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D'enfant placé à éducateur spécialisé : "Mon livre ? Un cri d'espoir"

08/04/21
D'enfant placé à éducateur spécialisé:

Christian Haag, éducateur spécialisé depuis une grosse dizaine d’années, travaille au sein d’une maison hébergeant des enfants placés. Son métier, il le vit dans ses tripes… Le Français a en effet expérimenté la même descente aux enfers que celles et ceux qu’il accompagne aujourd’hui. Tout comme ces gamins qu’il côtoie quotidiennement, il a connu, dès son plus jeune âge, le placement en foyers et en famille d’accueil ainsi que le terrible traumatisme de l’abandon. Son parcours hors-norme, il a décidé de le jeter sur le papier, dans le livre « Le Murmure des Démons ». Une manière d’exorciser ses démons mais également d’aider les professionnels du secteur à jeter un regard autre que ceux très théoriques sur les problématiques abandonniques.

Guide Social : Vous travaillez depuis plus de douze ans en tant qu’éducateur spécialisé. Aujourd’hui, vous publiez aux Nombre7 éditions le livre « Le Murmure des démons » qui retrace votre histoire et votre parcours d’enfant abandonné placé en foyers et famille d’accueil. Quel a été le déclic qui vous a poussé à prendre la plume ?

Christian Haag : Dans mon travail au sein d’un foyer de l’Aide à la jeunesse, je côtoie au quotidien des gamins très abîmés, qui ont vécu des traumatismes et des situations similaires aux miennes. Ce travail a vraiment été un élément déclencheur. J’ai revécu mon enfance à travers ces enfants... J’ai donc ressenti le besoin de prendre la plume pour raconter mon passé, pour m’en débarrasser un peu, aussi. C’était une démarche très importante pour moi.

"J’étais tout bébé quand j’ai été pris en charge par les services de l’Aide à la jeunesse"

Guide Social : Le projet ne s’est pas fait en un jour. Vous avez pris du temps avant de le concrétiser…

Christian Haag : J’ai effectivement 33 ans. Ce livre a été le fruit d’un cheminement de plusieurs années. L’idée me trottait dans la tête depuis très longtemps mais je ne parvenais pas à me lancer, sans doute par excès de modestie ou bien de prudence. Pourtant, mon entourage me poussait à le faire, en me disant que je devais écrire sur mon parcours atypique. Cependant, malgré leurs encouragements et leur bienveillance, j’ai énormément hésité avant d’oser me jeter à l’eau. Une chose est certaine : je ne voulais pas écrire pour juste écrire. Il fallait que le propos touche, intéresse les autres. Je ne voulais écrire que s’il y avait un message pour les autres.

 [A lire] : L’art délicat de la prise en charge d’un bébé placé

Guide Social : La thématique abordée dans votre ouvrage est loin d’être anodine : le traumatisme de l’abandon et ses terribles conséquences. Cette situation, vous l’avez expérimentée dès votre plus jeune âge…

Christian Haag : J’étais tout bébé quand j’ai été pris en charge par les services de l’Aide à la jeunesse française. Mes parents ont tenté de me tuer puis m’ont abandonné. J’ai donc été placé très jeune dans une pouponnière de l’aide sociale à l’enfance. Et au final, je ne suis jamais sorti de ce système. Mes parents n’ont jamais cherché à me récupérer. J’ai donc grandi durant huit ans en foyers puis j’ai intégré une famille d’accueil. J’y suis resté jusqu’au bout, ce qui pour moi fut une chance.

"Ces troubles abandonniques, je les observe tous les jours sur les enfants que j’encadre"

Guide Social : Comment s’est passé votre vie dans cette famille d’accueil ?

Christian Haag : Très bien et en même temps très mal… Très bien car cette famille était aimante, irréprochable dans sa manière de s’occuper de moi. Vraiment une famille formidable ! Et pourquoi j’ai dit mal ? Car j’étais un gamin complètement bousillé. J’ai mis à mal ma relation avec eux, j’ai mis à mal tout ce qu’ils me proposaient pour m’aider à grandir, à m’épanouir.

