Bénédicte, directrice d’Eqla : « Si on joue au chef, ça ne marche pas ! »
Depuis sept ans, Bénédicte Frippiat est à la tête de l’ASBL Eqla, une association belge qui agit au quotidien avec et pour les personnes aveugles et malvoyantes. Dans un entretien accordé au Guide Social, elle raconte son métier de directrice. Un métier d’équilibriste dont le but est d’assurer le bon fonctionnement de l’association.
Bénédicte Frippiat, 56 ans, n’avait jamais imaginé devenir un jour directrice d’une ASBL. Cette ancienne logopède voulait « travailler avec les enfants ». Depuis son arrivée dans l’association Eqla (anciennement « Oeuvre nationale des aveugles »), au début des années 2000, les choses se sont vite enchainées. Elle a d’abord découvert le monde de la déficience visuelle. Et les nombreux projets d’accompagnement, culturels ou encore de formations proposés par l’ASBL. En quelques années, elle est devenue la numéro deux du directeur de l’époque, avant de prendre les rênes de l’association. Dans le cadre de la campagne J’aime Mon Métier, Bénédicte Frippiat a accepté de revenir sur son parcours. Et de raconter, sans langue de bois, la réalité de son métier.
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« C’est un métier multi casquettes »
Le Guide Social : Pourriez-vous décrire votre métier en quelques mots ?
Bénédicte Frippiat : Mon métier est de veiller à la pérennisation de l’association, de coordonner et d’organiser toute la vie journalière. Cela peut aller de la gestion du personnel à la coordination du staff de direction, à la vision stratégique de l’association... C’est un métier multi casquettes. Nous avons plus ou moins 50 membres du personnel donc notre administration devient limitée pour tout gérer mais en même temps nous ne sommes pas assez grand pour avoir une direction des ressources humaines, etc. Donc ça repose sur ma tête.
Le Guide Social : Vous avez quand même une équipe qui vous aide à la direction ?
Bénédicte Frippiat : Nous sommes six au sein du staff de direction et chacun a la responsabilité d’un pôle : le pôle culture, accompagnement, etc. Et je chapeaute le tout.
Au niveau de l’administration, j’ai une assistante de direction qui joue vraiment un rôle de gestion administrative, elle s’occupe de tout ce qui est ressources humaines, etc. et je m’occupe du reste.
Le Guide Social : Vous parliez de la vision stratégique de l’association, cela se fait avec l’organe d’administration ?
Bénédicte Frippiat : Théoriquement oui. J’ai la chance d’avoir des gens sympas au sein de l’organe d’administration (OA) mais ils/elles ont aussi un boulot sur le côté et n’ont pas énormément de disponibilités. C’est donc surtout le staff de direction qui travaille sur le plan stratégique de l’association, nous avons fait ça avec un consultant extérieur, et qui propose à l’organe d’administration qui le valide ou non.
Le Guide Social : Pourriez-vous nous raconter comment vous êtes arrivée à ce poste de directrice ?
Bénédicte Frippiat : À la base, j’ai une formation de logopède. Pendant treize ans j’ai travaillé dans des écoles, mais aussi comme indépendante et à la Ligue de l’enseignement à Bruxelles. C’était surtout dans les projets d’apprentissage du français langue étrangère pour les jeunes qui étaient issus de l’immigration.
Puis, j’ai perdu un mi-temps car j’ai été licenciée par l’échevin de l’époque. A ce moment-là, j’ai voulu me réorienter et je voulais sortir du social car j’étais dégoûtée.
Finalement, j’ai vu une offre d’emploi pour faire des transcriptions en braille et je n’ai pas compris l’annonce. J’ai cru que c’était pour gérer l’accompagnement scolaire donc j’ai postulé. Finalement, la directrice m’a rassurée en me disant qu’elle avait surtout besoin de quelqu’un qui ait des compétences pédagogiques. J’ai vu ça comme un chouette défi et je me suis lancée.
