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40.040 jeunes pris en charge par l’Aide à la Jeunesse : jusqu’où les équipes de terrain peuvent-elles tenir face à l’Arizona ?

19/12/25
40.040 jeunes pris en charge par l'Aide à la Jeunesse : jusqu'où les équipes de terrain peuvent-elles tenir face à l'Arizona ?

Lors du piquet de grève du 26 novembre, les professionnels de l’aide à la jeunesse se sont rassemblés pour exprimer leur fatigue et leurs inquiétudes quant à leurs conditions de travail. Dans cette carte blanche, ils témoignent d’un système à bout et alertent sur les limites de leur capacité à continuer d’assurer leurs missions, dans un contexte de restrictions budgétaires et de mesures controversées liées à l’Arizona.

Ce matin et comme toutes les deux semaines, nous allons visiter Sybelle à son domicile. Elle a deux enfants de 6 et 15 ans que nous accompagnons sous mandat du SAJ car Sybelle, en raison de son trouble bipolaire, sa situation précaire et ses nombreux traumatismes, a besoin de soutien dans l’exercice de sa parentalité. Ce matin, Sybelle est agitée et son discours semble décousu. Elle nous explique ne plus prendre ses médicaments. Alors qu’on s’apprête à rentrer dans de grandes investigations sur l’avis de son psychiatre, elle nous explique : "Monsieur Bart de Wever va me remettre au travail. Je serai incapable de travailler avec un traitement pareil, c’est pour ça que j’ai arrêté." (Un SASe)

Stop aux effets d’annonce politiques

Bien sûr que Monsieur de Wever ne va pas se rendre chez Sybelle. Il est même probable qu’elle ne soit pas amenée à reprendre le chemin du travail, tant elle est envahie et handicapée par ses difficultés de santé mentale. Néanmoins, cette maman déjà fragilisée par son parcours et la rigueur institutionnelle qui l’entoure, dispose aujourd’hui de supports supplémentaires pour alimenter son angoisse, d’une nouvelle confirmation que personne ne sera en mesure d’entendre sa difficulté, qu’aucune perspective d’apaisement ne se dégage pour elle.

On ne peut pas dire que le secteur de l’Aide à la Jeunesse était déjà en grande forme. Il ne faut pas chercher loin, toutes les études officielles publiées par l’Administration l’évoquent depuis des années. Le SAJ nous prévenait cet été de son impossibilité à assurer la permanence téléphonique quotidienne. Le nombre de situations ne cesse d’augmenter, car les enjeux sont plus graves, les ressources structurelles manquent, les prises en charge sont de plus en plus longues et complexes [1]. Les besoins non-rencontrés sont abyssaux. En 2023, 54% des besoins en accompagnement n’étaient pas pourvus, 36% pour ce qui est des éloignements en SRG. Cela représente respectivement 4.883 et 3.824 places [2].

Lire aussi : Aide à la jeunesse : quand les violences politiques succèdent aux violences familiales

Besoin de plus de places et de moyens

Derrière l’abstraction de ces chiffres se nichent des souffrances d’enfants, de jeunes et de familles. Comme celle de Lydia qui a 15 ans. Sa mère est décédée et son père a fui depuis longtemps. Elle vit dans une maison avec ses frères. En octobre, ses frères l’ont tabassée. Ce n’est pas la première fois que ça arrive. Depuis octobre, la déléguée cherche une place ; SRU, SRG, SROO, SRJ. Ça fait deux mois qu’elle attend, hébergée provisoirement chez une amie. Ou comme Diana, 13 ans, contrainte de vivre provisoirement chez sa tante et de croiser quotidiennement sa mère, qui a pourtant une interdiction de contact à son égard.

A leur côté se trouvent des travailleuses et travailleurs sociaux, qui luttent déjà pour faire valoir des droits sans moyens et pour combattre une violence institutionnelle à laquelle ils contribuent malgré eux.

