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"La psychomotricité relationnelle est un métier heureux"

Au cœur de Saint-Josse, en région bruxelloise, trois salles accueillent gratuitement des enfants pour des séances de psychomotricité relationnelle. À l’origine du projet, Sylvie Adam. À 54 ans, cette professionnelle revient sur son parcours atypique qui l’a amenée à accompagner des enfants extraordinaires.

Avant de devenir psychomotricienne, Sylvie Adam a eu de nombreuses vies. Elle a été danseuse professionnelle, puis professeure de danse, secrétaire, elle a étudié le théâtre, l’art thérapie... C’est donc au fil de ses expériences qu’elle s’est tournée vers la psychomotricité relationnelle. Depuis six ans, elle et son équipe accompagnent gratuitement des enfants de la commune de Saint-Josse, la plus pauvre de Belgique mais aussi l’une des plus jeunes et où l’interculturalité est omniprésente.

Le Guide Social : En quoi consiste votre métier de psychomotricienne relationnelle ?

Sylvie Adam : Notre métier consiste à transformer. La psychomotricité touche tous les publics et dans mon cas je travaille avec l’enfant. Beaucoup d’enfants qui viennent chez nous ne sont pas passés harmonieusement par toutes les étapes de développement, qu’elles soient motrices, sensorielles, affectives, cognitives… Ils ont sauté des marches dans leur développement et on va les revisiter. Par exemple, nous avons beaucoup d’enfants qui n’ont pas le langage.

"Dans ce métier, notre premier outil c’est le plaisir !"

Le Guide Social : Comment est-ce que vous procédez ?

Sylvie Adam : Notre premier outil c’est le plaisir. On travaille avec l’envie de l’enfant. Nos salles sont belles avec du matériel volumineux et cela lui permet d’avoir envie d’être là.

Par exemple, nous avons eu une petite fille dont le doigt avait été coupé après s’être pris la main dans un mixer. Elle avait très peur des blouses blanches, ce qui fait qu’elle refusait d’être approchée par des médecins. Quand elle est arrivée chez nous, on ne s’est pas occupés de sa main. Il y avait une corde qui était là dans la salle. Elle a voulu jouer avec mais comme on la tirait vers nous elle était obligée de la tirer à son tour. De cette manière, elle a travaillé sur sa main sans même y penser.

Dans le cas d’un enfant qui a raté des marches, on va d’abord comprendre où il en est et on va l’inciter à aller plus loin. Par exemple, on ne va pas tout de suite travailler sur le langage lorsqu’un enfant ne veut pas parler. Souvent, s’il n’y a pas la parole c’est parce qu’il y a de l’inhibition donc on va d’abord travailler sur l’affirmation. Puis un jour, l’enfant va taper des pieds et nous comprendrons que c’est pour s’affirmer, alors nous allons l’encourager. Un autre jour il va faire le gorille et nous allons l’inciter à aller toujours plus loin car ce sont des marches qu’il monte au fur et à mesure.

Parfois, l’enfant a un traumatisme qu’il va pouvoir jouer de manière symbolique. Par exemple, dans le cas d’un papa qui a été violent, l’enfant pourrait se cacher dans la petite maison car le loup veut l’attaquer. Dans ce cas, nous allons rejouer son traumatisme avec lui pour qu’il puisse le dépasser, qu’il ose affronter le loup et le « tuer ». Nous avons beaucoup de requins et de dinosaures dans nos salles, ce qui permet aux enfants de jouer leurs peurs, leur agressivité, de les apprivoiser et de les dépasser.

Nous revisitons aussi la partie motrice. Le matériel permet d’expérimenter, les enfants grimpent, sautent, chutent, vont à quatre pattes, rebondissent, construisent…. Outre le développement moteur, toutes ces expériences favorisent l’affirmation et la confiance en soi. Il y a aussi beaucoup d’enfants qui sentent vite une intrusion de la part des autres, qui ont besoin de leur espace. On travaille donc l’enveloppe corporelle pour faire en sorte qu’elle soit sécurisée, puis on travaillera également sa relation à l’autre.