A partir de là, j’ai vite repris l’accompagnement scolaire et ça s’est enchainé. Il y a une dizaine d’années, le directeur de l’époque m’a demandé de reprendre le poste d’ajointe pour le seconder. Il m’a avoué ensuite qu’il avait déjà l’idée de partir et il m’avait préparé à la mission suivante en me donnant de plus en plus de responsabilités.
Quand il a décidé de partir il m’a demandé de reprendre la direction en intérim. Puis, au bout de six mois, l’organe d’administration a décidé que je resterais à la direction et cela fait sept ans que j’y suis.
« Au départ, j’étais mitigée dans la mesure où je n’ai pas de compétence pour l’aspect financier »
Le Guide Social : Est-ce que vous imaginiez un jour prendre la tête d’une ASBL ?
Bénédicte Frippiat : Pas du tout ! Quand j’ai commencé comme logopède, je voulais travailler avec les enfants.
Le Guide Social : Quelle a été votre réaction quand on vous a proposé de prendre la direction ?
Bénédicte Frippiat : Au départ, j’étais mitigée dans la mesure où je n’ai pas de compétence pour l’aspect financier, qui est quand même une mission très importante de la fonction. En revanche, j’avais la connaissance du terrain.
J’ai accepté de reprendre la direction en disant qu’il me fallait un soutien au niveau financier. Au sein de l’OA, il y a deux personnes qui travaillent dans la finance et notre responsable de la comptabilité a toujours travaillé de manière très autonome.
J’ai une petite formation de deux jours pour savoir lire un bilan mais ce n’est pas avec ça qu’on gère une association. On a aussi demandé de travailler avec un réviseur d’entreprise pour être sûr.es d’être bien dans les clous.
Le Guide Social : Qu’est-ce qui vous a convaincue à sauter le pas ?
Bénédicte Frippiat : Au départ j’ai accepté l’intérim car je ne voyais pas cinquante solutions : j’étais adjointe à la direction, c’est moi qui connaissais le mieux l’ASBL puisque j’étais l’une des plus anciennes, j’avais déjà des contacts avec tous les services et cette vision globale de l’association. Ça me semblait évident, tout en mettant le bémol sur l’aspect financier.
Dans un premier temps, j’ai voulu rester à mon bureau car j’étais seulement en intérim. Mais je passais mon temps à courir entre mon bureau et celui de la direction quand une personne voulait me voir de manière plus confidentielle. Comme nous étions en paysager, au bout d’un mois ou deux mes collègues m’ont demandé d’aller m’installer dans un bureau car cela devenait infernal.
Six mois plus tard, l’OA m’a convoquée, m’a dit que ça fonctionnait bien et qu’ils/elles étaient au clair avec ma ligne de conduite. Et donc j’y suis restée.
« On apprend avec le temps ! »
Le Guide Social : Comment se sont passé vos débuts ?
Bénédicte Frippiat : La première année et demie, j’ai voulu créer ce cadre et en même temps avoir une attitude d’écoute auprès du personnel. Forcément, ça a créé des tensions. Par exemple au niveau des fonctions, j’ai tout remis à plat. Certain.es ont été augmentés, d’autres pas car ils/elles l’avaient été avant, donc il a fallu faire comprendre tout cela.
Nous avons aussi créé un procédurier, une ligne de conduite qui devaient être suivie par toutes les antennes. Rien de terrible mais simplement pour uniformiser les choses. Tout le monde a eu peur qu’on mette des hiérarchies. Mais une fois que tout a été écrit, ils/elles se sont rendu compte que c’était déjà ce qu’ils/elles faisaient avant et qu’il n’y avait aucune rigidité supplémentaire à l’association. Au contraire, ça a fluidifié avec le temps parce que maintenant tout le monde sait ce qu’il faut faire.
Le Guide Social : Est-ce que vous avez été accompagnée dans cette démarche ?
Bénédicte Frippiat : Au départ, on a travaillé avec un consultant avec trois membres de l’OA et trois membres du staff.
