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Déconventionnement massif des logopèdes : la révolution des fourmis est en marche

26/07/22
Déconventionnement massif des logopèdes: la révolution des fourmis est en marche

Depuis le 18 juillet, les chiffres sont tombés et nous sommes désormais presque 60% de logopèdes à avoir choisi de ne pas adhérer à la convention R2022/2023, qui nous lie à l’INAMI et aux organismes assureurs.

Du 15 juin au 15 juillet dernier, nous avions effectivement à nous prononcer quant à ce texte et à notre volonté d’y adhérer ou non. Ce choix n’est pas anodin et il implique de nombreuses choses.

Il marque notre engagement et notre conviction profonde à nous inscrire dans un modèle de soins que nous défendons, à savoir un modèle qui respecte le patient et le prestataire de soins.

Se conventionner reflète le désir pour tout praticien de défendre un système de soins de santé prônant équité pour chacun tout en assurant une sécurité tarifaire pour ses patients.

Jusqu’à présent, chez les logopèdes, les chiffres ne mentaient pas, on croyait à ce modèle et on le manifestait avec alors plus de 99 % de prestataires conventionnés.

Que s’est-il passé pour que la tendance s’inverse de façon si marquée ? Quelles motivations ont poussé tous ces spécialistes du langage et de la communication à emprunter la voie d’un déconventionnement massif ?

La problématique de notre profession est si vaste et si spécifique à la fois

De nombreux communiqués évoquent l’aspect financier. Les logopèdes veulent gagner plus et si le gouvernement ne libère pas un budget pour augmenter les honoraires dans leur secteur, alors ils fixeront leurs tarifs de manière libre.

On ne peut nier la précarité de notre profession et l’insécurité dans laquelle elle plonge certains d’entre nous, jeunes diplômé.e.s ou praticiens accomplis. En témoignent les nombreuses fermetures de cabinet, les réorientations professionnelles et les burn-out dans lesquels sont plongés nombre de nos collègues.

La problématique de notre profession est si vaste et si spécifique à la fois. Les soins en logopédie sont des soins souvent de longue durée, qui impliquent un investissement financier et personnel important de la part de nos patients. La régularité du suivi est un facteur essentiel à l’efficacité du traitement mais cette régularité est mise à mal par les nombreuses annulations de nos patients, averties ou non, par les périodes de congés scolaires où il est d’autant plus compliqué de maintenir cette régularité (plus de 80% de la patientèle des logopèdes est composée d’enfants et d’adolescents), par le fait que souvent, les pathologies dont souffrent nos patients sont des troubles « invisibles ».

Ajoutez à cela la crise actuelle et la nécessité pour chaque famille de revoir la gestion de son budget et vous avez les principales raisons qui ne permettent plus aux logopèdes indépendant.e.s de vivre de leur métier.

Est-ce à dire que 59,51% des logopèdes rencontrent ces difficultés ? En réalité, sans doute que la plupart des logopèdes les rencontrent ou les ont un jour rencontrées.

Pourtant, il serait réducteur de penser que ce sont là les seules indignations contre lesquelles nous nous élevons.

Un raccourci rapide et surtout intolérable !

On nous reproche d’occasionner une médecine à deux vitesses avec une discrimination d’accès aux soins.

C’est un raccourci rapide et surtout intolérable lorsque l’on sait que de nombreux soins pratiqués par les logopèdes, justifiés dans la littérature scientifique et essentiels pour des patients souffrant de pathologies lourdes, ne sont absolument pas remboursés.

La nomenclature, qui est le texte qui reprend l’ensemble des actes remboursés en logopédie pour nos patients, n’a pas eu de véritable révision depuis sa création, à la fin des années 90. Elle est complètement obsolète. Les logopèdes réclament depuis de nombreuses années que l’on se penche sur ce texte et que l’on y intègre notamment des pathologies pour lesquelles nos soins sont indispensables.

Demandez aux familles de patients autistes, d’enfants porteurs de grand handicap, de patients souffrant de démence, d’enfants rencontrant des troubles alimentaires pédiatriques, … ce qu’est une médecine à deux vitesses : ils auront sans doute un avis éclairé et bien plus empreint de véracité sur le sujet.

Les logopèdes réclament également depuis longtemps des simplifications administratives pour pouvoir exercer leur profession dans des conditions décentes.

Actuellement, entamer un traitement logopédique relève d’un véritable parcours du combattant, pour le prestataire de soins comme pour le patient. Entre prescriptions de bilan et de traitement qui doivent répondre à des critères stricts, contacts à prendre multipliés par le nombre d’intervenants autour du patient, délais toujours plus longs pour le traitement des dossiers et des paiements en tiers-payant par les mutualités, contacts avec ces mutualités rendus compliqués par les différences d’interprétation, il faut beaucoup de patience et de persévérance pour en voir le bout.

Inutile de préciser que le temps et l’énergie consacrés à ces démarches ne sont pas rémunérés…

Violence administrative, insécurité financière, dénigrement de leur profession...

Alors, en disant NON à la convention, les logopèdes ont voulu pointer toutes ces violences dont ils.elles sont les victimes et ce, depuis de nombreuses années : violence administrative, insécurité financière, dénigrement de leur profession.

En disant NON à la convention, ils.elles ont voulu également pointer toutes les discriminations dont sont victimes leurs patients pour accéder à leurs soins.

Ce combat, c’est celui de tous, prestataires et bénéficiaires. Il soulève les failles d’un système de santé qui a sans doute tardé à se renouveler et qui peine désormais à répondre aux besoins des citoyens.

Et maintenant ?

Chez les logopèdes, le déconventionnement massif aura permis d’éviter la discrimination de remboursement des soins pour le patient existant entre praticien conventionné et non conventionné.

Les patients sont donc remboursés de manière optimale peu importe le statut de leur logopède.

Les patients ayant un régime préférentiel (BIM) continuent de bénéficier d’un remboursement majoré et d’une stabilité tarifaire, comme le prévoit la loi.

Quant aux revendications du secteur, elles seront rediscutées dès la rentrée parlementaire, c’est en tout cas ce que souhaitent nos représentants, et ce afin de trouver ensemble des solutions à cette crise sans précédent.

Enfin, et ce que nous retiendrons, si ce résultat inédit a pour le moins marqué les esprits, il a surtout démontré la solidarité et la formidable cohésion de tout un secteur, uni dans la volonté de voir les choses changer pour la pérennité de leur profession et pour le bien-être de leurs patients.

« C’est l’histoire d’un système de soins qui tombe et qui au fur et à mesure de sa chute se répète sans cesse pour se rassurer : jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien... » Souhaitons à la logopédie le meilleur atterrissage qui soit…

Annabelle Duval, logopède

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