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Santé mentale, marchandisation grandissante des soins... quelles dérives ?

24/11/17
Santé mentale, marchandisation grandissante des soins... quelles dérives ?

Vendredi 17 novembre se tenait un colloque concernant la santé mentale, les nouvelles politiques mises en place par les ministres en charge et les dérives qu’elles engendreront pour le secteur. Au programme : réflexions sur les réformes de la ministre de la santé, Maggie De Block, la vision evidence-based, la marchandisation grandissante des soins et les conséquences que ces facteurs ont sur le travail des professionnels.

Le domaine de la santé mentale connait quelques importants changements depuis à présent un an et demi. A l’origine : la proposition de loi de la ministre de la Santé, Maggie De Block, de limiter l’exercice de la psychothérapie aux seuls psychologues cliniciens, orthopédagogues cliniciens et médecins. Exit les thérapies plurielles, welcome les protocoles de soins hyper spécifiques, où la personne doit répondre de certains symptômes précis en vue de la mener vers une guérison totale et définitive. Si plus d’un professionnel crie au scandale, la loi est en application. Mesure de contrôle déguisée ou réel progrès, le secteur de la santé mentale ne cesse de s’interroger et d’imaginer les conséquences de cette pratique, à terme. Le 17 novembre se tenait un colloque intitulé Nouvelles politiques en santé mentale : Enjeux et risques. Pourquoi résister ? Extraits choisis de certains intervenants.

La santé, une matière à « manager »

Pour Marie Brémond, du collectif des praticiens de la parole Copel-Cobes, Le modèle unique de thérapie et la disparition de la parole sont bien les effets pervers que produiront notre future réforme de santé de l’état dont la loi De Block concernant le statut de l’exercice de la psychothérapie datant du 6 juillet 2016 et les rapports du centre fédéral d’expertise des soins de santé, KCE (modèle de remboursement et de réorganisation des soins psychologiques et orthopédagogiques en Belgique, 2016, et « vers un plan intégré d’Evidence Based Practice » en 2017) sont les dernières illustrations. Cette loi et ces rapports participent d’un mouvement idéologique issu des théories de gestion et management actuels en santé publique.

Dans un objectif de réduction de coût en santé en premier lieu, la ministre de la santé a souhaité implanter un modèle qui permette de lier efficacité et économie, calqué grossièrement sur le modèle de l’entreprise. Le soin, le corps et le psychisme sont devenus des marchandises, et le sujet contraint d’apprendre à reconnaître la valeur marchande de sa parole, celle qui lui rendra un métier par exemple, en cas de burn out, ou lorsqu’il doit répondre aux entretiens pensés par Actiris et le Fond Social Européen dans le cadre de la réinsertion professionnelle après la prison, dont le seul souci est de savoir si le sujet est apte ou non à la remise à l’emploi. Notre collectif n’a de cesse de mettre en valeur par des textes les effets déshumanisants de cette dérive étatique.

Ce modèle de rentabilité économique ne serait pas ce qu’il est s’il n’était pas au service d’une idéologie plus profonde que la logique marchande, la logique managériale technoscientiste qui croit en la production d’un espace de soin non dialectique, c’est à dire sans espace privé, où tout serait publique et transmissible. L’espace privé, celui qui définit la parole intime complexe, opaque qu’on adresse à son médecin, son psy ou son éducateur, est un non-lieu dans l’esprit du gestionnaire. Au coeur du nom du collectif le choix de ce terme « parole » comme un acte de résistance essentiel à ce qui vise sa destruction.

Cette fameuse evidence-based practice

Également fortement critiquée, l’approche exclusivement evidence-based que prône Maggie De Block. Marie Brémond continue : L’Evidence Based Practice s’est transformée depuis sa création par D.Sackett qui promouvait à l’époque une Evidence Based Medicine sur un trépied constitué par une expertise clinique, le choix du patient et les références evidence-based dans la recherche. Ce trépied est devenu dépassé pour le ministère de la santé. L’evidence based practice ne fait plus de place à l’expertise clinique ou au choix du patient, la simplification du soin est telle qu’il ne s’agit plus que d’adopter les références désormais répertoriées dans la base de données de l’EBMpracticeNET.

Une conséquence d’une telle vision engendre une perte de sujet de la parole. En effet, puisque le patient en est réduit à une série de protocoles, déshumanisation rime avec accompagnement. Au centre, une volonté de rééduquer à tout prix, puisque les manquements de la personne ne peuvent provenir que de déficits d’apprentissage.
Désormais également, l’evidence-based suppose que tous les sujets deviennent comparables et ne prend plus en compte l’unicité du patient. Dans cette logique de la comparaison, la sphère de ce qui échappe, c’est à dire l’insocialisable, le privé, l’intime qui se loge dans la parole entre soignants et soignés disparaît et avec elle l’idée qu’un espace lui serait nécessaire.

