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Portrait du fondateur de l’ASBL Extramuros : « Mon passé d’ex-taulard ? Je ne veux pas le traîner comme un boulet ! »

12/01/23
Portrait du fondateur de l'ASBL Extramuros : « Mon passé d'ex-taulard ? Je ne veux pas le traîner comme un boulet ! »

La joëlette est le symbole de l’ASBL Extramuros, créée par Serge Thiry en 2013. A des fins d’inclusivité, l’ancien détenu a souhaité regrouper dans une même équipe des jeunes aux trajectoires différentes ainsi que des jeunes à mobilité réduite, dans le cadre de séjours de randonnée. En plus de la sensibilisation dans les auditoires, c’est dans l’action collective qu’il chercher à casser les murs entre les individus. « Le monde du handicap et moi avons un point en commun : être mal perçu par la société ! » Récit de vie…

Serge Thiry est un ancien détenu qui, peines cumulées, a passé 27 ans en prison. A sa sortie à 50 ans, il décide d’entrer en résilience par le biais de la sensibilisation des jeunes dans les auditoires de secondaires et d’écoles supérieures. Il a également créé l’association Extramuros qui propose des séjours de marche adaptés aux personnes porteuses de handicap grâce à des joëlettes. Il nous accueille dans son appartement à Charleroi très soigneusement décoré. « J’ai longtemps été enfermé en cellule. Alors où j’habite c’est déterminant, je veux me sentir bien. » Après un morceau de guitare, il nous raconte son vécu et l’importance des expériences en collectif pour mieux se connaître et aller au-delà des préjugés.

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« On ne vient pas au monde pour aller en prison, il y a forcément des antécédents, des mauvais choix »

« Ma particularité est d’être un ex-taulard. J’ai passé 27 ans de ma vie en prison, ce n’est pas rien. Quand je suis sorti, je ne savais pas trop quoi faire avec ce passé. Mais un jour, j’ai décidé d’en faire un outil et de sensibiliser. J’ai voulu raconter mon histoire avec ma guitare, comment un enfant devient un bandit. Qu’est-ce qu’il se passe dans sa vie. On ne vient pas au monde pour aller en prison, il y a forcément des antécédents, des mauvais choix... » C’est ainsi que débute notre entretien avec Serge Thiry alors que l’on s’installe dans son grand salon.

« Je n’ai pas été au-delà de la cinquième primaire, mais en cinquième primaire on apprenait à jouer du pipeau et quand j’ai eu ma première guitare en prison, j’ai essayé de rejouer les morceaux que je réalisais à l’époque. Puis, j’ai appris les accords et c’était parti. Un jour, on a frappé à la porte de ma cellule, ce qui n’arrive jamais, les surveillants ne font pas cela avant d’entrer. Ce n’est pas le Club Med… J’invite la personne à entrer dans ma cellule et c’est une femme qui ouvre la porte et qui se présente comme aumônière du culte catholique. Le son de ma guitare l’a interpellée et elle me propose d’accompagner la chorale de Noël qu’elle anime. J’ai accepté et j’ai bien fait. » En effet, aujourd’hui, à l’extérieur, sa guitare l’accompagne lors de toutes ses interventions : il finit toujours avec une chanson écrite en prison. « J’ai beaucoup écrit durant ma détention, c’était une question de survie. »

La volonté de résilience débute quelques mois après sa sortie en 2004 quand un aumônier connu en prison, également professeur dans un internat, lui propose de venir avec sa fameuse guitare parler à ses étudiants en rhéto : « N’ayant jamais fait cela, je ne me sentais pas légitime. En plus, j’allais exposer un parcours pas très sympa. Mais finalement, j’y ai été et j’ai parlé à ces jeunes de ma vie. » Des applaudissements des étudiants naît la révélation. Il ne traînera pas son passé « comme un boulet ». Il sera un outil, quelque chose de positif.

