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Là où ne mène aucune échelle : les entretiens libres

02/03/17
Là où ne mène aucune échelle : les entretiens libres

En dépit de l’approche « scientifique » qui prône un mode d’évaluation standardisé, l’entretien libre reste incontournable dans le travail psychique. Il permet l’accueil d’une parole à chaque fois particulière.

L’évaluation est importante, mais l’entretien libre reste l’outil fondamental du psychologue clinicien. Dans cette rencontre particulière, il s’agit d’abord être au chevet, à l’écoute du patient pour recevoir, avec respect et bienveillance, tout ce qu’il viendra déposer dans le creux de notre cabinet. La pratique de l’entretien libre, parfois fort éloignée de certains credo actuels, est pourtant le cœur de notre métier et sa raison d’être.

Vous avez dit « efficace » ?

Les échelles sont un moyen commode de prendre rapidement le pouls d’une symptomatologie et de son intensité. Mais elles disent fort peu de la réalité psychique du patient qui nous fait face, et encore moins des éléments qui pourraient lui servir de « levier » dans son parcours de vie. Pire, ces échelles peuvent mener à des étiquettes rigides et parfois fort mal comprises, signant une stigmatisation délétère d’un mal-être soudain objectivé « scientifiquement ».

Dans l’air du temps

La mouvance actuelle traduit chaque jour davantage cette volonté d’uniformisation et de quantification. Légitime parfois, l’évaluation d’une symptomatologie psychique est surtout nécessaire aux psychiatres pour les prescriptions médicamenteuses. Mais dans notre travail de psychologue, s’en tenir à cette seule approche serait une aberration. L’actualité politique qui veut nous pousser vers l’orientation « evidence based » omet ainsi ce qui fait le cœur véritable de notre métier : la parole du sujet, le transfert, et surtout l’irréductible subjectivité du sujet qui se présente à nous. Face à cette fondamentale réalité humaine, les chiffres ne tiennent pas.

La rencontre d’abord

Le premier entretien est essentiel : que choisit de livrer le patient ? Si le clinicien s’en tient à une « guideline » il va peut-être (sans doute) rater l’essentiel de ce qui se joue. Même ce qui n’est pas dit sera précieux. N’apprendre qu’à la sixième séance l’existence d’un amoureux, ou même à la vingtième séance l’épisode d’un viol à l’adolescence, ce sont des informations essentielles. Laisser venir les éléments de vie dans l’ordre (et le timing) choisi par notre interlocuteur, c’est respecter le rythme du patient et avoir toujours ce fameux « temps de retard » qui nous garde de l’intrusion ou de l’interprétation hâtive. C’est surtout respecter toute la difficulté de se raconter, situation pour le moins incongrue, et laisser au patient à la fois la manière de le faire et le rythme de ce dévoilement.

D’une angoisse à l’autre

Que disent les angoisses de nos patients ? L’angoisse de la mort, par exemple, dans un contexte de soins palliatifs, semble une évidence : la peur de mourir, du grand départ, l’idée de laisser des proches en souffrance, tout cela parle à tout un chacun. Mais s’arrêter aux évidences empêche parfois l’appréhension particulière de cet affect. Une patiente assez âgée, en fin de vie, me confia après deux heures d’entretien que, chez elle, cette peur de mourir était chevillée au souvenir, vieux de septante ans, d’une promenade bien innocente avec un jeune officier allemand alors que son fiancé était au front. Que lui dire à l’heure de vérité, à ce gentil fiancé qu’elle avait si peur de retrouver dans l’au-delà ? Et quelle échelle nous donnera accès à cette angoisse singulière et néanmoins si prégnante ?

La clinique, définitivement

Les échelles sont et resteront un outil parfois très utile. Mais elles ne seront jamais le cœur de notre pratique. Celui-ci se trouve ailleurs, dans la rencontre, dans l’ici et maintenant de cette rencontre, et dans tout ce que cette interaction cadrée charrie. Dans la clinique, tout simplement.

DB, psychologue

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Commentaires - 1 message
  • Bonjour DB, psychologue.

    Merci pour votre partage.
    Au-delÍ  des clivages que nous pourrions être tentés de faire (approche scientifique versus entretien libre) mais que vous ne faites pas comme en atteste la conclusion de votre article, n'avons-nous pas une responsabilité professionnelle de replacer l'humain que nous accueillons au centre de nos préoccupations ? En tant que psychologue clinicien, l'utilisation d'échelles et l'entretien libre ne m'apparait pas comme antinomique mais peut être complémentaire. Je pense qu'il est de notre devoir en tant que psychologues de nous rassembler pour défendre notre liberté de pratiquer de manière autonome et de veiller Í  l'auto-régulation de notre profession de manière démocratique. A mon sens, ça passe incontestablement par l'accueil des diversités de nos pratiques en tant que psychologues.

    Belle journée.

    Quentin Vassart

    Quentin Vassart mercredi 22 mars 2017 06:58

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