Devenir assistant social : le défi de la surcharge administrative

Le métier d’assistant social semble de plus en plus devoir faire face à d’innombrables tâches administratives, au détriment de la mission d’accompagnement humain. Comment les futurs assistants sociaux et leurs enseignants perçoivent-ils cet aspect ?
Dans l’entretien qu’il nous avait accordé au sujet de son film « Au suivant ! Le travail social sous haute tension », le réalisateur Pierre Schonbrodt dressait le constat que « plus personne ne s’y retrouve dans cette bureaucratisation excessive ».
Frédérique Bribosia, Maître assistante à la HELHa Cardijn et Coordinatrice CeRSO (Centre de Ressources du Social HELHa), et Claire Bernis, Enseignante à la HELHa Cardijn et Coordinatrice d’un centre de planning familial bruxellois, forment de futurs assistants sociaux. Elles nous ont partagé leur vision des choses.
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"Le sentiment actuel est de devoir rentrer davantage dans des cases prédéterminées en amont"
Le Guide Social : Confirmez-vous cet aspect d’un déséquilibre causé par l’abondance de tâches administratives ?
Frédérique Bribosia : Je peux vous répondre en me basant sur le retour fourni par des étudiants, suite à leurs expériences de stages, ainsi que sur les témoignages d’équipes professionnelles pour lesquelles nous organisons des supervisions. Nous entendons clairement des services de première ligne qu’ils doivent de plus en plus répondre à des demandes d’usagers pour des prises en charge administratives, ces tâches n’étant plus assumées par des services publics tels que, par exemple, les communes et les mutuelles ou des services privés, tels que les banques. La digitalisation et la diminution des permanences in situ constituent des facteurs conséquents. Parallèlement, ces démarches numérisées nécessitent de disposer au préalable d’un certain matériel : smartphone, imprimante, ordinateur... Cette défaillance des services et la fracture numérique qu’elle entraîne provoquent clairement des atteintes aux droits de tout un chacun.
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Le Guide Social : Ce constat peut-il être dressé de manière globale ?
Claire Bernis : Le champ du travail social est très large, une partie du travail des institutions relevant un peu plus des tâches administratives. La question se posera donc de manière plus ou moins forte selon le type de stage que l’étudiant effectuera. C’est davantage au niveau des pouvoirs subsidiants que la demande de reporting, de justifications, d’encodages de données est de plus en plus grande. Pour pouvoir justifier des subsides reçus, il faut démontrer un certain volume d’activités et qu’on s’adresse au bon public. En ce qui concerne le secteur social santé, on se retrouve de plus en plus confronté à cet aspect. Cette charge administrative repose sur les travailleurs sociaux et leur coordination avec leur direction.
Frédérique Bribosia : Un autre enjeu concerne l’octroi du revenu d’intégration, de plus en plus conditionné et qui requiert d’encoder toujours davantage d’informations et de répondre à des questionnaires prédéterminés. Certes, les assistants sociaux ont toujours du répondre à une certaine méthodologie et respecter des procédures bien précises pour justifier les décisions prises. Mais le sentiment actuel est de devoir rentrer davantage dans des cases prédéterminées en amont, une sorte de formatage qui porte atteinte à la capacité d’expression propre et au langage spécifique du travail social.
"Nos étudiants témoignent surtout d’une envie de davantage de justice sociale et d’égalité"
Le Guide Social : Le documentaire de Pierre Schonbrodt démontrait que pour accomplir un travail social de qualité, il fallait souvent sortir du cadre en n’appliquant pas la loi. Qu’en pensez-vous ?
Frédérique Bribosia : Les assistants sociaux déplorent ces exigences administratives excessives. Ils sont formés pour développer leur méthodologie, mais de par cette tendance à un certain formatage et cloisonnement, ils doivent régulièrement travailler dans les marges et être créatifs pour permettre aux usagers de bénéficier de leurs droits. Pour autant, ce ne sont pas des anarchistes : tout cela est bien discuté et réfléchi au cours de longs débats éthiques en équipe, afin de peser le pour et le contre.
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Le Guide Social : Au niveau des étudiants, cette réalité de terrain a-t-elle une influence sur les vocations ?
Frédérique Bribosia : De manière générale, nos étudiants témoignent surtout d’une envie de davantage de justice sociale et d’égalité. Et ils sont désireux de disposer de suffisamment de temps pour établir une bonne relation avec les bénéficiaires et les accompagner, afin de trouver des solutions aux difficultés que ces derniers rencontrent. De même, les étudiants sont parfaitement conscients qu’il faudra toujours faire face à du travail administratif.
Le principal défi réside dans le sens que des jeunes peuvent trouver dans leur travail, à partir du moment où ils l’ont l’impression de passer plus de temps devant leur ordinateur que dans la relation avec l’usager, d’être trop accaparé par le temps passé à mobiliser toutes les plateformes possibles et imaginables pour savoir quels sont les droits des personnes, plutôt que d’être vraiment dans l’écoute et la présence. En ayant systématiquement besoin d’un ordinateur pour travailler, ils se retrouvent davantage dans un bureau, et moins sur le terrain ou dans les visites à domicile. Ces aspects entraînent parfois un questionnement chez les étudiants : un assistant social est-il vraiment indispensable pour accomplir de telles tâches ? Une personne bien formée en bureautique et avec une bonne connaissance du cadre légal pourrait tout aussi bien effectuer le même travail.
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"Les assistants sociaux sont là pour défendre les droits des bénéficiaires"
Le Guide Social : Comment répondre à ces questionnements ?
Claire Bernis : Cela entraîne une réflexion afin de pouvoir aller au-delà de ces constatations : comment tourner un canevas prédéfini d’entretien pour permettre à la relation de se développer et accéder à quelque chose qui soit de l’ordre de la demande ?
Frédérique Bribosia : Il est important de leur apprendre que ce canevas n’est pas une fin en soi. Un des enjeux de la formation que nous donnons est de soutenir une posture professionnelle d’assistants sociaux qui sont là pour défendre les droits des bénéficiaires, pour agir au niveau de la collectivité. Un autre enjeu consiste à être vigilant à ce que ces futurs assistants sociaux ne se retrouvent pas dans une sorte d’enfermement, à savoir qu’ils puissent rester en mesure d’interroger le sens de certaines démarches administratives et garder à l’esprit pour qui ils travaillent en priorité, à savoir les bénéficiaires.
Claire Bernis : Mais parallèlement, ils doivent aussi être conscients du fait que compléter des dossiers et encoder des statistiques pour obtenir certains subsides, c’est aussi agir dans l’intérêt des personnes, car au plus on dispose de moyens, au plus il est possible d’aider les bénéficiaires.
Propos recueillis par O.C.
Et pour aller plus loin :
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