Ainsi, depuis presque 18 ans, Serge Thiry intervient durant deux heures auprès de jeunes en rhéto ou d’étudiant.e.s en droit afin d’apporter un témoignage de l’intérieur. Offrir la voix d’une personne qui a vécu la privation de liberté. Sensibiliser et déconstruire les idées reçues sur les prisons lui tient particulièrement à cœur « J’entends dire que la prison, c’est le Club Med car on a la télé. J’invite ces gens à y aller ! Il faudrait organiser des portes ouvertes pour que les personnes confrontent leurs idées de la prison à la réalité. »

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« On essaie de faire un bout de chemin ensemble, on apprend à s’apprivoiser, à se parler »

Ballotté entre sa famille, frappée par la précarité, et les familles d’accueil, le sentiment d’exclusion fait rapidement son apparition chez l’homme. C’est d’ailleurs pour lui, une des racines de la délinquance : « Je viens d’un milieu de mineurs ravagés par la silicose. J’ai été placé par la mutuelle. Je partais six mois, je revenais six mois. Je vais parfois dans des écoles à Molenbeek, Schaerbeek ou Saint-Gilles et mon récit les touche car ils ont soit un frère ou un membre de la famille en prison. La délinquance, pour moi, trouve souvent son origine dans l’exclusion. Les jeunes que j’ai eu l’occasion de rencontrer à Molenbeek me disaient que quoiqu’ils fassent, ils ont toujours le sentiment d’être exclus. »

De la rencontre avec ces jeunes naît le désir d’en faire davantage, d’être dans l’action, le concret et le collectif. « Je ne viens que deux heures et après je m’en vais. Ça n’est pas suffisant alors j’ai décidé de monter l’ASBL Extramuros dans laquelle j’organise des séjours joëlette. Il s’agit de fauteuils de randonnée pour personnes à mobilité réduite. »

Les séjours consistent à partir quelques jours avec plusieurs jeunes. Des jeunes « qui vont bien, d’autres qui vont moins bien » et un.e ou deux à mobilité réduite. Le groupe part une semaine ou un week-end avec des professeurs, des éducateur.rice.s, Serge et son amie.

La joëlette est le moyen de locomotion qui permet aux jeunes porteur.se.s de handicap de participer aux randonnées. Il est composé d’un fauteuil reposant sur une roue avec une suspension agrémenté d’un brancard avant et arrière : « Le principe c’est : tu es fort, tu es debout sur tes deux jambes ? Alors partages ton énergie avec quelqu’un qui n’est pas capable de se déplacer seul ! On est monté à 4.000 mètres dans les Pyrénées, on a été à Deauville et en Champagne. Voilà, c’est ce que je fais maintenant. Avant je braquais des banques, maintenant je fais ça. »

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Le collectif est au cœur de sa démarche

L’idée est née après que Serge Thiry ait travaillé pendant deux ans au village Reine Fabiola en tant qu’animateur. Il proposait alors un atelier de djembé pour un public trisomique et autiste qu’il accompagnait à la guitare : « Ça m’a formé au monde du handicap et j’ai identifié qu’on avait un point en commun : être mal perçu par la société. »

Le collectif est au cœur de ce que souhaite mettre en place Serge Thiry : « On essaie de faire un bout de chemin ensemble, on apprend à s’apprivoiser, à se parler. J’ai des jeunes qui me suivent pendant des années. Mon but est d’entrer en contact avec les jeunes. Je suis passionnée par ce que je vis ! »

Durant les séjours, interviennent donc Serge qui témoigne de son histoire mais aussi une maman dont le fils s’est radicalisé et a été tué en Syrie ainsi que Naomi qui réalise de la cyclodanse, soit de la danse en fauteuil. Ces différents moments sont l’occasion de rencontres conviviales et solidaires entre différentes générations et origines sociales.

Le prochain séjour est prévu dans la nature luxembourgeoise : « Quand c’est plat, ça ne nous intéresse pas », conclut-il en riant.

A. Teyssandier



Commentaires - 1 message
  • Votre témoignage est magnifique, super enrichissant, énergisant, inspirant...Merci pour toutes vos actions pour un monde meilleur, une société plus humaine et juste...ce partage est indispensable ????

    Beeckmanc jeudi 12 janvier 2023 11:29

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