La psychothérapie : un métier à part entière !
Le récent remaniement de la loi Muylle par la Ministre De Block ne satisfait pas tous les psychologues. Si la FBP (Fédération belge des psychologues) soutient le projet, ce n’est pas le cas de l’APPpsy. Cette dernière soutient que la psychothérapie est un métier à part entière. Interview d’Alain Rozenberg, l’un de ses administrateurs, psychanalyste et psychologue au service de Santé mentale de Braine l’Alleud.
Quelle est la position de l’APPpsy face à la position adoptée par la Ministre De Block sur la profession de psychothérapeute ?
Pour situer les choses, l’Association des Psychologues Praticiens d’Orientation Psychanalytique est actuellement l’une des 2 fédérations nationales de psychologues, reconnues en Belgique. Elle est l’association qui compte le plus de psychologues cliniciens psychothérapeutes francophones du pays. Elle a été fondée en1986 et se veut étrangère à tout esprit de corporatisme. L’APPpsy est, avec d’autres, à l’origine des textes de la Loi Muylle de 2014, visant à réglementer l’exercice de la psychologie clinique, de l’orthopédagogie et de la psychothérapie. Cette loi, et l’architecture qui s’en dégage, est le fruit d’une large consultation des différents acteurs de terrains, académiques, etc., ce qui permis d’aboutir à un consensus qui était loin d’être évident.
Malgré ce qui parfois a été colporté, nous n’avons pas été consultés par la Ministre De Block ou son cabinet, concernant son projet de modification de la Loi. Nous avons pourtant essayé de la contacter à maintes reprises pour la rencontrer, mais son refus fut explicite, alors que d’autres ont été consultés. Je suppose qu’elle connaît notre position ! Mais pour pas mal de choix, la Ministre travaille à guichets fermés.
Du coup, vous estimez que votre position face au métier de psychothérapeute n’a pas été entendue ?
En ce qui concerne la psychothérapie, nous estimons qu’il s’agit d’une profession à part entière, d’une discipline spécifique et qu’elle n’est pas une spécialisation. Il ne s’agit pas d’un ensemble d’actes techniques spécialisés. C’est pourquoi nous soutenons qu’il est nécessaire, comme la loi Muylle le prévoit dans les grandes lignes, d’être en possession d’un diplôme de base (balisé par la Loi), d’une formation de 4 ans en psychothérapie et de la nécessité d’une pratique préalable à l’exercice du métier, ainsi que de formations continuées. Il faut de la bouteille pour être psychothérapeute. Exercer le métier en sortant des études de psychologie, qui sont très généralistes, n’est pas approprié. De plus, les 4 courants psychothérapeutiques reconnus dans la loi Muylle ont chacun leurs propres modalités d’évaluation. Imposer l’evidence based comme seule méthode d’évaluation (d’autant plus qu’elle est parfois remise en question dans les milieux médicaux eux-mêmes), ne nous semble pas pertinent. Nous soutenons plutôt une méthode practice based pour évaluer nos pratiques.
D’autres points vous posent-ils problème dans la révision de la loi ?
Il y aurait encore beaucoup de choses à dire, mais pour encore épingler un autre élément : celui d’éventuels remboursements des séances de psychothérapie ou de psychologie clinique par l’Inami, nous pensons qu’il serait préférable de donner plus de moyens aux Services de Santé Mentale ou d’en augmenter leur nombre pour accueillir la souffrance psychique. D’autant que ces remboursements nécessitent des diagnostics et donc des étiquetages systématiques, alors qu’il ne faut pas souffrir d’une maladie pour s’adresser à un psy ! Ici on réduit le paradigme de la santé mentale à celui d’une médecine somatique, alors que ce sont 2 champs distincts de la santé. En fait, les deux paradigmes sont complémentaires et il est nécessaire que ces 2 champs (santé médicale et psychique) collaborent au mieux, tout en gardant leurs spécificités.
Les propositions de la Ministre ne sont-elles pas en faveur d’une plus grande protection du titre de psychologue clinicien ?
Le titre de psychologue est protégé depuis 1993. Pour le porter, il faut être enregistré auprès de la Commission des psychologues, qui délivre un agrément. La loi Muylle vise à donner un statut à part entière au titre de psychologue clinicien. Elle prévoit d’ailleurs la création d’un Conseil Supérieur de la Psychologie Clinique, ce qui n’est pas le cas du nouveau projet de loi. Le cadre de la loi Muylle donnait une autonomie au psychologue clinicien quant à ses actes, face aux craintes d’une possible paramédicalisation de la profession. Aujourd’hui, le risque existe. Nous ne voulons par exemple pas dépendre des commissions médicales provinciales, comme cela a pu être évoqué.
N’est-ce pas une façon de clarifier le secteur et un gage de qualité pour les professionnels de la santé mentale ?
A nouveau, la loi – votée par tous sauf la N-VA et le Vlaams Belang - donnait des gages de qualité au secteur. Elle permettait que différents courants puissent être représentés, ce qui garantissait une éthique de choix thérapeutiques pour les patients. Chaque courant avait droit de cité au travers d’un conseil supérieur de la psychothérapie constitués par 4 chambres : une pour chaque courant reconnu. Ceci est supprimé dans le nouveau projet de loi. Par ailleurs, le secteur de la santé mentale est un secteur dans lequel les professionnels sont sérieux, rigoureux et soutiennent une éthique dans leur travail. Le secteur n’a pas attendu une loi pour arriver à ce résultat. A ce jour, il n’y a que très peu de charlatanisme et aucune loi ne pourra complètement l’éliminer. Les psychologues possèdent depuis peu un code de déontologie et un organe disciplinaire voit le jour. Du côté des psychothérapeutes, la loi Muylle prévoit un cadre très strict pour l’obtention des reconnaissances.
Sur quels points vous différenciez-vous des positions adoptées par la Fédération Belge des Psychologues ?
D’abord, il faut préciser que nous avons des échanges entre fédérations qui ont pu aboutir à des collaborations et que nous nous rencontrons, entre autres, à la Commission des Psychologues. Ceci étant dit, nous avons des positions différentes quant à la réglementation de la profession : autant nous soutenons la loi Muylle, autant la FBP soutient le nouveau projet. Les quelques points évoqués plus haut donnent un aperçu des points de divergences.
Sans vouloir parler en son nom, la FBP voudrait que la psychothérapie soit réservée aux médecins et aux psychologues. Nous pensons que ce métier, sur base d’importants compléments de formations, peut être exercé par des personnes ayant une formation de base autre et qu’il s’agit bien d’un métier à part entière.
Les psychologues n’auraient-ils pas intérêt à fédérer davantage leurs positions pour faire entendre leur voix ou cela n’est pas possible au vu de la diversité des orientations de cette profession ?
Bien sur et cela avait été le cas pour la construction de la Loi Muylle. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Mais il n’existe pas « les psychologues », il y a des psychologues, 2 fédérations, bientôt plusieurs. Nous avons aussi et fort heureusement des débats d’idées, il n’y a pas de pensée unique. Il est important que nos différences puissent enrichir le champ qui nous occupe et de préserver une conception plurielle et transdisciplinaire des pratiques et des formations dans le domaine des soins de santé mentale.
Propos recueillis par Sandra Evrard
Plus d’infos : www.apppsy.be
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