Médiateur interculturel hospitalier : Abdel raconte son métier
L’accès aux soins est un droit universel. Cependant, quand la langue et les codes sociaux diffèrent entre le prestataire de soins et le.la patient.e, prodiguer des soins devient un parcours du combattant. C’est alors que peut intervenir un.e médiateur.rice interculturel.le afin de faciliter le dialogue et dénouer les tensions. Abdel Ouadi, médiateur au CHU Saint Pierre nous en dit plus sur cette profession encore mal connue.
Le.la médiateur.rice est perçu.e du grand public comme une personne neutre qui accompagne les différentes parties à trouver un consensus durant un litige. Mais la médiation peut également avoir comme but de faciliter une relation entre deux parties qui se voit entraver par la barrière de la langue et des codes culturels. Dans le milieu hospitalier, cette fonction semble primordial à des fins de soins de qualité. C’est le rôle que remplit Abdel Ouadi depuis plus de 10 ans en langues arabe au CHU Saint Pierre.
Une quête de sens
Le.la médiateur.rice interculturel.le a pour mission d’être un intermédiaire entre les patient.e.s qui veulent exprimer des symptômes et des prestataires de soins qui souhaitent y répondre. Abdel Ouadi se considère comme facilitateur de liens : “Le médiateur est celui qui fait le pont entre les cultures et qui se charge de faciliter la relation entre le prestataire de soins et les patients.” Vaste programme que d’orienter deux cultures très différentes vers une compréhension mutuelle. Ainsi, la traduction mot pour mot, ici, n’est pas efficace, c’est bien le sens que l’on cherche à faire émerger. “Le médiateur dans un institut hospitalier est là pour assurer une fonction d’interprétation et d’adaptation du message. C’est à dire qu’on fait du décodage culturel, d’un geste, d’un mot, du fait de ne pas répondre, de regarder en haut, à droit... La culture c’est la manière de penser, d’agir et de sentir et tout ça on ne le fait pas de la même manière entre les cultures. Donc, nous on décode la manière de penser, d’agir et de sentir et on transite ça au prestataire pour qu’il puisse prendre conscience de la raison de la présence du patient dans son cabinet.”
L’interprétation se concrétise également par la suppression de tous les éléments inutiles aux messages comme l’énervement et les tensions. “Ça peut arriver que le patient soit nerveux, impoli, vulgaire ou que le prestataire soit nerveux aussi ou perde patience et lorsqu’on est énervé, la communication s’altère. Ainsi, le médiateur atténue les tensions en prenant le message et en retirant tout le surplus (énervement, vulgarité...) et passe le message qu’ils veulent faire passer.”
Médiateur.rice : des profils variés
Ne cherchez pas, il n’existe pas de cursus à proprement parler pour devenir médiateur.rice interculturel.le. C’est une spécialisation complémentaire à un cursus de base. “De formation, je suis Assistant Social (AS) et j’ai vu une offre sur le GuideSocial.be. Mon profil répondait aux conditions car il y a du social, alors j’ai postulé. Et ça fait plus de 10 ans que je fais ce métier.” La formation initiale d’AS est une vraie source de connaissances et de compétences complémentaire à celles de médiateur.rice car avant d’intervenir dans la relation soignant.e - patient.e, le.la médiateur.rice agit en amont sur le pan administratif. “Être AS m’aide beaucoup dans ce métier, parce que quand une personne ne parle pas la langue du pays d’accueil, cela suppose qu’elle est ici depuis peu de temps. Nous sommes dans un pays contractuel, c’est donc très différent des pays d’origine et les gens ne
s’en sortent pas.” Il ajoute : “Par la force des choses, ce sont des gens qui n’ont pas les moyens donc il y a un gros aspect administratif. C’est là qu’il y a un lien entre l’AS et le médiateur, il y a une complémentarité, car on est amené à aider les gens à comprendre le système.”
D’autres formations initiales permettent également d’accéder à cette spécialisation. A l’hôpital Saint Pierre, l’équipe de médiation interculturelle est composée de 6 professionnel.le.s issues de cursus en interprétariat ou en psychologie.
“On est des petites clés”
Le gouvernement s’est penché sur la question de la médiation interculturelle dans les années 90 en proposant un ensemble de formations de remise à niveau de 150 à 200h. Pour les médiateur.rice.s fraîchement formé.e.s, il ne restait plus qu’à se faire connaître au sein de l’établissement hospitalier. “Il a fallu beaucoup de temps pour qu’on soit reconnu. Nous avons formé nous même le corps soignant, on a édité des folders, diffusé des spots dans l’hôpital pour faire connaître la médiation.”
Aujourd’hui, l’utilité de ce service ne pose plus question. Les médiateur.rice.s permettent de gagner du temps lors de la consultation et d’éviter des examens inutiles. “Maintenant, la majorité du personnel de l’hôpital a compris que nous étions comme des petites clés, que nous ouvrons des portes. On permet de ne pas perdre du temps, de calmer les tensions, causées par des problèmes de communication. On ne peut pas soigner quelqu’un si on ne le comprend pas. On perd du temps, de l’argent, c‘est donc indispensable.”
