Sur scène, une danseuse en fauteuil et un éducateur spécialisé racontent l’inclusion

Avec Je marche seul, Marie Van Den Hende, danseuse porteuse d’un handicap physique, et Pierre de Crombrugghe, éducateur spécialisé et comédien amateur que nous avions déjà rencontré l’année dernière, proposent un trois en scène drôle, touchant et inclusif nourri de leurs expériences respectives. Un spectacle qui sera présenté fin 2025 en Brabant Wallon, actuellement en cours de financement sur la plateforme Ulule et qui a déjà remporté un franc succès. Alors que la campagne se poursuit jusqu’au 6 avril, nous avons échangé avec Pierre de Crombrugghe sur cette nouvelle initiative, et sur les défis de cette création artistique.
Le Guide Social : Neuf ans après votre premier seul en scène, vous remontez sur les planches, cette fois accompagné. D’où vous est venu cette envie, et ce nouveau projet ?
Pierre de Crombrugghe : À l’époque, j’étais resté avec une petite frustration : étant alors directeur d’une institution, je n’avais pas eu beaucoup de temps pour jouer et faire tourner le spectacle. Et puis, c’était une première ! De là est venue cette envie de refaire un spectacle sur le métier d’éducateur, d’autant que ce qui m’avait également manqué c’était d’avoir un·e bénéficiaire sur scène pour donner cette réalité du métier, et ces allers-retours entre théorie et pratique. J’ai fait travailler un peu mon réseau, et je suis tombé sur Marie, habitante de Louvain-la-Neuve, qui est en chaise roulante et qui a vécu au sein de l’institution Côte-à-côte et qui depuis un an vit dans son appartement. Nous nous sommes rencontrés, on a discuté et assez vite, la connexion s’est faite.
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Le Guide Social : Où en êtes-vous aujourd’hui ?
Pierre de Crombrugghe : La phase d’écriture est terminée de mon côté, et nous venons de débuter les répétitions. Cela dit, il y a toujours une part d’improvisation dans le texte, et j’aime l’idée que Marie puisse amener des choses, compléter avec ses anecdotes, son vécu. Cette collaboration, c’est aussi Marie qui me bouscule un peu, remet en question mon écriture avec son expérience, parfois de manière assez cash sans avoir peur de dire les choses. Et c’est évident qu’avec cet objectif de travailler l’inclusion dans mon texte, je ne peux pas faire fi de ce qu’elle amène comme vécu. Et en cela, je suis rassuré qu’elle ne me ménage pas.
C’est d’ailleurs la dynamique du spectacle : je débute un cours sur la profession d’éducateur, et Marie débarque, pensant qu’on a rendez-vous car je suis aussi son accompagnateur social. Finalement, Marie reste pour assister au cours et s’intègre rapidement dans le jeu en m’interrompant et en comparant ma théorie avec sa réalité sur l’inclusion de la personne en situation de handicap dans la société. C’est ce duo qui va se titiller au fil des chapitres, dans un rythme qui mêle humour, mais aussi performance chantée et dansée, car Marie est une cyclo-danseuse.
"Cette fois-ci, j’avais vraiment envie de m’entourer d’éducateurs"
Le Guide Social : Un spectacle pluridisciplinaire donc ?
Pierre de Crombrugghe : Tout à fait. Pour la cyclo-danse par exemple, Marie était déjà familière avec cette pratique mais ce n’était pas du tout mon cas, nous suivons donc des cours avec José [Melgar, formateur en cyclo-danse et danse créative, NDLR] pour que je puisse maîtriser la partie dansée du spectacle. C’est vraiment très intéressant parce que personnellement, j’avais déjà pu assister à des représentations ou des ateliers lorsque José venait en animer dans mon ancienne institution, mais je n’avais jamais pratiqué cette discipline. Cela demande beaucoup de concentration, de coordination et de fluidité, et cela amène un vrai échange avec Marie qui me met en confiance et m’accompagne réellement dans cet apprentissage.
Nous faisons également intervenir une marionnette, Yaël, qui représente un bénéficiaire d’un autre secteur, celui de l’aide à la jeunesse au travers un point de vue adolescent. Ce choix, c’est un choix artistique mais aussi un choix pragmatique, car faire tourner un spectacle à trois plutôt qu’à deux, avec qui plus est un acteur adolescent aux disponibilités limitées aurait été plus difficile. Sans parler de la difficulté pour un jeune de se mettre à nu vis-à-vis de son parcours.
