Aide à la jeunesse : quand les violences politiques succèdent aux violences familiales
Depuis plusieurs années maintenant, les professionnels du l’Aide à la jeunesse tirent la sonnette d’alarme. Ils déplorent à corps et à cri le manque de places d’hébergement, plongeant jeunes et travailleurs dans un profond désarroi… Témoins de cette situation, des éducatrices de l’Aide à la jeunesse ont livré, sans concession, au Guide Social leurs expériences de terrain. Découvrez l’épisode 2 de notre série consacrée à l’Aide à la jeunesse et à son personnel !
[Dossier] :
- Episode 1 : Evolution et préoccupations pour l’Aide à la jeunesse : la parole aux travailleurs
- Episode 3 : Aide à la jeunesse : un travail exigeant et passionnant
- Episode 4 : Le quotidien d’un service résidentiel général
Le 9 avril dernier, la CSC dénonçait la situation du secteur de l’aide à la jeunesse dans un communiqué de presse : « La FWB annonçait dans sa DPC 2019-2024 que ’chaque enfant ayant à subir des négligences ou des maltraitances diverses, chaque jeune en danger ou en difficulté grave doit pouvoir disposer d’une aide spécialisée adaptée’. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Le sous-financement du secteur ne permet pas une prise en charge adaptée et humaine de ces jeunes en détresse voire parfois en danger de mort.
Les acteurs de terrain sont unanimes, sans réponse humaine à ces cris de détresse, c’est l’avenir de notre société qui est mis à mal : nous ne pouvons pas laisser de côté les plus vulnérables en ne leur proposant aucune place décente dans la société actuelle.
Les travailleurs du secteur public, les travailleurs du secteur non marchand, des magistrats, des acteurs de la société civile, le DGDE, tous sont unanimes pour dénoncer le manque de moyens criant dans le secteur de l’aide à la jeunesse.
Ce manque de moyens génère de facto des premières lignes qui craquent, contraintes d’orienter les jeunes dans des dispositifs inadaptés faute de places, de laisser des situations dégénérer, voire même tout simplement de ne pas les prendre en charge. »
Un manque criant de places d’hébergement, jeunes et travailleurs en détresse
Qu’en est-il sur le terrain ? Le Guide Social est parti à la rencontre de travailleurs du secteur et leur constat est sans appel !
« Il y a un manque criant de places d’hébergement. Je ne voudrais pas être délégué SAJ ou SPJ. Une de structures avec qui on travaille a, pour le moment, 47 jeunes en attente d’une place en hébergement. Ça leur est déjà arrivé de loger des jeunes à l’hôtel ou en auberge de jeunesse en attendant qu’un lit se libère. C’est monstrueux, aussi bien pour les jeunes que pour les travailleurs qui, chaque jour, rentrent chez eux en sachant qu’ils n’ont pas de solutions à proposer à ces jeunes en attente, malgré le travail acharné qu’ils font. Certains passent leur journée au téléphone à chercher des solutions », confie Marine, éducatrice depuis 24 ans au sein d’un service résidentiel général situé en milieu rural et accueillant théoriquement 15 enfants.
« Nous sommes régulièrement en surcapacité, c’est le cas de tous les services. Nous faisons très attention à maintenir un équilibre entre la dynamique de groupe et les besoins individuels », poursuit-elle.
Des jeunes broyés par le système
Le manque de places d’hébergement crée des problèmes dramatiques à long terme. « Actuellement, on attend trop longtemps avant de placer certains jeunes en institution, alors qu’ils devraient clairement l’être, au vu des problématiques vécues dans leur milieu familial », dénonce Rachelle, éducatrice au sein du même service que Marine.
Et de rajouter : « Lorsque ces jeunes sont placés, parfois des années après le début du travail en famille, ils sont détruits, non seulement par ce qu’ils ont vécu chez eux, mais aussi par toute cette violence institutionnelle. Ils n’ont plus aucune confiance dans le système et leurs familles non plus. Il nous faut parfois des années pour établir un lien ténu avec ces familles. La confiance, parfois, ne s’établit jamais. »
Le devenir de nombre de ces jeunes malmenés par le système n’est pas toujours rose. Si certains parviennent à trouver un équilibre et à se construire, pour d’autres, c’est loin d’être le cas : « Par exemple, nous avons accueilli un jeune qui avait tardé à être placé, puis avait été traîné de lit d’urgence en lit d’urgence. Aujourd’hui, il est SDF. »
Une violence politique aux airs de cauchemars
Cette violence, que l’on peut qualifier de politique, tant elle résulte du manque de moyens mis en œuvre par nos décideurs, prend en effet parfois des airs de cauchemars, comme nous le confie Marine : « Certains jeunes errent de placements d’urgence en placements d’urgence. À une époque, ils changeaient de lit et de ville tous les 6 jours. Parfois, quand ils avaient de la chance, ils pouvaient rester 60 jours dans un service. Nous avons eu pendant un temps une place d’accueil d’urgence, mais nous avons dû prendre la décision d’arrêter il y a quelques années car l’accueil de ces jeunes mettait en péril le reste du groupe. C’était des jeunes bien trop abîmés d’avoir été transbahutés de la sorte. En si peu de temps, il n’est pas possible de créer un lien de confiance, on ne fait que les héberger, ils ne se sentent et ne se savent même pas en sécurité. Comment le pourraient-ils, sans savoir où ils seront la semaine suivante ? »
Ces dispositifs d’urgence avec des durées d’accueil si brèves n’existent actuellement plus, ayant été remplacés par des services résidentiels d’urgence (accueil de 20 jours, renouvelable une fois, 45 jours en famille d’accueil).
Lire aussi : Une matinée à la Traversée, le nouveau service résidentiel d’urgence
Pour ces professionnels, il est difficile de ne pas imputer la situation actuelle de leur secteur à une volonté de réduction des coûts. En effet, les places d’hébergement coûtent cher, plus que les services d’aide en milieu familial. Mais moins que la prise en charge à vie d’un jeune dont les possibilités d’épanouissement ont été broyées par le système. A bon entendeur…
MF - travailleuse sociale
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