous avez changé de voie il y a un peu plus de deux ans pour devenir thanadoula. Qu’est-ce qui vous a guidée vers ce métier ? Avez-vous suivi une formation ?
Pascale Wargé : Ce métier a germé il y a plus de vingt ans, lorsque j’ai moi-même été confrontée à la maladie. Pendant plusieurs mois, je ne savais pas si j’allais vivre ou non.
J’ai alors réalisé que l’on devient la malade, la chambre 352, le souci… On n’est plus nommée, plus touchée autrement que pour des soins ou des gestes techniques. J’ai senti le besoin d’un autre type de présence.
Je me suis formée à l’onco-massage avec Catherine Bauraind, une approche corporelle douce, adaptée aux personnes affaiblies par la maladie, les traitements ou simplement le grand âge. En fin de vie, le corps devient souvent hypersensible : ce type de massage peut être une source de réconfort immense.
Par ailleurs, j’ai longtemps travaillé dans un cabinet d’avocats, notamment sur des dossiers de succession. J’ai vu beaucoup de familles mal informées, désorientées. Et trop de personnes qui meurent seules.
J’ai donc commencé par me former comme bénévole en soins palliatifs chez Brusano, à Bruxelles, puis j’ai poursuivi mon parcours à l’école internationale d’accompagnement Cybèle.
Le Guide Social : À quel moment les personnes font-elles appel à vous ?
Pascale Wargé : Pour le moment, je fais encore peu d’accompagnements en tant que professionnelle. Mais j’ai accompagné plusieurs personnes en tant que bénévole, notamment via l’ASBL Sémiramis.
Pour se faire connaître, il faut bien sûr développer des outils de visibilité (site web, flyers, etc.), mais j’ai surtout remarqué que c’est lors de vrais échanges que les gens comprennent ce que je propose.
Mon rôle est aussi de réorienter vers d’autres structures, lorsque c’est nécessaire. Je sensibilise à ce métier encore peu connu : j’ai récemment animé un cycle de trois séances d’information dans une résidence, à la demande des familles.
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"Être thanadoula, c’est plonger dans l’intimité des gens"
Le Guide Social : Avant d’être thanadoula, vous avez exercé un tout autre métier. Cela a-t-il influencé la façon dont vous accompagnez les personnes en fin de vie ou leurs proches ?
Pascale Wargé : Chaque thanadoula a en effet sa propre couleur, en fonction de son parcours et de ses outils. Les miens sont l’écoute, l’information, une aide logistique ou administrative, et oui, le massage.
Un jour, j’ai accompagné une dame de 94 ans qui quittait sa maison pour entrer en résidence. Elle était en bonne santé, mais elle avait passé sa vie comme brocanteuse et devait trier toute une maison remplie d’objets chargés d’histoires. Chaque pièce avait son anecdote. Ce tri fut autant un chantier pratique qu’un chemin émotionnel.
Je me suis aussi formée aux ateliers "Carnets de deuil" avec Nathalie Hanot. Ce sont des espaces d’expression créative autour du deuil, qu’il s’agisse d’une personne, d’un emploi, d’une rupture ou même du syndrome du nid vide. On y explore toutes les étapes du deuil, avec des outils artistiques : écriture, collage, peinture...
Être thanadoula, c’est plonger dans l’intimité des gens. Il y a du sérieux, parfois de la gravité, mais aussi beaucoup de douceur, de joie, de soulagement même — car le soulagement aussi fait partie de certains deuils.
Le Guide Social : Vous animez également des "cafés mortels". Dites-nous en plus...
Pascale Wargé : C’est une initiative du sociologue suisse Bernard Crettaz. Il s’est rendu compte qu’auparavant, la mort créait du mouvement collectif. Aujourd’hui, elle est souvent reléguée à l’arrière-plan, peu ritualisée.
Les cafés mortels offrent un espace de parole libre, où l’on peut déposer ce que l’on ressent, partager son vécu. Parce qu’un deuil, c’est aussi une crise identitaire.
Et parfois, on n’ose pas tout dire à son entourage. Il arrive que les phrases bien intentionnées comme « Il faut tourner la page » fassent plus de mal que de bien. Les cafés mortels permettent justement de s’exprimer sans gêne, sans tabou.
"Je suis convaincue que ce métier va gagner en reconnaissance, un peu comme les doulas de naissance, il y a une vingtaine d’années"
Le Guide Social : Ce métier, encore émergent, peut susciter des malentendus ou des réticences. Que répondez-vous à celles et ceux qui doutent ou questionnent votre rôle ?
Pascale Wargé : Je ne suis pas là pour prendre la place de qui que ce soit : ni des soignants, ni des psychologues. Je propose quelque chose de complémentaire.
Il y a encore beaucoup de vides dans l’accompagnement de la fin de vie. Si je peux contribuer à combler ne serait-ce qu’un de ces vides, c’est déjà précieux.
Par exemple, de nombreux proches aidants ne savent même pas qu’ils portent ce rôle. D’autres ne remplissent pas toutes les conditions administratives pour être reconnus et aidés. Beaucoup ont peur d’être seuls au moment du dernier souffle. Une thanadoula peut être là à ce moment-là.
Je suis convaincue que ce métier va gagner en reconnaissance, un peu comme les doulas de naissance, il y a une vingtaine d’années. Il y a une vraie aspiration à revenir à plus d’humanité, de solidarité.
Le Guide Social : Avez-vous une anecdote à partager qui illustre bien l’impact de votre travail ?
Pascale Wargé : J’ai accompagné une femme jusqu’à son euthanasie, dans le cadre de mon bénévolat.
Elle était sereine, soulagée d’avoir obtenu l’accord médical. Sa famille respectait sa décision et faisait tout pour qu’elle profite de ses derniers jours. Il y avait du champagne, de la joie, beaucoup d’amour.
Je suis restée avec elle deux jours avant la date fixée. Nous avons parlé, ri, je l’ai massée.
Elle croyait qu’elle allait retrouver son époux de l’autre côté, et s’en réjouissait. Elle a été écoutée, entourée, touchée jusqu’à son dernier souffle. C’est ce que je souhaite à chacun.
Laura Mortier
Le métier de thanadoula reste encore discret, mais il répond à des besoins bien réels. À travers son engagement, Pascale Wargé participe à mieux entourer cette étape de vie, avec écoute et bienveillance. Pour en savoir plus sur son approche ou ses activités, vous pouvez consulter son site : www.pre-sens.be.
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