Nous avons toujours un objet transitionnel pour pouvoir trianguler. Si un enfant est très introverti et que je ne peux pas l’approcher, je vais par exemple lui lancer une balle. Il va l’accepter ou pas.

"Beaucoup d’enfants - pas tous - sont très résilients et ont une pulsion de vie magnifique"

Le Guide Social : Vous rencontrez des situations difficiles. Est-ce que cela vous impacte ?

Sylvie Adam : Les enfants viennent avec leur sac-à-dos mais notre salle les émerveille. Ce n’est pas triste, au contraire, je ris beaucoup, je joue, je me roule par terre…. C’est un métier très heureux. Beaucoup d’enfants - pas tous - sont très résilients et ont une pulsion de vie magnifique.

Toutefois, on peut être touché par des situations. Parfois l’enfant peut jouer quelque chose qui nous atteint mais normalement nos blessures ne saignent plus. On a déjà effectué un travail sur nous qui nous permet de reconnaitre la blessure de l’enfant mais aussi de nous protéger.

Je me souviens seulement d’une collègue qui avait été très impactée par une famille. Auparavant, nous avions une personne de notre équipe qui était aussi kinésiologue et qui nous aidait à affronter des situations plus dures.

Aussi, je permets aux membres de l’équipe de dire s’ils rencontrent des difficultés avec un enfant. Comme on travaille en binôme, l’autre va d’abord chercher à prendre le relais. Puis, en réunion, on va tenter de comprendre ce que l’enfant cherche et on va ouvrir des cases qui font que la fois d’après, ça ira mieux avec lui. On est une équipe riche.

Le Guide Social : Est-ce que vous arrivez à ne pas ramener les choses chez vous ?

Sylvie Adam : En règle générale les séances se passent bien et je ne ramène rien. Toutefois, si je trouve que je n’ai pas été adéquate, c’est la psychomotricienne qui passe la soirée à la maison. Si j’ai commis une erreur par rapport à un enfant ou un parent, c’est dur. Heureusement c’est rarissime.

Je me souviens d’un cas avec un parent où je n’ai pas été juste. J’avais fait l’entretien seule avec un traducteur alors que normalement nous sommes toujours en binôme et nous avons dû arrêter l’entretien, car le traducteur devait partir, sans avoir eu le temps de parler de l’évolution de l’enfant. Le parent est parti seulement avec le négatif. Le lendemain, nous l’avons rappelé pour lui dire ce qu’on n’avait pas eu le temps d’aborder.

"J’ai finalement étudié la psychomotricité relationnelle. Et là enfin, je voyais quelque chose"

Le Guide Social : Vous n’avez pas toujours été psychomotricienne, comment avez-vous décidé de faire ce métier ?

Sylvie Adam : Au départ je suis danseuse. J’ai étudié la danse jusqu’à 18 ans, puis j’ai travaillé dans des théâtres à Charleroi, Mons, Bruxelles... A l’époque, il n’y avait pas le statut d’artiste et c’était crève-la-faim. À 20 ans j’ai donc arrêté et je me suis formée en tant que secrétaire.

Parallèlement, j’étudiais pour être professeure de danse et j’ai commencé à donner des cours le soir et les weekends. À 27 ans, j’ai arrêté le métier de secrétaire et je donnais cours de danse dans une école maternelle à Saint-Josse. Au départ, c’étaient seulement quelques heures par semaine.

A ce moment-là, j’ai vu qu’il y avait des enfants différents qui étaient parfois exclus soit parce que l’enseignant ou l’enseignante ne le comprenait pas, soit parce qu’il ou elle n’avait pas le temps. J’ai commencé à m’occuper de ces enfants extraordinaires. Je voyais que la danse pouvait apporter beaucoup mais pas à tous.