Du coup, ce suivi de création et de manipulation de marionnette créée par Giulia [Palermo, marionnettiste et formatrice en manipulation, NDLR], c’est aussi un exercice et une technique de plus à maîtriser.
Le Guide Social : Comment vient-on à bout de ces défis ?
Pierre de Crombrugghe : L’essentiel, c’est de bien s’entourer. Pour mon premier spectacle, j’étais vraiment en solo. Ici, cela se construit avec Marie, mais aussi avec José qui est également éducateur, ou avec Giulia qui elle-même à la fibre sociale… Cette fois-ci, j’avais vraiment envie de m’entourer d’éducateurs. Cédric Hervan, dessinateur et auteur de bande dessinées qui a réalisé l’illustration et le logo du spectacle, est aussi éducateur, et j’ai également de l’aide de la part d’une personne qui a animé des ateliers de théâtre-action auxquels j’ai pu participer.
Ce qui est super chouette également, c’est qu’au travers du financement participatif que nous avons lancé, on a reçu beaucoup de soutiens et de marques d’intérêts d’institutions ou d’ASBL qui sont liées au secteur du handicap.
Pour ce qui est du texte, la meilleure façon de l’améliorer est de le jouer, de répéter, et de pouvoir lâcher prise lorsqu’on se rend compte qu’un passage ne fonctionne pas.
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"Plus on avance dans le processus, plus je ressens dans mes tripes l’importance de pouvoir le faire"
Le Guide Social : L’un des plus gros défis, c’est sans doute de maîtriser son propre investissement ?
Pierre de Crombrugghe : C’est une question de temps, c’est vrai. Il y a quelques mois, je travaillais dans deux écoles, plus mon mi-temps, plus des ateliers que je donnais dans des écoles, et là j’ai senti que c’était trop. Et puis, il y a bien sûr la question des rentrées financières car ce travail d’écriture et de répétition est bénévole. Mais en même temps, plus on avance dans le processus, plus je ressens dans mes tripes l’importance de pouvoir le faire. C’est un projet qui me tient à cœur, et que je veux porter jusqu’au bout.
Cela étant dit, c’est aussi pour cela que nous avons opté pour un dispositif minimaliste à deux sur scène, afin d’être flexibles et pouvoir tourner facilement sans investissements trop lourds.
Le crowdfunding, c’était une manière de rester indépendant sans devoir faire appel à des institutions ou des subsides externes, tout en finançant le début du projet, le matériel, les petits décors, l’équipement son, les transports, les cours de cyclodanse, la marionnette,…
Trouver l’équilibre entre investissement et envie, c’est le plus gros défi. Mais à la fois, c’est vraiment un projet que je veux mener à bien, à tant qu’éducateur et éduc-acteur, en tant que moteur de changement.
Le Guide Social : Comment vous sentez-vous alors que la campagne a déjà atteint le double de son objectif initial ?
Pierre de Crombrugghe : C’est très chouette, parce que ça veut dire qu’il y a une vraie attente. Et en même temps, il y a une certaine pression quand on voit les commentaires des gens, l’engouement que suscite le spectacle… Nous avons reçu un don très important de la part d’une personne qui avait récolté de l’argent pour son fils puis qui a finalement trouvé une solution adaptée, et elle a décidé de redistribuer ces dons à des projets porteurs de sens. Nous en avons bénéficié, et j’en suis très reconnaissant.
Comme je l’ai dit plus haut, ce soutien nous offre une vraie liberté et des opportunités. La marionnette qui était à l’origine une location sera finalement un achat, nous allons pouvoir mieux rémunérer José pour ses cours de cyclo-danse, et pour l’organisation de la première, on aborde le projet de manière plus sereine.
Aujourd’hui, nous espérons dépasser les 5.000€ pour développer plus encore les costumes, qui représentent aussi un gros défi, mais c’est très motivant aussi.
Kévin Giraud
>>> La campagne de financement du spectacle Je Marche seul est en cours jusqu’au 6 avril. Plus d’informations sur ce lien !
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