Médiation en-dehors les murs
La médiation va au-delà des murs du cabinet. En effet, elle intervient à plusieurs stades du parcours de soins. “La médiation interculturelle est un travail de proximité, c’est-à- dire que par la force des choses ont se trouvent proches des prestataires, mais aussi de nombreux professionnels de l’hôpital comme les secrétaires. Elles peuvent avoir du mal à comprendre la langue ou simplement à accepter quelqu’un en retard. On est partout, à toutes les étapes par lesquelles le patient passe pour avoir accès aux soins.”
Et même en dehors des murs de l’hôpital via la vidéoconférence : “On fonctionne aussi par vidéoconférence à travers des permanences partout en Belgique. Ainsi, tous les médecins qui sont devant quelqu’un avec qui ils n’arrivent pas à communiquer, peuvent m’appeler et je réalise la médiation via la vidéoconférence.”
Pas de routine et de la culture générale au quotidien
Travailler au sein d’un hôpital en tant que médiateur.rice signifie qu’on peut être appelé à intervenir dans tous les services. Ils.elles côtoient ainsi différent.e.s prestataires, différents types de patient.e.s, différentes pathologies... La routine ? Elle n’existe pas ici. “En tant que médiateur, il n’y a pas de journée type. Le matin, je jette un coup d’œil à mes mails et j’ajuste mon agenda par rapport aux demandes. Mais on n’a pas que les rendez-vous, il y a aussi les urgences qui peuvent émaner de tous les services, kiné, gynéco, ORL, dermato... On jongle entre les rendez-vous et les urgences. On doit avoir des baskets car du travail, on en a.” C’est aussi l’occasion d’assimiler de nouvelles connaissances. “Être médiateur, c’est gratifiant car en termes de culture générale, on apprend tous les jours. Avec les médecins, avec les AS, les psy, les pathologies... c’est de la culture générale.”
"Il faut être issu de la culture”
La culture se traduit à travers les mots mais tout autant à travers les gestes et les attitudes. Être originaire de la culture permet de sentir et ressentir autant le verbal que le non-verbal. Ce qui semble important à la réussite d’une bonne médiation. Pour Abdel Ouadi, c’est “indispensable. Il faut être quelqu’un issu de cette culture, qui a baigné dans la culture, dans la langue, le pays pour pouvoir comprendre ce qu’il se passe dans la tête de la personne et réagir vite. Parfois la personne ne parle pas et c’est pour dire quelque chose. Ainsi, pour être un bon médiateur il faut interpréter ce qu’il se dit et ce qu’il ne se dit pas.”
De nombreux exemples permettent d’en rendre compte : “Par exemple, il y a des personnes qui viennent de la campagne syrienne qui pour dire non ne hoche pas la tête mais jette un regard vers le haut et ne parle pas. Pour certaines femmes syriennes, ça ne sert à rien de leur demander leur âge ou leur poids. Elles rigolent car elles ne comprennent pas l’intérêt de ces questions. Ou encore, une médecin demande à une femme combien elle a d’enfants. La femme me regarde et me demande si la médecin veut prendre son enfant en charge. Et ce n’est pas méchant mais elle a trouvé cette question bizarre. Ces femmes ont entendu un peu partout comme quoi elles font beaucoup d’enfants et donc elle a pu prendre cette question comme un reproche. Mon objectif c’est donc de montrer le fondement des questions du prestataire.”
Faire face à la frustration
Etant sur plusieurs fronts, les rendez-vous, les urgences mais aussi les demandes sur le vif des différents membres du personnel, la frustration peut se présenter face à l’impossibilité de tout gérer Pour Abdel Ouadi, c’est l’aspect le plus pénible de son métier : “ Le plus difficile, c’est gérer la journée. On peut avoir de la frustration. Par exemple, si j’ai un rendez-vous et que je fais passer l’urgence avant le rendez-vous, le prestataire ne va pas accepter ou se sentir laissé pour compte. On tente de satisfaire toutes les demandes mais par moment il y a trop de demandes et c’est donc difficile de jongler avec les rendez-vous et les urgences.”
"Sans toi, je n’aurais jamais réussi !”
Quand les demandes des patient.e.s sont comprises, que les questions des prestataires trouvent leur sens et qu’aboutie une consultation et un accès aux soins de qualité, la gratification est grande. Pour le médiateur c’était un saut dans l’inconnu qui se révèle être le bon choix. “Au début ce métier était inconnu et j’ai hésité à postuler mais j’ai appris à aimer ce métier parce que quand on voit qu’on a réussi à faciliter la relation et à rendre les soins possibles, c’est super. Et on a des retours aussi, de la part des prestataires et des patients. Quand les patients te disent “Merci, sans toi je n’aurais jamais réussi” ou le prestataire qui te dit “J’adore quand vous êtes là car vous allez directement au but et ça facilite tout.” Ça nous donne de l’énergie pour donner encore et encore.”
A. Teyssandier
Et pour aller plus loin :
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