L’idée était d’avoir un plan stratégique sur cinq ans, avec ce qu’on allait mettre en place et comment on allait le faire. Mon objectif c’était de professionnaliser l’association, pas au niveau du cœur du travail mais du cadre.
Aussi, il y avait un deuxième volet qui était sur la notoriété de l’association. Par la suite, on a donc décidé de changer de nom pour amener un peu de dynamisme.
C’est à ce moment-là que toutes les tensions sont arrivées : quand vous changez en même temps les règlements, le nom de l’association... ce n’est pas simple.
Le Guide Social : Est-ce que vous avez été aussi accompagnée pour la gestion de ces tensions ?
Bénédicte Frippiat : J’ai fait appel à un consultant externe pour une équipe en particulier qui dysfonctionnait depuis des années. J’ai eu donc quelques entretiens avec cette personne et ça m’a permis aussi de pouvoir tenir dans cette période difficile, même si ce n’était pas prévu pour ça.
Le Guide Social : Est-ce que vous avez suivi des formations avant d’être directrice ?
Bénédicte Frippiat : Dans mon emploi précédent, je venais aussi en soutien aux directions des écoles quand il y avait des problèmes administratifs, etc. J’avais un peu cette optique de gestion et donc j’ai fait des formations en gestion humaine, en management d’équipe, en conduite de réunion... Toutes les joyeusetés qui sont nécessaires dans le rôle d’une direction.
Puis, il y a dix ans, quand j’ai repris le pôle avec la bibliothèque et la ludothèque j’ai recommencé à faire des formations car j’avais davantage de personnes à gérer.
Cela étant, on apprend avec le temps et, de toutes façons, je me dis que personne n’a les compétences dans tout.
« Le plus compliqué ? On ne sait jamais de quoi sera fait demain »
Le Guide Social : Quels sont les avantages et inconvénients de votre métier ?
Bénédicte Frippiat : L’avantage, c’est un métier très varié : je m’occupe de la gestion des ressources humaines, des successions chez les notaires, de réfléchir aux prochaines missions... C’est agréable car les journées ne se ressemblent pas. En revanche, ce qui me déplaît le plus c’est le fait de devoir toujours chercher de l’argent. Les legs représentent la plus grosse partie de notre nos revenus mais on ne sait jamais ce que les gens vont nous léguer et quand.
On passe aussi notre temps à remplir des appels à projets et parfois c’est difficile de se dire : j’ai ma ligne au niveau de l’association, ma stratégie, ma vision et, malgré tout, par moment je dois trouver des subterfuges pour que mon appel à projets entre dans les clous, alors que ce n’est pas ce que j’aurais mis en place.
Le dernier service que nous avons créé pour les nouvelles technologies fonctionne super bien et est vraiment indispensable mais chaque fin d’année, c’est le stress de savoir si je vais pouvoir garder les personnes l’année suivante.
C’est la partie la plus lourde de mon travail : on ne sait jamais de quoi sera fait demain.
Le Guide Social : Pourriez-vous donner un exemple de ce à quoi ressemble vos journées ?
Bénédicte Frippiat : En grosse partie c’est de la gestion d’équipe. Puis, il y a la rencontre avec les notaires, aller pousser des portes partout ! C’est difficile à dire car il n’y a vraiment pas de journée-type.
En revanche, ce que je peux dire : dans une direction comme la nôtre - qui n’est ni petite, ni grosse – ce qui est compliqué c’est de ne pas tomber uniquement dans la gestion des petites choses du quotidien. Car quand il y a une ampoule qui pète ou un WC qui est bouché, c’est aussi la direction qui s’en occupe.
Le Guide Social : En effet, vous devez gérer à la fois les aspects très pratiques du quotidien mais aussi prendre de la hauteur pour donner une direction.
Bénédicte Frippiat : Ça devient un peu difficile pour l’instant car on a grossi en peu de temps et maintenant on sature.