J’ai alors étudié l’art thérapie, artiste en milieu de soin, la kinésiologie du mouvement mais à chaque fois il manquait quelque chose. J’ai finalement étudié la psychomotricité relationnelle. Et là enfin, je voyais quelque chose. L’enfant ne devait pas venir avec des aptitudes : on cherchait ce qu’il savait faire pour le porter à ce qu’il ne savait pas faire.

Au départ, pour mon intervention dans l’école, j’étais embauchée par le comité de quartier. Quand le projet s’est terminé, nous l’avons porté à la commune qui m’a alors embauchée pour 4h par semaine. Au fur et à mesure des années, les heures ont augmenté jusqu’à avoir un mi-temps dans cette école, en parallèle de mes études.

Le Guide Social : Comment se sont passées vos études ?

Sylvie Adam : C’était assez long car j’ai commencé avec le post-graduat qui durait trois ans et j’ai fait une année en plus pour avoir un diplôme de bachelier.

D’abord c’était le lundi soir et le samedi puis c’était trois soirs par semaine. J’avais 45 ans, j’habitais à Bruxelles mais les cours étaient à Liège, j’y allais après le travail. C’était assez lourd.

"À peine la salle était terminée que j’avais déjà plus de 100 inscrits"

Le Guide Social : Avez-vous tout de suite travaillé où vous êtes aujourd’hui ?

Sylvie Adam : Je n’étais pas encore diplômée que j’étais déjà engagée là où j’ai fait mon stage de 3e année, à Itinéraires AMO, à Saint-Gilles. Puis, dès que j’ai eu mon diplôme, j’ai ouvert la salle où je suis à Saint-Josse.

J’avais vu qu’il y avait une cave dans les locaux de la commune de Saint-Josse où trainaient plein de brols, j’ai donc demandé à mon employeur – qui est la fonctionnaire du service prévention de la commune – si je pouvais faire quelque chose dedans. Puis avec 10.000€ reçus de la Fondation Roi Baudoin j’ai pu acheter du matériel. À peine la salle était terminée que j’avais déjà plus de 100 inscrits. Comme je travaillais à l’école, je connaissais déjà le public. Je suis allée voir une autre école et tout de suite il y a eu des demandes.

La première année j’avais un mi-temps et je travaillais avec 12 stagiaires, ensuite nous sommes passés à deux mi-temps et 8 stagiaires, puis nous avons eu deux salles avec cinq mi-temps et maintenant nous avons trois salles avec quatre mi-temps. Nous étions encore cinq il y a peu.

Le Guide Social : Comment est-ce que les enfants arrivent chez vous ? Est-ce que ce sont les parents qui font la démarche ?

Sylvie Adam : Il faut travailler le plus tôt possible mais souvent il y a un déni de la part des parents, donc il faut que ce soit la communauté autour qui intervienne. L’école – qui accueille les enfants dès 2,5 ans et est obligatoire dès 5 ans - est l’une de ces communautés.

Ainsi, notre projet n’est pas porté par le parent mais par l’enseignant ou l’enseignante qui va repérer les enfants auprès desquels il faut agir. Il ou elle va faire un rapport : cet enfant est inhibé, agité, violent... Une fois qu’on a son retour, on se met en contact avec les parents.

Obtenir le 1er RDV avec eux est très compliqué. On est dans un milieu particulier avec 50% des parents des enfants qu’on suit qui ne parlent pas français. Souvent, on fait peur quand on appelle. Ça demande beaucoup d’énergie. Ça arrive que les parents disent qu’il n’y a pas de problème et avec qui l’alliance ne peut pas se faire. Dans ce cas, on travaille hors volonté parentale et c’est difficile.

Le Guide Social : Vous pouvez suivre l’enfant même sans l’accord du parent ?

