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Infor-Drogues : après 25 ans, fin du subside de promotion de la santé en région bruxelloise

27/06/23
Infor-Drogues : après 25 ans, fin du subside de promotion de la santé en région bruxelloise

Coup de tonnerre dans le secteur ! Actrice reconnue en promotion de la santé, l’ASBL Infor-Drogues n’a pas obtenu le subside pluriannuel de la Cocof. Cette perte financière va entraîner l’arrêt de ses activités de promotion de la santé en territoire bruxellois. Alors que les demandes ne cessent d’augmenter, la décision est jugée inattendue et brutale par le personnel. Deux intervenants de l’association nous en disent plus.

Depuis 25 ans, l’asbl Infor-Drogues accompagne des écoles et institutions bruxelloises et wallonnes autour des thématiques liées aux drogues et aux addictions. Alors que les demandes sont de plus en plus nombreuses, le service de prévention et de promotion de la santé n’a pas obtenu le subside pluriannuel en promotion de la santé de la Cocof, nouveau venu du plan Santé porté par la ministre Barbara Trachte.

Abasourdie par cette décision, l’équipe d’Infor-Drogues a fait appel au soutien de personnalités politiques et des structures accompagnées, afin de rendre compte de l’importance de leurs activité et de la nécessité de la poursuivre. Après un échange avec le cabinet de la ministre au mois d’avril, l’association a obtenu un financement permettant de clôturer les accompagnements de l’année 2023.

Face à la perte considérable que représente l’arrêt de l’accompagnement de cette association emblématique, nous avons rencontrés Félix Dumont et Augustin Delvaux, intervenants dans le service de promotion santé. Interview !

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"Remettre la parole du consommateur au centre des préoccupations"

Le Guide Social : Félix et Augustin, nous nous rencontrons aujourd’hui afin d’aborder la perte du financement Cocof qui a un impact direct sur vos activités de promotion de la santé. En quoi l’approche d’Infor-Drogues est particulière ?

Augustin Delvaux : L’association est née en 1971. C’est une époque particulière : la société constate en effet qu’il y a une augmentation de la consommation. A cette réalité, elle apporte deux formes de réponses : judiciaire ou médicale.

Felix Dumont : Le consommateur est alors considéré comme criminel ou comme malade. Dans les deux cas, la personne ne joue aucun rôle dans son propre parcours. C’est la société, à travers les autorités judiciaires, qui décide de ce qui est bon pour elle.

Augustin Delvaux : Touchés par ce manque de prise en considération des consommateurs, des individualités et mouvements progressistes se sont alliés pour fonder l’ASBL Infor-Drogues. L’objectif était de remettre la parole du consommateur au centre des préoccupations et ainsi comprendre les enjeux et le rôle de la consommation. La personne devient alors actrice de sa santé et l’institution, un soutien à son émancipation. Dans cette vision, la santé n’est pas l’objectif à atteindre mais une ressource.

Felix Dumont : L’ASBL adopte un dispositif non-jugeant qui amène la personne à prendre conscience par elle-même des enjeux et difficultés qui font qu’elle se tourne vers la drogue.

"Nous représentons une piste qui n’a jamais été tentée, une autre écoute"

Le Guide Social : Infor-Drogues est constitué de trois pôles. Tout d’abord, la communication qui rend compte de votre approche émancipatrice et déconstruit des idées reçues à travers lesquelles la société perçoit et agit sur les consommateur.rices. Le deuxième intervient par le biais de permanences et de consultations individuelles. Et, enfin, votre pôle. Il touche à la promotion de la santé et à la prévention à travers une dimension collective.

Augustin Delvaux : Nous intervenons auprès d’institutions, donc de professionnels, confrontés à des problématiques de consommations. Nous constatons que la situation de consommation que traverse le bénéficiaire a un impact sur l’ensemble des acteurs de l’institution. Aussi, nous accompagnons toute l’équipe pour qu’elle développe des ressources et des réponses cohérentes et pérennes. La première étape sera l’identification des besoins que comblent les bénéficiaires par la consommation. C’est essentiel afin que l’action de l’équipe se concentre sur les besoins identifiés.

Felix Dumont : Pour prendre l’exemple de l’école, il est fréquent que les situations de consommations s’y répètent. Il nous semble pertinent d’outiller les équipes éducatives face aux situations présentes mais aussi futures. Pour cela, nous offrons une approche large qui s’adapte quel que soit le produit et/ou le comportement : alcool, deal, jeux vidéo, harcèlement...

Le Guide Social : Ainsi, toutes demandes d’équipe peuvent vous être adressées ?

Augustin Delvaux : Nous avons une offre d’accompagnement générique mais cette offre est adaptable en fonction de la demande.

Felix Dumont : Nous sommes conscients que la personne qui nous contacte est parfois déjà passée par les parcours punitifs et/ou médicaux et qu’ils se sont probablement révélés inefficaces. Nous représentons donc une piste qui n’a jamais été tentée, « une autre écoute » comme le dit le sous-titre de notre association.