J’en ai parlé plusieurs fois à l’organe d’administration car on a de plus en plus de rigueur et de complexité administratives avec des postes subsidiés à droite à gauche, des réglementations qui sont en sont en train de changer... Ça devient limite. L’idée étant de réussir à me redégager du temps.
Cette année, nous avons de nouveau engagé un consultant pour penser à un plan stratégique de l’ASBL et cela permet d’avoir des moments de recul. C’est vraiment important. Mais une fois qu’on a fait ce travail, on est vite de nouveau dans le quotidien.
« Si on décide tout, tout seul et qu’on joue au chef, ça ne marche pas »
Le Guide Social : Votre métier est très prenant. Est-ce que vous arrivez à prendre du recul dans votre vie privée ?
Bénédicte Frippiat : J’y travaille... J’ai la chance d’avoir un mari qui est beaucoup plus philosophe que moi et qui me met face à mes réalités en me disant que ce n’est pas urgent, que ça peut attendre le lendemain. Maintenant, quand je prends congés, je délègue la direction à une personne. Comme ça, je sais que si cette personne-là m’appelle c’est important et je décroche. Aussi, les jours de télétravail je laisse mon téléphone sur le bureau au moment du repas. J’essaie aussi de déconnecter le weekend.
C’est difficile de fermer la porte et de dire ce weekend je m’en fiche de tout. L’association est toujours là, c’est sûr.
C’est vrai que le COVID n’a pas aidé. Les gens ont eu une trouille bleue de se retrouver au chômage économique et voulaient me prouver par tous les moyens qu’ils travaillaient. Résultat : tout le monde me téléphonait à 7h15 et à 18h le soir.
Le Guide Social : Selon vous, quelles sont les qualités indispensables pour exercer ce métier ?
Bénédicte Frippiat : Si on veut que son équipe tourne bien, il faut à la fois avoir assez de rigueur pour mettre un cadre et être à l’écoute des gens. Je pense que si on décide tout, tout seul et qu’on joue au chef, ça ne marche pas. Toutefois, il faut aussi penser à l’équilibre de l’association et savoir trancher.
Evidemment, si on n’est pas organisé.e ça ne fonctionne pas. Il faut aussi être capable de voir les priorités.
« Il faut rester proche de son équipe et en même temps garder une certaine distance »
Le Guide Social : Y a-t-il un moment de votre carrière de directrice qui vous a particulièrement marqué ?
Bénédicte Frippiat : Je dirais le changement de nom de l’association, en 2018. Ça a été un moment difficile dans la mesure où il a fallu mettre ensemble les ancien.nes, pour qui c’était très compliqué, et les nouveaux/elles, pour qui c’était tout naturel. Ça a créé beaucoup de tensions
C’était un moment assez difficile mais aussi enrichissant parce qu’il a fallu recadrer cet équilibre entre le vécu de l’association, qui restait important à prendre en compte, et le besoin de la faire évoluer.
Le Guide Social : Au final, cela a pris une bonne année...
Bénédicte Frippiat : J’avais repris la direction depuis un an ou deux ans et c’était un peu l’aboutissement de tout ce qui avait été fait. Ça a été très difficile et en même temps positif car l’image qu’on véhiculait était plus jolie et beaucoup plus vivante.
Le Guide Social : Est-ce que vous auriez un conseil à donner à quelqu’un qui aimerait un jour occuper un poste comme le vôtre ?
Bénédicte Frippiat : Je dirais de ne pas prendre le rôle de directeur/trice comme un rôle de supérieur. Il ne faut pas trop se monter la tête.
Il faut rester proche de son équipe et en même temps garder une certaine distance. C’est la chose la plus difficile à faire, surtout quand on a travaillé longtemps avec ses collègues.
Enfin, on doit savoir qu’on va être un peu plus seul dans sa manière de fonctionner. Le métier de directeur/trice, c’est un rôle particulier.
Caroline Bordecq
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