Mais, ces enfants habitent le monde commun, déjà marqué d’inégalités structurelles auxquelles toute la population est confrontée. En termes de logement par exemple : à ce jour, à Bruxelles, 10,9% des enfants n’évoluent pas dans un logement salubre [3]. Devant cette réalité alarmante, les jeunes adultes ou vieux ados déclarés “autonomes” cherchent sans trouver des espaces où vivre, parfois en urgence, et les services poussent les murs de leurs solutions bricolées. La pauvreté, la crise de l’accueil, les 37% de jeunes qui déclarent des difficultés de santé mentale, sont autant de terrains de vulnérabilités qui atteignent aux droits des enfants.

Stop à la mise en marge continuelle des plus précarisés

Les initiatives du gouvernement Arizona, qui tentent de combler le déficit budgétaire national à l’aide de coupes dans les dépenses publiques et impactent structurellement le secteur associatif, nous paraissent, comme le souligne le Délégué général aux droits de l’enfant, constituer des "reculs en matière de solidarité, de lutte contre la pauvreté infantile, d’accès à la santé, ou encore sur les politiques migratoires qui bafouent l’intérêt supérieur des enfants". Nous croyons en l’Etat de Droits comme socle d’une société que nous voulons démocratique.

Comment comprendre le choix politique de précariser encore l’accès aux aides sociales des familles déjà démunies, en répercutant une masse d’allocataires sur les CPAS déjà débordés ? De soutenir une "remise au travail" en dépit des avis médicaux légitimes, dans un monde de productivisme où le travail est une source objectivée de morbidité ? De décourager l’accès à la culture, aux activités de prévention, aux études supérieures, qui sont pourtant les fils ténus saisissables par des jeunes isolés pour résister à la violence symbolique ? Comment comprendre la décision d’atteindre aux salaires de professions déjà désertées, alors que leur impact social est indispensable ? Et nous, comment pouvons-nous continuer à exercer nos missions avec éthique et la conviction d’oeuvrer à une réponse citoyenne à la vulnérabilité alors que les politiques publiques y investissent de moins en moins de moyens et de sens ?

Lire aussi : Désengagement dans le secteur de l’Accueil de l’Enfance : "Il n’y a plus d’os à ronger !"

Stop au retrait des moyens des travailleur.ses + le RIS est inférieur au seuil de pauvreté

Ce sont 40.040 jeunes vivant en Fédération Wallonie-Bruxelles [4] qui, en difficulté ou en danger, sont pris en charge par l’Aide à la Jeunesse, et sont déjà tributaires de l’isolement, de violences, d’inégalités. Ces enfants et leurs familles ont besoin, urgemment, de moyens leur permettant d’accéder à leurs droits fondamentaux : des espaces de protection, des structures d’accompagnement disponibles outillées, des dispositifs de soins accessibles, des logements salubres, etc. Finalement, des services publics à la hauteur de la valeur qu’on leur accorde.

Nous refusons de tolérer toute mesure d’austérité prise sur le dos de ces enfants, nous refusons de mettre leurs droits fondamentaux en variable d’ajustement budgétaire, nous refusons de participer davantage à l’écrasement social des populations vulnérabilisées.

Un collectif de travailleur.euses de l’Aide à la Jeunesse
ajenlutte@gmail.com

Savoir plus :

[1] : Etude de la complexité des prises en charge au sein du secteur de l’Aide à la jeunesse en fédération Wallonie-Bruxelles, 2025, p.56
[2] : Analyse relative aux besoins de prises en charge en hébergement et hors hébergement, dans le cadre d’un danger ou d’une difficulté, pour l’ensemble des arrondissements et divisions de la Fédération Wallonie-Bruxelles, 2023, p.14
[3] : Etats des lieux de l’enfance et la jeunesse en FWB 2023-2024, p.16
[4] : https://statistiques.cfwb.be/aide-a-la-jeunesse/population-beneficiaire-de-laide-a-la-jeunesse/nombre-de-jeunes-pris-en-charge/




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