Sylvie Adam : Les parents doivent signer un papier pour donner leur accord. Ça arrive qu’ils signent mais qu’on ne les voit jamais. Notre objectif c’est de faire équipe tous ensemble. Si le parent ne veut pas, c’est toute l’équipe qui chute car c’est lui qui a la plus grande force.

"J’aime voir l’émerveillement dans les yeux des enfants"

Le Guide Social : Comment s’organise justement ce travail en équipe ?

Sylvie Adam : Il y a plusieurs équipes. La première, c’est la mienne : nous sommes un psychomotricien et trois psychomotriciennes en mi-temps. On travaille toujours par deux, avec quatre enfants.

À la fin de chaque séance on se retrouve en binôme pour parler des enfants et on note tout dans un cahier. Puis on a une réunion par semaine pour discuter de l’organisation, des enfants, des relations avec l‘école, avec les parents, etc.

Ensuite, dans les cas plus simples, on a seulement trois rencontres avec les parents et tous les trois mois avec l’école. Quand c’est plus compliqué on va activer un réseau. Comme on fait partie du service prévention on a des assistants sociaux, des psychologues... à qui on peut faire appel et qui, parfois, sont de la même origine que la personne concernée. On essaie tout de suite de créer une alliance entre la commune et les parents car s’ils n’ont plus de logement ou plus rien à manger, ils n’auront même pas la tête pour les enfants.

On travaille aussi avec les assistants sociaux et le CPMS.

Le Guide Social : Quelle est la plus grosse difficulté selon vous dans ce métier ?

Sylvie Adam : Téléphoner aux parents et créer une alliance avec eux pour qu’un changement systémique puisse aussi s’opérer. Quand je travaillais à l’AMO, c’étaient les parents qui étaient en demande, ici ce n’est pas le cas. C’est le point le plus lourd.

Le côté organisationnel aussi est complexe car nous travaillons tous en mi-temps cumulé avec un autre mi-temps ailleurs et c’est compliqué à gérer.

Le Guide Social : À l’inverse, qu’est-ce que vous aimez particulièrement dans votre métier ?

Sylvie Adam : J’aime le plaisir. J’aime voir l’émerveillement dans les yeux des enfants. C’est très valorisant car l’outil de la psychomotricité est très adapté à eux.

"Aux futurs étudiants, je leur conseille de continuer à s’émerveiller des possibilités de chacun mais en pleine conscience"

Le Guide Social : Pourquoi avoir décidé de travailler avec les enfants ?

Sylvie Adam : Je n’ai pas choisi de travailler avec les enfants. Quand j’ai commencé à enseigner la danse on m’a donné les petits mais je n’avais pas choisi. Toutefois, comme j’aime bien faire les choses bien, je me suis renseignée sur comment leur enseigner au mieux. Tout le monde est paumé avec les petits car ça veut dire retourner au B-A-BA et c’est compliqué quand on est athlète. J’ai fait ce chemin, j’ai dû redescendre toutes les marches et je suis devenue une spécialiste des petits.

J’ai appris à les connaitre, j’ai vite compris qu’ils étaient mon moteur et que je me nourrissais d’eux pour enseigner plus loin.

Le Guide Social : Vous avez la sensation que votre métier est suffisamment connu et reconnu ?

Sylvie Adam : Ce métier est inconnu. Je suis psychomotricienne relationnelle mais il y a aussi les maitres en psychomotricité, qui font de la gymnastique pour les enfants, ou encore des psychomotriciens qui rééduquent. Ce sont trois métiers très différents mais avec le même titre. C’est triste car personne ne comprend rien à rien.

Le Guide Social : Avez-vous un conseil à donner aux jeunes qui souhaiteraient faire ce métier ?

Sylvie Adam : Continuer à s’émerveiller des possibilités de chacun mais en pleine conscience. Nos enfants sont dans de telles difficultés que j’ai vite oublié les possibilités d’un enfant normal. Il faut faire attention de toujours garder les repères.

Caroline Bordecq

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