Un modèle anglo-saxon

Hélène Coppens, psychologue clinicienne, qui participait à cette journée, a choisi un exemple concret pour illustrer les dérives de telles mesures, majoritairement tirées des modèles de soins anglo-saxons, dont les limites ont été démontrées plus d’une fois. Ainsi, elle explique avoir reçu une jeune patiente belge vivant à Londres depuis quelques temps, qui souffrait d’angoisses depuis la mort de son chien.

Épuisée, assez isolée, elle a alerté son médecin traitant londonien de son malaise et a demandé à être dirigée vers un psy. Le médecin lui prescrivit des séances par téléphone avec un counseller. Celui-ci lui dit que lorsqu’elle avait des crises d’angoisse, elle devait faire des exercices de respiration et lui a donné les coordonnées du site internet sur lequel elle pouvait trouver ces exercices. Insatisfaite, la jeune femme est retournée voir son médecin car elle voulait voir “une vraie personne”. Le médecin lui fait alors une autre prescription et elle se retrouve devant une dame qui lui demande de mesurer sur une échelle l’intensité de ses angoisses, elle ne lui demande les raisons de son malaise. Elle n’y retourne pas, se sent extrêmement démunie et décide de rentrer quelques temps en Belgique.

Hélène Coppens poursuit Cette patiente, si elle n’était pas rentrée en Belgique, aurait tout aussi bien pu se retrouver en psychiatrie à Londres car l’étrangeté du monde dans lequel elle vivait devenait de plus en plus prégnante, la mettent dans un état d’inquiétude et de malaise grandissant. Le fait de l’écouter, de la recevoir quelques entretiens ne l’a pas évidemment tirée d’affaire mais a pu, pour un temps, l’apaiser, lui permettre de retrouver un travail, sans doute pour un temps, et lui donner l’idée que si cela ne va pas plus tard, elle pourrait éventuellement consulter un psy à nouveau. C’est nettement moins cher et cela fait moins de dégât qu’une première hospitalisation en psychiatrie…

Voilà donc probablement les soins du futur si nous ne nous battons pas. Toutes les études (exemple : KCE) sur lesquelles se basent les experts qui conseillent nos politiques prennent en exemple les pays anglo-saxons dont les systèmes de soins publiques en santé sont défaillants. Ce sont des pays, comme l’Angleterre, qui ont choisi la voie de l’austérité.

La rentabilité avant tout

Désormais, avec l’avènement de l’évaluation, la santé devient une matière à rentabiliser, une matière mesurable. Pour Hélène Coppens, on mesure, en faisant consister l’idéal d’un bien et d’un bonheur, rentabilité et idéal d’une « bonne pratique quantifiable ». Le piège, c’est que certains veulent faire croire que parce que c’est du chiffre, qu’il y a calcul, que c’est de la science. Ces logiques poussent à imposer, dans notre domaine, une modalité de prise en charge la plus efficace, mais surtout quantifiables puisqu’a à évaluer et à comparer, à imposer les “bonnes pratiques” que chaque praticien devra adopter.

C’est ainsi que le KCE est venu répondre à la problématique du burn out avec un “système de soins psychologiques” assorti d’un plan “evidence based practice” avec 7 millions d’investissements prévus pour inciter les praticiens à adopter cette idéologie de soin soi-disant “scientifiquement prouvé”, mais en fait adoubé par des lobbyistes qui jouent de marketing et de cosmétique sur le marché du soin et du remboursement pour faire croire que “la”meilleure méthode existe. “Nous sommes à l’ère des bonnes nouvelles. Elles peuvent prendre des formes étranges, comme celles d’annoncer régulièrement que tous nos symptômes vont disparaître, être guéri, de plus en plus vite”, écrit Eric Laurent6. Le tort du politique est de se laisser séduire par ces discours qui jettent le discrédit sur tous les praticiens qui ne suivent pas ces “bonnes pratiques”. Le même pour tous prend le pas de la finesse du cas par cas. C’est une grande perte. Le soin, formaté, le même pour tous, paradoxalement va voir, à n’en pas douter, son indice “qualité” descendre en flèche.

Un futur assez sombre, donc, pour la santé mentale, si les professionnels ne résistent pas…



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