Guide Social : Ces fameuses conduites abandonniques sont au cœur de votre ouvrage…

Christian Haag : Effectivement. Ces troubles, je les observe tous les jours sur les enfants que j’encadre en tant qu’éducateur spécialisé. Je retrouve toujours le même totem chez les enfants mais aussi les adultes qui ont été confrontés à des formes marquantes d’abandon. Ils ont des comportements stéréotypés. Ce sont des personnes qui ont peur de revivre l’abandon de quiconque, tellement ils ont subi un traumatisme lourd et profond. Alors, expérimenter un nouveau rejet sera tout bonnement mortel pour eux. Pour contrecarrer cela, ils adoptent des comportements pour mettre à mal les relations avec les autres. De la sorte, ils deviennent investigateurs de la séparation et ont ainsi l’impression d’avoir gardé le contrôle de la situation. Mais, évidemment, c’est un immense leurre. Un piège aussi. Ces comportements, je les retrouve à chaque fois chez les personnes qui sont touchées par des conduites abandonniques. Ce point commun les relie.

"Les éducateurs, les psychologues, la famille d’accueil, les services sociaux, tous m’ont sauvé la vie"

Guide Social : Cette thématique est-elle bien connue, maîtrisée par les professionnels du secteur de l’Aide à la jeunesse ?

Christian Haag : Non je ne pense pas. Cette lacune m’a également motivé à écrire sur le sujet. Moi, en tant qu’éducateur spécialisé, j’ai une position particulière, comme j’ai vécu les mêmes choses que le public avec lequel je travaille. Par contre, je remarque que les professionnels ont souvent du mal à comprendre ces troubles abandonniques. Ils peinent à les lire dans les comportements quotidiens des enfants placés. Un exemple ? Il arrive qu’un enfant fasse une colère pour obtenir coûte que coûte l’attention des adultes. Ces derniers auront tendance à estimer simplement qu’il est chiant, cet enfant et donc à ne pas comprendre les raisons profondes qui le mènent à une telle réaction. Les professionnels du secteur n’arrivent pas à lire cela, ils n’ont pas une grille de lecture et donc ils passent à côté d’éléments essentiels en comprenant mal. En ne prenant pas en compte ces troubles abandonniques, on n’aide pas les enfants. J’estime donc qu’il est intéressant de pouvoir améliorer les pratiques professionnelles grâce à mon expérience personnelle.

 [A lire] : L’éducateur qui apprend aux enfants placés à se servir des mots

Guide Social : Votre livre est aussi un vibrant message d’espoir…

Christian Haag : Je tenais vraiment à le finir sur une note positive. Je dis aux lecteurs : « Je m’en suis sorti, alors pourquoi pas vous ? ». Les éducateurs, les psychologues, la famille d’accueil, les services sociaux, tous m’ont sauvé la vie ! En France actuellement, certains sont très vindicatifs à l’égard du secteur. Un auteur a décrit les foyers comme l’enfer sur terre. Je voulais vraiment me positionner contre ce phénomène qu’on observe actuellement dans les médias français : le fait que l’état s’occupe mal des enfants placés, qu’ils sont les sacrifiés de la République. Ce que j’ai vécu, ce n’est pas ça. C’est l’opposé. Je voulais donc aller à contre-courant et dire que les services sociaux se sont très bien occupés de moi.

Guide Social : Votre choix de carrière n’est pas anodin. Pourquoi ce métier ?

Christian Haag : Quand j’étais dans un foyer, j’observais les travailleurs au quotidien et je me disais que les éducateurs faisaient un boulot sublime. J’ai donc voulu faire pareil.

"Les démons de l’abandon ? Je pense qu’on ne s’en défait jamais vraiment"

Guide Social : Et la réalité du terrain a-elle été à la hauteur de vos attentes ?

Christian Haag : Quand j’ai fait mes études puis mes stages, j’ai développé certaines craintes. Et si je faisais un transfert ? Allais-je réussir à gérer mes émotions ? Je n’ai rien eu de tout ça ! Je m’épanouis vraiment dans mon travail. J’ai l’impression, sans prétention aucune, que d’avoir vécu la même chose que les enfants que j’encadre me permet de les comprendre et que cela peut être vraiment utile dans un travail d’équipe.

Guide Social : Aujourd’hui, les démons de l’abandon vous ont-ils quitté ?

Christian Haag : Ils m’ont vraiment pourri la vie et ce pendant de nombreuses années. Je pense qu’on ne s’en défait jamais vraiment. Certains symptômes peuvent s’apaiser, d’autres disparaître avec la maturité. J’ai beaucoup consulté de psychologues, ce qui m’a bien aidé. Mais, certaines choses restent et elles le resteront jusqu’à ma mort. Mais, la vie continue. Je suis la preuve qu’on peut se relever de ses cendres.

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Propos recueillis par E.V.



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