L’une des premières étapes de notre accompagnement est de redéfinir les moyens en fonction des objectifs. Certaines institutions nous demandent d’intervenir directement auprès des jeunes et de distribuer des flyers expliquant les dangers des drogues. Cependant, il faut être attentif au contre-emploi de ce genre d’interventions. Elles peuvent produire de la fascination, à l’opposé de la volonté première, qui est de faire grandir les jeunes par rapport aux consommations et à la gestion de la drogue dans leur vie.

Le Guide Social : Votre approche se réalise donc dans un temps long…

Felix Dumont : Elle demande de l’engagement, mais notre démarche a pour objectif d’autonomiser les structures par rapport à cette problématique. C’est donc un gain d’efficacité sur le long de terme. Un gros échec en tant que professionnel est souvent l’exclusion, or ces dernières sont souvent dues à des consommations. Ainsi, il est particulièrement pertinent de consacrer du temps à la formation d’équipe et à la création de ressources permettant de limiter les exclusions.

"On est exclu du secteur de la promotion de la santé, alors que nous y sommes présents depuis 25 ans"

Le Guide Social : Fin mars, vous avez appris le refus d’octroi de la subvention Cocof pour la conduite de vos activités de promotion de la santé et de prévention en région bruxelloise.

Augustin Delvaux : En effet, notre dossier de candidature à l’appel à projets pluriannuel en promotion de la santé Cocof a été refusé. Ce type d’appel à projets qui s’étale sur une durée de cinq ans est une nouveauté. On est exclu du secteur de la promotion de la santé, alors que nous y sommes présents depuis 25 ans. C’est très difficile à vivre.

Le Guide Social : Connaissez-vous les raisons de cette décision ?

Augustin Delvaux : Grâce à la mobilisation de personnalités politiques contactées suite à la nouvelle, la ministre de la promotion de la santé, Barbara Trachte, a été questionnée sur notre cas en séance plénière du Parlement bruxellois, le 28 mai dernier. Elle a notamment mentionné le manque d’analyses claires et de descriptions d’un public final et de relais. Ceci traduit une vision du monde de la consommation classifiée en fonction de publics : pour tel public, telle(s) consommation(s). Or, nous ne travaillons pas en fonction de la définition de communautés sur lesquelles on appose des déterminants de consommations. Selon nous, l’usage de drogues se comprend par la ou les fonctions du produit dans les différents contextes de vie de la personne. Nous nous éloignons d’une vision « individu – produit ». Ces besoins sont chaque fois singuliers en fonction des personnes et de leur relation avec leurs contextes de vie. Pour nous, c’est le contexte qui va déterminer les motivations à consommer et il est très variant. Ainsi, apporter une définition claire des besoins du public final que l’on vise est impossible. Ces besoins seront identifiés par les adultes-relais.

Dans la suite de son intervention, la ministre ajoutait que nous n’avions pas apporté de documentation quant aux contextes d’interventions, des milieux de vie, des modes de consommations et des spécificités territoriales. Or, notre action peut être déployée au sein de tous les milieux de vie.

Le Guide Social : Cependant, il existe des diagnostics sociaux qui rendent compte de certains comportements de consommation spécifiques à certains territoires et qui traduisent une réalité.

Felix Dumont : Bien sûr, il n’est pas question de dire que les consommations n’existent pas mais de poser des diagnostics orientés sur les fonctions de ces consommations. Les actions mises en œuvre seront très différentes, si elles relèvent de la répression ou de la promotion de la santé.

"Au-delà de la perte financière, on ne pourra plus intervenir à Bruxelles..."

Le Guide Social : Quels sont les impacts de ce manquement financier sur votre structure ?

Augustin Delvaux : Le manque à gagner s’élève à un équivalent temps plein et demi. C’est l’ensemble de la petite équipe active en Région bruxelloise.

Felix Dumont : Au-delà de la perte financière, on ne pourra plus intervenir à Bruxelles, alors que l’on a des accompagnements en cours et de plus en plus de demandes. Les différents confinements imposés par la crise Covid ont menés à une augmentation de comportements problématiques auxquels font face de nombreuses structures. Bruxelles concentre de nombreuses difficultés sources de consommations de drogues.

Augustin Delvaux : Nous avons rencontré le cabinet mi-avril afin d’exposer notre projet et expliquer notre démarche car nous nous sommes remis en questions sur la manière dont nous l’avions exposé dans l’appel à projets. A la suite de quoi, nous bénéficions d’une rallonge de subvention afin de clôturer les accompagnements en cours jusque fin 2023.

Felix Dumont : Nous avons reçu cette prolongation grâce, je pense, à l’importante mobilisation de parlementaires et d’institutions avec lesquelles nous avons travaillé. Sans eux, nous aurions du tout arrêter au 31 mars. Cependant, une question reste en suspens : si nous ne pouvons plus intervenir dans les institutions bruxelloises, quelles seront les ressources disponibles en promotion de la santé pour ces dernières ?

A.Teyssandier



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